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Justice, liberté, sécurité et immigration
Yves Bot, avocat général de la CJUE, a parlé de l’éventuelle création d’un Parquet européen
Le magistrat européen a évoqué à l’Université du Luxembourg les perspectives d’une possible nouvelle autorité au sein d’un espace européen de justice, de liberté et de sécurité de plus en plus intégré
20-09-2010


Pour sa conférence de rentrée, le Master en droit européen de l'Université de Luxembourg avait invité Yves Bot*,Yves Bot (Source : www.curia.europa.eu) avocat général à la Cour de Justice de l'UE depuis 2006, à parler, le 20 septembre 2010, de l'éventualité de la création d'un Ministère public européen, une idée qui est "quelque chose d’effrayant pour certains Etats membres", comme l’a expliqué le professeur Jörk Gerkrath.

Droit européen, droit pénal et droit pénal européen

"Le droit européen est un droit d’avenir, en mutation, comme sont en mutation les sociétés auxquelles il est destiné", qui sont sous la pression simultanée de la mondialisation et de certains espaces politiques qui se concentrent pour mieux se coordonner. Dans ce contexte, où la mondialisation touche le droit, "l’UE a montré ce dont elle est capable". En ces quelques mots, Yves Bot avait dressé le cadre général des propos prospectifs qui allaient suivre.

L’UE qui se construit est un système soumis à la loi, à l’Etat de droit. Elle est un espace économique, mais aussi un espace de justice, de liberté et de sécurité. La construction de cet espace est souvent critiquée pour le déficit démocratique dans lequel elle s’opère. D’autre part, la libre circulation existe pour des personnes qui peuvent en profiter pour commettre des délits. Se pose alors la question de la liberté de circulation des policiers et des juges. C’est dans ce contexte que s’inscrit pour Yves Bot "l’arrivée d’un espace pénal européen" et aussi  l’éventualité d’un parquet européen, qui est inscrit dans le traité de Lisbonne (article 86 du traité sur le fonctionnement de l’UE ). Selon l’avocat général, le parquet européen apparaît dans le traité de Lisbonne comme "une structure hiérarchisée, intégrée, coordonnée, à l’image d’une intégration qui est reçue dans certains Etats membres avec réserve".

La réalité des choses soulève de toute façon la question d’un droit pénal européen applicable de manière transfrontalière pour lutter contre des actes délictuels transfrontaliers commis contre l’UE et la sécurité des citoyens. Pour Yves Bot, il ne faut pas cacher l’évidence que si on parle de parquet européen, on parle également de droit pénal.

Il se trouve néanmoins que le caractère fondamental du droit pénal est qu’il est un droit d’autorité qui exprime une souveraineté, qu’il constitue même un des derniers domaines de souveraineté des Etats membres, et qu’il compte également comme droit de rendre justice, avec le droit de battre monnaie, de lever l’impôt et de faire la guerre, parmi les fonctions régaliennes les plus anciennes propres à un Etat. "Et quand les fonctions régaliennes se rencontrent, il y a inévitablement des frictions", souligne Yves Bot.

Le droit pénal réprime des infractions. Mais la notion d’infraction est une notion autonome dans les droits nationaux. Le droit pénal est, pour pouvoir être utile, transversal. Il est un droit expressif qui exprime des valeurs, une exigence qui s’adresse à un éventuel droit pénal européen. Ces caractéristiques sont les paramètres d’une discussion à laquelle on ne peut échapper.

A partir de ce cadre plus général, Yves Bot a abordé le statut d’un éventuel parquet européen, les conséquences de sa création et les moyens concrets par lesquels il pourrait agir.

La question du statut du Parquet européen

Le parquet européen sera-t-il de nature judiciaire ? Si un livre vert de la Commission l’affirme en 2001, le traité de Lisbonne ne se prononce pas. Mais l’article 86 du traité sur le fonctionnement de l’UE dit que le Parquet européen peut être institué à partir d’Eurojust "pour combattre les infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union", qu’il sera "compétent pour rechercher, poursuivre et renvoyer en jugement, le cas échéant en liaison avec Europol, les auteurs et complices d'infractions portant atteinte aux intérêts financiers de l'Union", qu’"il exerce devant les juridictions compétentes des États membres l'action publique relative à ces infractions" et que ses attributions pourraient être étendues "à la lutte contre la criminalité grave ayant une dimension transfrontière". Le fait que ce Parquet européen exerce une action publique "a une signification très précise pour les pénalistes dans le sens où il arrête des décisions". Bref, le Parquet européen serait une autorité judiciaire qui viendrait s’ajouter au dispositif européen. 

