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Justice, liberté, sécurité et immigration - Marché intérieur
Selon l’avocat général Cruz Villalón, six États membres, dont le Luxembourg, ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu du traité en réservant l’accès à la profession de notaire à leurs propres ressortissants
La participation de la profession de notaire à l’exercice de l’autorité publique ne peut justifier une discrimination directe en raison de la nationalité
14-09-2010


Par une série de recours en manquement, la Commission demande à la Cour de Justice de l'Union européenne (CJUE) de constater que la Belgique, la France, le Luxembourg, l’Autriche, l’Allemagne et la Grèce ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu du traité en réservant l’accès à la profession de notaire à leurs propres ressortissants, et, également, en vertu de la directive 2005/36, à l’exception de la France, en omettant de l’appliquer aux notaires.CJUE

Jusqu’à présent, lorsque la Cour de justice s’est prononcée sur d’autres professions, elle a déclaré que celles-ci ne participaient pas directement et effectivement à l’exercice de l’autorité publique. Néanmoins, bien que l’activité notariale participe à l’exercice de l’autorité publique, l’avocat général, Cruz Villalón, dans les conclusions rendues le 14 septembre 2010, estime qu’il serait nécessaire de rechercher, en fonction du degré de participation à l’exercice de l’autorité publique propre à l’activité de notaire, dans quelle mesure une telle condition de nationalité apparaît nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis.

Ainsi, en premier lieu, l’avocat général examine si la profession de notaire participe à l’exercice de l’autorité publique. À cet égard, il rappelle que ne sont susceptibles d’être exclues du champ d’application de la liberté d’établissement que les activités qui, prises en elles-mêmes, constituent une participation directe et spécifique à l’exercice de l’autorité publique et que ladite exclusion ne peut bénéficier à l’ensemble d’une profession que dans les cas où les activités participant à l’exercice de l’autorité publique constituent un élément non détachable de l’ensemble de l’activité professionnelle en cause. En outre, selon l’avocat général, le critère déterminant pour apprécier si une activité participe à l’exercice de l’autorité publique est celui de la nature de sa relation avec l’ordre étatique.

Dans la mesure où l'authentification confère une qualification publique propre à des actes, dispositions et initiatives qui, sinon, n’auraient pas eu d’autre valeur juridique que celle attachée à l’expression d’une volonté d’ordre privé, et qu'elle constitue l’élément central, non détachable, de la fonction notariale dans tous les États concernés, il convient d'affirmer que la profession de notaire, de manière générale et comprise dans son ensemble, participe directement et spécifiquement à l’exercice de l’autorité publique.

En second lieu, l’avocat général recherche si cette participation à l’exercice de l’autorité publique peut justifier de subordonner l’accès à la profession de notaire à une condition de nationalité. À cet égard, il rappelle que le fait qu’une activité soit exceptée du champ de la liberté d’établissement n’exempte pas les États membres de se conformer au droit de l’Union. Dans ce cadre, dès lors que la mesure en question touche à l’activité notariale et, en conséquence, à un ensemble de personnes physiques, elle doit être examinée à la lumière du statut de citoyen de l’Union qui garantit la libre circulation des personnes lorsque les libertés économiques ne sont pas applicables.

En conséquence, dans la mesure où une condition de nationalité utilise la citoyenneté comme critère de rattachement, c’est-à-dire la nationalité de l’État comme motif pour entraver l’accès à l’activité, une telle discrimination en raison de la nationalité constitue une intrusion grave dans la sphère du citoyen européen qui ne saurait être admise qu’au terme d’un strict contrôle de proportionnalité.

À cet égard, l’avocat général observe que, parmi les garanties et spécificités entourant la profession de notaire, aucune ne justifie une mesure aussi sévère et drastique que la discrimination directe en raison de la nationalité. En particulier, s’agissant de la prestation de serment accomplie par les notaires avant leur entrée en fonction, l’avocat général estime que la notion de loyauté n’exige pas nécessairement un lien de nationalité.

En conclusion, l’avocat général considère que, dans les circonstances précises propres à la profession de notaire, le traité s’oppose à une mesure étatique qui discrimine en raison de la nationalité ceux qui souhaitent accéder à cette profession, car ladite mesure, dès lors qu’elle ne correspond pas au degré de participation de l’activité en question à l’exercice de l’autorité publique, apparaît disproportionnée. En conséquence, il propose à la Cour de déclarer que, en réservant l’accès à la profession de notaire à leurs seuls ressortissants, les six États membres ont manqué aux obligations qui leur incombent en vertu du traité.

Enfin, en ce qui concerne l’infraction à la directive 2005/36, l’avocat général rappelle que, dans le cadre d’un recours en manquement, il appartient à la Commission d’établir que l’État concerné a commis une infraction aux dispositions du droit de l’Union. Or, l’avocat général considère que la Commission n’a pas établi à suffisance l'applicabilité de la directive à la profession de notaire, de sorte que la Cour devrait rejeter le recours pour le surplus.

Pour rappel, les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

Contexte

Pour un nombre significatif d’États membres et, notamment, pour les États membres concernés par les affaires C-47/08 ( Commission / Belgique), C-50/08 (Commission / France), C-51/08 (Commission / Luxembourg),  C-53/08 (Commission / Autriche), C-54/08 (Commission / Allemagne) et C-61/08 (Commission / Grèce), le notaire a pour principale fonction d’authentifier les actes juridiques. Le notaire intervient à la demande d’une partie et, par le biais de l’authentification, après avoir constaté la capacité juridique et celle d’agir des parties, ainsi que la réunion de l’ensemble des conditions exigibles à la réalisation de l’acte, il opère un contrôle de légalité de l’acte qu’il authentifie. L’authentification implique que l’acte jouit d’une force probante renforcée, ainsi que d’une force exécutoire. Le statut du notaire est celui d’un officier public qui représente l’État, alors même que son activité est considérée comme constituant l’exercice d’une profession libérale.

La question qui sous-tend les présentes affaires est celle de savoir si la fonction de notaire participe ou non à l’exercice de l’autorité publique (un recours en manquement dirigé contre les Pays-Bas (affaire C-157/09) portant sur cette question est actuellement pendant devant la Cour). En effet, d’une part, le traité prévoit que les activités qui participent, même à titre occasionnel, à l’exercice de l’autorité publique sont exceptées de l’application des dispositions relatives à la liberté d’établissement; d’autre part, la directive 2005/36  affirme que le système de reconnaissance des qualifications professionnelles qu’elle établit ne préjuge pas de cette exclusion, notamment en ce qui concerne les notaires.