Le 2 mars 2010, la Commission européenne a annoncé une série de décisions concernant la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora ainsi que trois produits contenant du maïs génétiquement modifié. La culture de la pomme de terre génétiquement modifiée Amflora est ainsi autorisée dans l’UE à des fins industrielles tandis que l’utilisation de produits dérivés de l’amidon d’Amflora en tant qu’aliments pour animaux est permise. L’utilisation dans l’alimentation humaine et animale, l’importation et la transformation des maïs génétiquement modifiés MON863xMON810, MON863xNK603 et MON863xMON810xNK603 est par ailleurs autorisée. La Commission européenne a annoncé le même jour son intention de présenter d’ici l’été une proposition visant à laisser aux États membres plus de latitude pour décider de cultiver ou non des OGM.
Cette série de décisions n’a pas manqué de soulever de vives et promptes réactions au Luxembourg.
La ministre de la Santé, Mars Di Bartolomeo parle de "provocation" et annonce d’ores et déjà qu’il jouera de la clause de sauvegarde. C’est notamment l’autorisation de culture de la pomme de terre Amflora qui est visée.
Pour l’eurodéputé Claude Turmes, en prenant la décision d’autoriser dans l’UE la culture de la pomme de terre Amflora, le commissaire John Dalli "se met à genoux devant le groupe chimique BASF" et "expédie la première autorisation de culture d’une plante OGM depuis 12 ans".
Greenpeace juge la décision "inacceptable par les risques qu'elle fait courir à la santé humaine et animale et à l'environnement", et Maurice Losch, le responsable de la campagne OGM de l’ONG, estime que Viviane Reding, en ne présentant pas d’objections à cette autorisation qui a été décidée par la procédure écrite, a "trahi les consommateurs luxembourgeois, opposés aux OGM, qui l'ont élue".
À la suite d’une procédure complète d’autorisation, engagée en 2003, la Commission a décidé, arguant de "nombreux avis scientifiques favorables", d’autoriser la culture de la pomme de terre Amflora. Cette pomme de terre génétiquement modifiée doit servir à la production d’amidon convenant à une utilisation industrielle (par exemple, la production de papier).
La décision prévoit des conditions de culture strictes afin d’éviter que des pommes de terre transgéniques ne soient laissées dans les champs après la récolte et que des graines d’Amflora ne soient répandues accidentellement dans l’environnement. Les produits dérivés de l’extraction d’amidon utilisés comme aliments pour animaux font l’objet d’une autorisation complémentaire.
La présence d’un gène marqueur de résistance aux antibiotiques dans l’amidon de pomme de terre génétiquement modifiée a été analysée par l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui a émis un avis favorable distinct le 11 juin 2009.
La Commission européenne a également adopté trois décisions autorisant l’utilisation dans l’alimentation humaine et animale, l’importation et la transformation des maïs génétiquement modifiés MON863xMON810, MON863xNK603 et MON863xMON810xNK603.
Ces trois produits de maïs génétiquement modifiés ont reçu un avis favorable de la part de l’EFSA et sont passés par l’intégralité de la procédure d’autorisation établie dans la législation de l’Union européenne. Ces produits sont issus du croisement traditionnel de deux ou trois maïs génétiquement modifiés, à savoir les MON863, NK603 et MON810, dont l’utilisation dans l’alimentation humaine et animale, l’importation et la transformation sont déjà autorisées dans l’Union européenne.
Les États membres n’ayant pu se prononcer, dans le cadre du Conseil, pour ou contre ces décisions à la majorité qualifiée, les dossiers ont été renvoyés à la Commission pour décision.
Le commissaire à la santé et à la politique des consommateurs, John Dalli, a déclaré, à l’occasion de l’annonce de ces décisions, que "l’innovation responsable" serait son "principe directeur en matière de technologies innovantes". "Après un examen complet et approfondi des cinq dossiers OGM qui étaient en attente, il m’est apparu évident qu’aucune nouvelle question scientifique n’avait besoin d’être analysée plus avant. Toutes les questions scientifiques, notamment sur le plan de la sécurité, ont été scrupuleusement examinées. Tout ajournement de décision aurait vraiment été injustifié. La Commission européenne remplit son rôle de manière responsable en prenant ces décisions, qui se fondent sur plusieurs analyses de sécurité menées au fil des ans par l’EFSA" a-t-il dit pour justifier ces décisions.