Quelles en seraient les conséquences ? Créer le Parquet européen à partir d’Eurojust, cette organe institué en 2002 et chargé de renforcer la lutte contre les formes graves de criminalité par le biais d'une coopération judiciaire plus étroite au sein de l'Union européenne, est-ce que cela veut dire qu’il sera une copie, donc un organe collégial, ou qu’il sera dirigé par un Procureur unique ? Le Livre vert de 2001 parlait d’une entité dirigée par une seule personne. Mais comme l’a dit Yves Bot, "la sensibilité des Etats membres n’est pas décidée à faire ce genre de pas". Il est difficile de convaincre un Etat membre d’abandonner ses prérogatives. La référence à Eurojust semble donc plutôt viser une dimension collégiale. Néanmoins, dans la mesure où ce Parquet européen aurait des fonctions coercitives, il devrait quand même avoir un statut particulier et une indépendance statutaire à l’instar de la CJUE.

Quel contrôle juridictionnel des actes du Parquet européen ? Il serait l’agent d’une action publique centralisée, qui mettrait en cohérence l’action dans plusieurs Etats membres. Serait-il contrôlé par la CJUE constituée en chambre spéciale ou par une juridiction spécialisée de l’UE ? Une autre possibilité serait de confier le contrôle juridictionnel à une justice nationale. Faire une large part au contrôle juridictionnel national serait une bonne chose pour Yves Bot. Et si au niveau national, il n’y avait pas un niveau de recours adéquat, la CJUE pourrait toujours être compétente de manière préjudicielle. "Beaucoup de discussions en perspective" pour l’avocat général de la CJCE, mais cela ne changera rien à la création tôt ou tard du parquet européen.

Les moyens possibles du Parquet européen

Selon Yves Bot, le Parquet européen travaillera concrètement dans l’optique d’une coordination, pas d’une coopération. La coopération, comme celle qui s’opère à travers le mandat d’arrêt européen, fait qu’un pays X demande à un pays Y que lui soit livrée une personne qui a commis un délit dans le pays X où il devrait être jugé. Le Parquet européen interviendrait sur des infractions, comme par exemple la fraude à la TVA, qui a été commise dans plusieurs pays de l’UE. Face à un "dessein criminel unique" qui s’est exercé sur plusieurs territoires, le Parquet européen "centraliserait" l’action publique qui devrait déboucher sur un jugement dans un pays, mais pour tout ce qui a été commis aussi dans les autres pays.

Bien évidemment, le fait que certaines infractions sont autrement qualifiées selon les Etats membres pose problème, et le principe de la légalité des délits et des peines pourrait en souffrir. Quelle peine devient applicable ? Il existe certes une approximation des règles pénales qui joue un rôle important et rend les extraditions possibles. Mais reste toujours le problème du critère légal pour la légalité des principes. L’article 82 du traité sur le fonctionnement de l’UE apporte quelques éléments de réponse : les règles minimales sur l'admissibilité mutuelle des preuves entre les États membres, les droits des personnes dans la procédure pénale et les droits des victimes de la criminalité. Mais elles posent problème, quand un Etat à règles maximales reçoit une procédure à règles minimales. Et puis il y a le principe de la reconnaissance mutuelle des jugements et décisions judiciaires, "utile et nécessaire", selon Yves Bot, et « la solution possible » à ces problèmes.

Yves Bot a conclu son exposé en expliquant que le droit pénal est un droit qui a "une épaisseur humaine", et que travailler à un droit pénal européen, c’est "un élargissement en profondeur de l’UE". Mais cela "ne se fera pas dans la facilité ni l’immédiateté". Le côté spécifique du droit pénal européen n’aura cependant pas pour effet que la CJUE sera en dehors de son élaboration. Et l’adhésion de l’UE à la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), aura pour conséquence que ses principes ne pourront pas rester en dehors de la construction globale du droit de l’UE.

