Luxembourg a accueilli le 30 juin 2010 une conférence internationale sur le potentiel d’Internet pour le secteur culturel. Organisée à l’initiative de plurio.net, cette journée d’études a réuni une soixantaine d’acteurs culturels autour d’experts internationaux du web venus d’Australie, de Croatie, de Grande-Bretagne ou encore des Pays-Bas pour évoquer et discuter des tendances, des enjeux et des potentiels d’Internet, qui est en pleine évolution, pour le monde de la culture.
L’objectif était d’ouvrir le débat et, alors que les écarts entre les pratiques et les connaissances des uns et des autres se creusent et contribuent à ouvrir "le fossé de la participation", d’offrir aux opérateurs culturels de la Grande Région l’opportunité de se nourrir dans leurs questionnements quotidiens de l’expertise de praticiens avertis du web.
Pour ce faire, plurio.net est allé chercher des ressources auprès du réseau Culturemondo. Ce réseau international de spécialistes des portails culturels, que plurio.net a découvert avant même d’être lancé, dès 2005, et qu’il a depuis rejoint.
Aleksandra Uzelac a ainsi présenté les résultats de l’étude réalisée en 2009 par Culturemondo sur la place des portails culturels dans le contexte d’une culture numérique convergente. L’enquête menée auprès de portails culturels du monde entier, mais majoritairement d’Europe, a permis d’identifier une évolution dans le concept même de "portail culturel". Car si, aux premiers temps du web, on entendait sous ce terme un "portail permettant d’accéder à différentes sources d’informations", les portails culturels sont désormais devenus producteurs d’informations, agrégateurs et organisateurs de l’information, répondant ainsi à une des évolutions majeures d’un web qui s’est complexifié.
La plupart du temps animés par de petites équipes, ces portails qui peuvent être généralistes, thématiques ou encore avoir une fonction d’observatoire culturel destiné aux professionnels du secteur, sont le bien souvent tributaires de financements publics. Leur multiplication sur la toile au cours des dix dernières années conduit bien souvent à la question de leur durabilité, une problématique qui est revenue de façon récurrente tout au long de la journée, et qui apparaît comme un des principaux enjeux pour les acteurs culturels actifs sur la toile.
Dans leurs pratiques, ces portails qui sont pour la majorité d’entre eux mis à jour de façon quotidienne ont surtout recours, pour communiquer avec leurs utilisateurs, à des outils comme des lettres d’information mais aussi les flux RSS. Aleksandra Uzelac souligne que le contexte virtuel oblige le secteur culturel à changer ses pratiques sans pour autant qu’un changement net ait été observé lors de la réalisation de l’étude. Pour la chercheuse croate, l’ouverture appelée par l’évolution du web est un vrai défi pour le secteur culturel qui témoigne d’une volonté de contrôle de l’interactivité. Comme elle l’explique, la culture n’est pas née à l’ère du virtuel et le processus de passage du réel au virtuel est long et compliqué…
L’expérience d’Anra Kennedy auprès du site culture24.org, premier musée virtuel britannique lancé en 1999, témoigne de cette évolution des portails culturels. L’idée de ce projet est finalement de faire avec le contenu virtuel, des œuvres numérisées, un travail qui équivaut à celui d’un commissaire d’exposition. L’évolution du site a conduit notamment à se soucier de mieux cibler certains types de publics en définissant des profils types et en veillant à trier, filtrer et étiqueter, grâce aux « tags », l’importante quantité d’informations. L’objectif est que chaque internaute ait accès à une information contextualisée.
Les organisations qui travaillent en réseau et sont derrière cette immense base de données peuvent par ailleurs montrer sur le site ce qu’elles ont de spécifique à offrir sous la forme de "mini-sites" nourris par la base de données générales. Et puis, au-delà des partenariats qui se mettent en place, non sans difficulté souvent, il a fallu se positionner en créant des blogs, en intervenant sur les réseaux sociaux, ce qui a constitué le défi de 2009 pour ce portail.
Les défis sont pourtant encore nombreux en 2010, et culture24 entend ainsi se pencher plus avant sur le développement d’un nouveau site pour les enfants, une sorte de "flickr" pour enfants qu’il s’agit d’intégrer dans leur portail Show me, sur les applications pour mobiles ou encore sur les moyens de mesurer le succès d’un site web avec les opérateurs culturels.