Les autorisations sont valables pendant dix ans.
Par ailleurs, conformément aux orientations politiques du président Barroso énoncées en septembre 2009, il a été demandé au commissaire John Dalli de présenter d’ici l’été une proposition décrivant la façon dont un système d’autorisation européen, reposant sur des bases scientifiques, peut être combiné à la liberté de chaque État membre de décider s’il souhaite ou non cultiver des OGM sur son territoire.
La réaction de Mars Di Bartolomeo, ministre de la Santé, n’a pas tardé. Fermement attaché au principe de précaution, il n’avait pas hésité à avoir recours, en mars 2009, à la clause de sauvegarde pour interdire la mise en culture du maïs MON810 au Grand-Duché. Dans son édition du 3 mars 2010, la Voix du Luxembourg rapporte les propos d’un ministre qui ne mâche pas ses mots pour manifester sa colère.
"C’est de la provocation" titre ainsi le journaliste Thierry Labro, citant Mars Di Bartolomeo. "Le geste de José Manuel Barroso n'est pas d'une grande délicatesse. La Commission européenne est embêtée avec ce sujet depuis des années et il faut que, comme par hasard, la première décision que prend son collège concerne les OGM et cela sans aucune discussion, même au sein du collège des commissaires ! Presque par surprise ! Il sait très bien que c'est un dossier extrêmement inconfortable. Et puis, avec l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, il profite de cette zone d'ombre dans les relations entre les institutions. Aujourd'hui, on ignore comment le Conseil pourrait défaire cette décision, par exemple !", s’est-il ainsi expliqué dans la Voix.
Le ministre poursuit son amère diatribe : "Il y a un an, il y avait un consensus pour admettre que les procédures scientifiques n'avaient pas assez de recul, qu'il fallait repenser certains critères scientifiques qui conditionnent la décision. Même la procédure d'autorisation n'est pas assez claire ! Les producteurs de ces substances effectuent des tests sur six semaines, deux ou trois mois. Il faut des tests sur une longue durée ! En décembre 2008, tout le monde semblait d'accord là-dessus en Europe sans que l'on puisse dégager une majorité pour y parvenir. Il faut quand même relever que l'on dit qu'il ne reste que cinq ou six pays fermement opposes aux OGM mais lors des dernières discussions sur le prolongement du moratoire sur les OGM, c'était plutôt du 50-50."
Pour la suite, il s’est engagé à faire jouer la clause de sauvegarde, ne manquant pas de rappeler que "le gouvernement luxembourgeois est toujours fermement opposé à la culture d'OGM au Luxembourg". "Le périmètre de un kilomètre incompressible autour d'un champ où seraient cultivés des OGM nous met bien à l'abri", conclut-il. Le journaliste Guy Kemp rapporte par ailleurs, dans un article publié dans le Tageblatt, que, pour Mars Di Bartolomeo, "les choses ne resteront pas sans conséquence". Il a ainsi annoncé "des démarches concertées des ministres compétents".
L’eurodéputé vert Claude Turmes a fait entendre son mécontentement par voie de communiqué quelques heures à peine après l’annonce de la Commission. A ses yeux, en prenant la décision d’autoriser dans l’UE la culture de la pomme de terre Amflora, le commissaire John Dalli "se met à genoux devant le groupe chimique BASF" et "expédie la première autorisation de culture d’une plante OGM depuis 12 ans".