La discussion

Un des intervenants dans la discussion, le professeur Stefan Braum, a évoqué une étude conjointe de l’Université du Luxembourg et du Max-Planck-Institut qui a écarté la création d’un Parquet européen dirigé par un Procureur européen. Les juristes interrogés optaient plutôt pour un renforcement de la reconnaissance mutuelle que pour une centralisation qui risquerait d’imposer un droit. L’intervenant a aussi attiré l’attention sur le fait qu’un Parquet européen peut être créé avec l’accord des Etats membres, mais sans cadre légal suffisant. Des problèmes pratiques et de principe, entre autres liés aux droits de la défense, pourraient se poser. Dans ce contexte, comment un Parque européen pourrait générer sa légitimité?   

 Yves Bot n’a pas nié que des problèmes et questions se posent effectivement au niveau des droits de la défense, des avocats commis d’office, de la représentation des victimes et des règles d’indemnisation. La création d’une institution comme le Parquet européen suppose selon Yves Bot "une démarche d’intégration qui passe au début par une coopération renforcée", comme le traité la prévoit, car certains pays resteront opposés à cette institution. La relation entre règles minimales et maximales est un problème. Mais ce n’est pas le seul et il convient de trouver une solution par exemple au cas d’un procureur qui lance un mandat européen pour obtention de preuves, et qui se voit répondre par le procureur du pays auquel la demande a été adressée qu’il obtiendra ces preuves quand l’action dans son pays sera terminée. C’est ce genre de constellation qui doit être évitée et qui rend un Parquet européen nécessaire.

A une question posée par un des juges de la CJUE sur la nécessité de donner au Parquet européen la possibilité de recourir à une police fédérale, Yves Bot a répondu qu’Europol pourrait évoluer. Resterait la relation entre des polices qui ont un rôle administratif et judiciaire et une police de l’UE qui aurait un rôle strictement judiciaire. Une autre possibilité serait d’étendre les compétences des polices nationales dans les procédures transfrontalières. L’UE pourrait leur adresser des requêtes expresses pour sortir des limites territoriales normales, par le biais d’une prorogation de compétences qui existe d’ores et déjà dans les droits nationaux. Actuellement, on crée des "équipes communes d’enquête", et il y a également les analyses d’Europol livrées aux Etats membres.

Et l’impact de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH) ? Sous l’angle de l’application des garanties, cette adhésion de l’UE va constituer une "forte charge symbolique" selon Yves Bot. Toute procédure devra respecter la CEDH. Le droit produit par les deux Cours, celle de Luxembourg et de Strasbourg, est complémentaire. La Cour de Strasbourg offre des normes au droit de l’UE pour des procédures centralisées. La CJUE livre de son côté des garanties à travers les questions préjudicielles d’urgence qui peuvent lui être adressées et qui reçoivent une réponse endéans les 3 mois. D’un autre côté, la CEDH a été appliquée sur le droit de l’UE avant qu’il n’y ait eu la Charte des droits fondamentaux. Le principe du "non bis in idem" vaut entre les deux Cours. Bref il y n’a pas de risque que le droit prononcé par les deux Cours s’oppose. Et de par leur complémentarité, le contentieux de Strasbourg sera de fait délesté d’un certain nombre de procédures, ce qui allégera sa charge de travail.              

 

* Biographie officielle d’Yves Bot

né en 1947; diplômé de la faculté de droit de Rouen; docteur en droit (université de Paris II Panthéon-Assas); professeur associé à la faculté de droit du Mans; substitut puis premier substitut au parquet du Mans (1974-1982); procureur de la République près le tribunal de grande instance de Dieppe (1982-1984); procureur de la République adjoint près le tribunal de grande instance de Strasbourg (1984-1986); procureur de la République près le tribunal de grande instance de Bastia (1986-1988); avocat général près la cour d'appel de Caen (1988-1991); procureur de la République près le tribunal de grande instance du Mans (19991-1993); chargé de mission auprès du ministre d'État, garde des Sceaux (1993-1995); procureur de la République près le tribunal de grande instance de Nanterre (1995-2002); procureur de la République près le tribunal de grande instance de Paris (2002-2004); procureur général près la cour d'appel de Paris (2004-2006); avocat général à la Cour de justice depuis le 7 octobre 2006.(source : site de la CJUE)