Pour Anra Kennedy, la question du modèle économique à trouver pour assurer la durabilité d’un tel projet reste cruciale, et le partage des données ou encore la problématique des droits comptent dans ce contexte comme des enjeux de taille pour les portails culturels.
Sebastian Chan, du Powerhouse Museum de Sydney, a fait part lui aussi de son expérience et de ses tentatives d’utiliser au mieux les outils offerts par Internet pour le développement de ce musée. Selon lui, tout contenu numérique doit répondre à 5 règles : il doit pouvoir être découvert, faire sens, répondre aux intérêts ou aux besoins de l’internaute, être utilisable et partageable et enfin pouvoir être accessible en ligne.
Comme Anra Kennedy, le spécialiste du web australien a attiré l’attention sur l’importance qu’il faut accorder à l’identification des profils d’utilisateurs tout au long du processus de conception d’un site Internet. Il ne faut pour autant jamais perdre de vue selon lui qu’un utilisateur est une personne, ce qui signifie que chaque utilisateur signifie autant de désirs, d’horizons et de motivations différentes pour venir consulter un site. L’enjeu est par ailleurs de pouvoir capter l’attention de ces visiteurs en n’oubliant pas que le temps passé sur une page et que l’attention accordée à une information doivent pouvoir être évalués.
Pour pouvoir répondre aux mieux aux attentes de ces publics, Sebastian Chan est donc devenu un virtuose de Google Analytics ou encore de Report Reinvigorate. Il a montré comment il utilise ces outils de mesures d’audience et de performance pour faire évoluer au quotidien les sites Internet dont il s’occupe. Il est ainsi possible de "segmenter" les mesures pour cibler une partie d’un site seulement. On peut aussi, en identifiant les pics de fréquentation, en expliquer l’origine, retrouver le parcours suivi par les internautes pour arriver sur la page la plus consultée à un moment donné, éléments qui permettent d’adapter le contenu éditorial de façon à drainer des visiteurs mais aussi à contextualiser mieux l’information.
De même les outils d’analyse des clics sur la page donnent un bon aperçu des pratiques des internautes et peuvent aider à faire le choix de placer à tel ou tel endroit de la page une information que l’on tient à mettre en valeur. Il est aussi possible de cibler les technologies utilisées par les internautes pour consulter telle ou telle page, ce qui permet d’adapter la page sur laquelle les utilisateurs de téléphones mobiles arrivent le plus souvent pour l’adapter aux spécificités de ces appareils. Identifier les éléments les plus "copiés/collés" peut aussi être très révélateur sur un site à vocation éducative.
Ces outils permettent aussi d’analyser des processus plus complexes, comme l’utilisation réussie d’une base de données par exemple. Pour chacune des étapes identifiées, - entrer un mot dans le moteur de recherches, lire la page de résultats, consulter la fiche d’une des œuvres de la base de données – il est possible de voir combien de gens n’aboutissent pas dans leur recherche, à quel moment ils se perdent en route, ce qui peut aider à améliorer les outils proposés.
Au cours d’une table-ronde qui a suivi, ces intervenants ont été rejoints par Soenke Zehle, expert en médias auprès de l’école des Beaux-arts de la Sarre, Roland Arens, du groupe Saint-Paul, et Pol Goetzinger, responsable du développement de Hot City, qui sont venus apporter une couleur plus "grand-régionale" à un débat ouvert qui a permis d’identifier des défis pour l’avenir d’Internet pour les acteurs culturels.
Les acteurs culturels pourraient avoir un grand rôle à jouer en effet pour proposer des modèles alternatifs afin de trouver un équilibre entre propriété intellectuelle et un Internet aussi ouvert que possible. Ils peuvent aussi beaucoup faire pour faire vivre cette ouverture en offrant des espaces de découvertes, de bifurcation, en amenant les internautes à découvrir des choses qu’ils ne cherchaient pas…
Comment traiter la quantité d’informations qui circule sur la toile, comment la contextualiser de façon à répondre aux attentes des utilisateurs ? Comment intégrer les utilisateurs dans la production de contenu et trouver un équilibre éditorial avec les possibilités techniques offertes ? Comment combler le fossé de participation qui existe et trouver de nouveaux modèles pour exclure le moins possible de l’accès à Internet ? Voilà autant de questions qui se posent cependant pour l’avenir d’Internet qui, selon Sebastian Chan, est devenu, de source d’information, outil de communication.