Claude Turmes estime que "personne en Europe n’a besoin d’Amflora". Si elle est "superflue", c’est que d’autres pommes de terre offrent, sans l’aide du génie génétique, les mêmes propriétés qu’elle. L’eurodéputé souligne par ailleurs la "négligence" dont a fait preuve à ses yeux le commissaire en prenant une décision par laquelle il "ignore les mises en garde de l’Organisation mondiale pour la Santé (OMS) et autorise la mise en culture et la consommation d’une plante qui contient un gène marqueur de résistance à des antibiotiques majeurs utilisés contre la tuberculose". La condamnation de Claude Turmes est sans appel : "Le commissaire en charge de la Santé place plus haut les intérêts d’une entreprise que le droit à la santé".
Car si la pomme de terre ne va certes pas être autorisée en vue de l’alimentation humaine et animale mais pour pouvoir produire du papier, "des contaminations sont cependant possibles dans le cadre de la culture et de la transformation ", explique Claude Turmes qui appelle donc l’industrie du papier européenne à ne pas utiliser cette pomme de terre.
L’ONG Greenpeace a réagi promptement déclarant par voie de communiqué que l’autorisation d’Amflora était "inacceptabe pour les risques qu'elle fait courir à la santé humaine et animale et à l'environnement". "C’est un vrai scandale" titre ainsi le Quotidien un entretien du journaliste Bertrand Slézak avec Maurice Losch, le responsable de la campagne OGM et agriculture durable auprès de Greenpeace Luxembourg.
Dans le communiqué de l’ONG, celui-ci s’explique : "C'est choquant et révoltant qu'un des premiers actes officiels de cette Commission est d'autoriser la pomme de terre Amflora qui va faire courir des risques inutiles notre agriculture, à l'environnement et à la santé humaine. En six ans, Barroso n'a pas été capable d'apporter une seule réponse satisfaisante aux questions qui lui étaient posées sur les risques qu'entraîne l'utilisation de cette pomme de terre génétiquement modifiée. Mais maintenant avec sa nouvelle Commission, il parvient en un tour de cuillère à pot, à contourner le débat au sein du collège des Commissaires. Le Commissaire Dalli, suivant nos craintes, s'est écrasé devant Barroso au mépris de la science, de l'opinion publique européenne et de la législation européenne qui interdit le recourt aux marqueurs résistants aux antibiotiques. C'est tout simplement scandaleux !"
Greenpeace dénonce ainsi la procédure choisie pour permettre l’autorisation de la pomme de terre Amflora. La procédure écrite, qui laissait à chaque commissaire la possibilité d’apporter ses objections par écrit dans un délai de trois jours, aurait ainsi permis, selon un communiqué de Greenpeace, "d’éviter le débat au sein du collège des Commissaires". Aucun commissaire n’a en effet émis d’objection dans ce court délai.
Cité dans le Quotidien, Maurice Losch reproche ainsi à Viviane Reding, la commissaire européenne luxembourgeoise et vice-présidente de la Commission, de ne pas avoir "bougé le petit doigt". "Nous lui avons écrit, ces dernières semaines, pour montrer les dangers de cette pomme de terre. Elle ne peut pas dire qu'elle ne savait pas. Elle a tout simplement trahi les consommateurs luxembourgeois, opposés aux OGM, qui l'ont élu", raconte-t-il avant de conclure que "chaque Etat membre peut interdire cet OGM au niveau national. C'est ce que nous demandons au ministre de la Santé, monsieur Mars Di Bartolomeo".
L’ONG souligne que l'OMS et l'Agence européenne des médicaments (EMEA) se sont toutes deux prononcées contre les marqueurs utilisés dans la pomme de terre Amflora qui à recourt à des "antibiotiques d'importance critique" pour la santé humaine et animale. Le risque est que la dissémination de Amflora dans l'environnement n’accroisse la résistance des bactéries aux antibiotiques notamment utilisés dans le traitement de maladies comme la tuberculoses.
Maurice Losch explique par ailleurs que "les risques de dissémination incontrôlée, comme vient de le montrer encore récemment le cas de la contamination OGM du lin, existent aussi pour la pomme de terre OGM". A ses yeux, "en cas de contamination OGM, les conséquences économiques pour la filière agricole et alimentaire en Europe seraient dramatiques".