ORACLE est un réseau européen des gestionnaires culturels. L’attention première de ce réseau va aux projets qui ont une dimension européenne, ou qui mettent l’accent sur la coopération interculturelle, notamment au sein de l’Union européenne. Le réseau est composé non par des organisations, mais par des individus qui viennent d’horizons différents, et qui de ce fait contribuent à donner des impulsions particulières à tous les autres membres du réseau.
Un séminaire a réuni les membres du réseau ORACLE entre le 22 et le 24 avril 2010 à Luxembourg. Le 23 avril, une table-ronde publique a évoqué, dans le contexte de l’Année européenne contre la pauvreté et l’exclusion, la question "Quelle culture contre l’exclusion ?"
Le directeur de la Fondation Marcel Hicter, Jean-Pierre Deru, a esquissé le contexte de la discussion. En Europe, 84 millions de personnes, dont 19 millions d’enfants, sont considérés comme pauvres. 8 % des personnes qui travaillent ne gagnent pas assez pour éviter de sombrer dans la pauvreté. Bien que la politique sociale soit du ressort des Etats membres, l’UE "joue un rôle de supplétif" et développe des politiques et des programmes qui touchent à la pauvreté. Le Fonds social européen (FSE) est selon Jean-Pierre Deru "le plus important levier contre l’exclusion". 20 % du budget de l’UE sont destinés à lutter contre l’exclusion et en faveur de l’intégration. "Mais tout ne se résout pas par des moyens financiers. Il s’agit aussi de savoir de quelle culture on parle, de la culture purement mercantile à consommer ou bien de voir, participer, développer sa propre vision critique ?"
La ministre luxembourgeoise de la Culture, Octavie Modert, a évoqué la difficulté que de nombreuses personnes ont pour aller à des événements culturels : manque d’argent, sentiment d’exclusion, peur du nouveau. Pour la ministre, le droit à la culture est un droit aussi fondamental que le droit à l’éducation ou au travail. Avec l’introduction du passeport culturel en octobre 2010, elle pense que l’égalité de l’accès à la culture a été améliorée au Luxembourg. Avec ce passeport culturel, que l’ONG Cultur’All s’occupe de diffuser, ses bénéficiaires, souvent relayés par des organisations considérées comme des partenaires sociaux, peuvent accéder pour la somme de 1,5 euros à des événements organisés par une quarantaine de partenaires culturels qui ne sont pas des moindres.
La directrice de Cultur’All, Claudine Bechet-Metz, a rappelé que son organisation et d’autres organisations de ce type en Europe devaient être considérées comme des initiatives citoyennes non-politiques et non-gouvernementales, même si elles bénéficient, comme dans le cas de Cultur’All, du soutien de leur gouvernement. Cultur’All mise sur la participation de partenaires, sur le fait que des groupes composés de personnes qui ne sont pas encore détentrices d’un passeport culturel et soutenus par un des partenaires sociaux puissent aussi être les bénéficiaires de cette approche visant à faciliter l’accès à la culture. Un millier de passeports culturels ont été envoyés depuis le début de 2010, à des personnes qui ont droit à l’allocation de vie chère, à des demandeurs d’asile et à des personnes déboutées mais tolérées. Mais il n’y a encore ni médiation ni statistique qui permette de vérifier le succès sur le terrain. Claudine Bechet-Metz a souligné dans son intervention l’enthousiasme des partenaires culturels. "La démocratisation culturelle n’est pas un enjeu électoral, il ne s’agit pas de remplir les places vides, il ne s’agit pas de partager le trop, mais il s’agit d’un enjeu de notre société."
La commissaire du gouvernement à l’action sociale, Brigitte Weinandy, a signalé que la culture n’est pas le premier souci de ceux qui développent des programmes contre l’exclusion, que l’accès à la culture n’est pas, bien qu’il s’agisse d’un droit fondamental, le premier droit auquel l’on pense dans ce contexte. C’est plutôt le trépied travail, famille et logement qui prime, bien que l’accès à la culture constitue un moyen d’éviter la transmission générationnelle de la pauvreté. La culture pourrait de ce fait trouver sa place dans la stratégie UE 2020, l’évidence que la privation matérielle et culturelle vont de pair ayant fait son chemin.
Jean Hurstel, le président-fondateur de Banlieues d’Europe insista lui aussi sur la culture "comme point de lien social important". Pour les êtres de langage, "la culture n’est pas un surplus, mais au centre de la vie personnelle". Reste que la culture est considérée de manière ambivalente, par les uns plutôt comme l’ensemble des représentations et de l’imaginaire d’un groupe social, par les autres plutôt comme le patrimoine, l’art, les concerts, etc. Cette culture là ne concerne pas les 24 % de ménages pauvres – femmes isolée, immigrés, chômeurs – qui constituent la population des banlieues françaises. Des banlieues au bord de l’explosion parce que la situation sociale y est intenable, mais des banlieues aussi où sont nés le hip-hop et d’autres cultures.
Les politiques culturelles qui consistaient depuis 50 ans à amener toutes les couches de la population vers les spectacles n’ont jamais pu aller au-delà d’un seuil de 10 %. L’événementiel n’est pas une solution pour Jean Hustler. Il faut vis-à-vis des "pauvres" une approche plus fine pour avancer. "Il faut miser sur le désir de culture qui existe", en faisant participer les personnes, ressortir leur imaginaire, en les considérant comme égales dans un processus démocratique et en sachant que toute interaction de ce type conduit à une formation mutuelle. Bref, selon Jean Hustler, "on peut changer le monde par des petits travaux dans un monde pourri, si l’on a le souffle et les convictions nécessaires". Un tel travail permet de surcroît "de prendre conscience de la richesse du monde dans lequel nous vivons".
La discussion qui suivit les contributions a posé de nouvelles questions. Qui sont les exclus ? Les sans-logis, mais aussi les chômeurs, ou les "working poor" ? Le désir de culture existe-t-il vraiment ? Certains ont nié son existence dans certaines couches de la population. Le rôle de l’école dans la lutte contre l’exclusion culturelle, les difficultés de la participation sur une période prolongée, la question du début et de la fin d’un projet ont été abordés par des exemples pratiques belges, français, serbes, luxembourgeois, … Un réseau a évoqué les expériences des individus qui le composent. L’Europe s’est révélée une mais très différente.