Toutes ces questions, le portail culturel de la Grande-Région, plurio.net, les connaît bien et tente d’y trouver des réponses au quotidien. Comme l’explique Frank Thinnes le portail, lancé en décembre 2006 après deux ans de travail et de réflexion dans le cadre d’un projet Interreg III, s’est trouvé aussitôt confronté à l’évolution d’Internet et à l’émergence du web.2.0 qui a conduit à une sorte de "décentralisation" de l’information, l’information devant maintenant venir à l’utilisateur plutôt que l’inverse.
C’est dans ce contexte que le portail, dont le fonctionnement était déjà conçu sur une base décentralisée, a commencé à permettre aux opérateurs culturels de la Grande Région d’encoder eux-mêmes les données concernant leurs organisations et leurs activités sur une base de données commune. Le portail a aussi permis de connecter entre elles des bases de données existantes en permettant une diffusion multiple des informations. Sur le plan de la gestion du portail, un administrateur par entité de la Grande Région s’occupe de gérer le réseau d’opérateurs actifs sur son territoire, et tous ces administrateurs régionaux constituent un comité de rédaction virtuel.
Le plus grand défi du projet fut de mettre en place une coopération efficace dans un domaine où il s’agit d’être très précis et de faire des choix, notamment techniques, sur lesquels il n’est pas possible de faire des compromis. Finalement la contrainte imposée par la technique a permis de mettre en place une coopération profonde qui est basée sur la confiance et sur une transparence qui est imposée par l’outil. Et c’est ce qui explique que le projet se poursuive et se développe dans le cadre d’un projet Interreg IVA.
L’outil formidable qui en est issu, qui évolue au fil de projets pilotes permettant de tester de nouvelles fonctionnalités, propose un agenda culturel extrêmement riche, un guide culturel très complet, mais aussi des outils comme les flux RSS et HML qui connaissent un grand succès. Et le portail va, dès le mois d’août 2010, mettre à disposition, grâce à une interface libre d’utilisation, les contenus qui sont sur son site. N’importe quelle ville pourra par exemple importer sur son site Internet, via une API, les informations qui concernent les manifestations qui ont lieu sur son territoire et qui ont été entrées dans la base de données de plurio…
N’est-ce pas là une des réponses les plus limpides à la multiplication des sources d’informations et des sites sur le web, mais aussi aux problèmes de ressources nécessaires pour ternir à jour un site Internet ? Ce principe va permettre à l’agenda culturel de la communauté francophone de Belgique, www.culture.be, mais aussi à celui de la Ville de Luxembourg ou encore à ceux de Hotcity et du LCTO, de venir puiser les informations dans la base de données de plurio.
Le principe se décline au fil des projets et permet de contextualiser l’information pour des publics cibles. L’offre culturelle proposée dans le cadre du Kulturpass arrive ainsi en un clin d’œil de la base de données plurio vers le site www.culturall.lu. Il suffit qu’elle soit correctement "étiquetée" par les opérateurs culturels lors de l’encodage de l’information sur la base de données. De même le réseau d’éducation à l’image de la Grande Région, Eclairages, vient-il tout juste de lancer un mini-portail à l’offre éditoriale très poussée qui va puiser des informations choisies dans la base de données plurio.
Frank Thinnes conçoit en effet plurio.net comme une infrastructure transfrontalière de service public et les investissements réalisés dans un tel outil, comparable à une voie de chemin de fer à ses yeux, peuvent bénéficier au plus grand nombre. Car si le nombre de visiteurs sur le portail plurio.net reste aux alentours de 10 000 visiteurs, ils étaient 150 000 à consulter, sur d’autre sites, des informations culturelles provenant de plurio.net en juin 2010. Plurio.net est ainsi devenu un outil stratégique du développement culturel.
Le défi qui se présente aux yeux des porteurs de projet pour l’avenir va être de réussir à intégrer les industries créatives, les partenaires médiatiques et les utilisateurs dans l’aventure qui est celle d’un réseau très riche et d’un outil précieux.