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Politique étrangère et de défense
Cycle de conférences "Penser l'Europe" de l’IPW : Vers une Europe puissance ?
20-10-2010


Dans le cadre de son cycle de conférences intitulé "Penser l'Europe ", l'Institut Pierre Werner (IPW), avait invité le 20Institut Pierre Werner octobre 2010 deux experts en relations internationales à s'interroger sur la question "Vers une Europe puissance ?"

Il s’agissait de Pascal Boniface, directeur de l’Institut de Relations Internationales et Stratégiques de Paris (IRIS), et de Wolfram Hilz, professeur de sciences politiques à l’Université de Bonn. Ils ont livré leur analyse de l’impact de l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne sur le poids de l’UE et ils ont confronté leurs points de vue sur cette question.

Contre Machiavel qui dit que mieux vaut être craint qu’être aimé, Pascal Boniface préconise une Europe fédérant ses énergies pour défendre ses intérêts, mais qui se fera aussi aimer et apprécier dans le monde

Pascal Boniface a entamé son analyse avec le constat que le plus grand Etat membre en termes économiques et de population de l’Union, l’Allemagne, avait entretemps moins de réticences à se considérer comme une puissance en Europe, ce qui était une bonne nouvelle pour la France, à condition que cette puissance se mette au service du projet européen. Mais cette Europe, qui ne peut rester à l’écart des grands enjeux mondiaux, a du mal à se considérer comme une puissance, car ce concept a une connotation négative. L’idée de puissance est souvent associée à celle d’agressivité, laquelle est loin de distinguer l’UE après les leçons que le continent a tirées de la 2e Pascal BonifaceGuerre Mondiale. 

Où l’UE se situe-t-elle ? Dans un monde occidental uni, ou en concurrence avec les Etats-Unis, ou désolidarisée d’eux, ou forcément anti-américaine, si elle se constitue en puissance ? Non, répond Pascal Boniface à toutes ses alternatives. D’autant plus que les choses ont changé aux Etats-Unis avec l’élection de Barack Obama. Cette élection est selon le politiste français d’abord une opportunité et une bonne nouvelle pour l’UE, car le président américain est perçu comme plus multilatéraliste, de sorte que l’UE pourrait théoriquement miser sur un renforcement mutuel entre UE et Etats-Unis. D’un autre côté, et c’est moins positif, l’UE n’est pas une priorité pour Barack Obama, car elle ne pose aucun problème majeur aux Etats-Unis et ne peut pas contribuer à la solution des grands problèmes auxquelles ils font face.

L’Europe se présente donc comme "une puissance tranquille", un concept formulé par Tzvetan Todorov, une puissance au service du droit qui a aussi un volet militaire, mais bien encadré par le multilatéralisme et les normes juridiques. Sous Bush, explique Pascal Boniface, il était facile pour l’Europe d’être populaire dans le monde et d’y faire figure de "bons Occidentaux". Avec Obama, cet avantage comparatif a disparu. Conséquence : l’Europe doit mieux s’organiser, ce qu’elle fait. Et si la mise en place actuelle du Service d’action extérieure peine encore, Pascal Boniface plaide pour l’indulgence et la patience, car "les projets d’organisation de l’UE seront d’abord mesurés à l’aune de l’Histoire".

Il y a une décennie, le discours sur l’Europe-puissance s’articulait autour de la question du fossé entre l’Europe, géant économique, et l’Europe, nain politique, et l’idée était de mettre le volet politique en accord avec le volet économique. Entretemps, la dimension "géant économique" est devenue plus relative du fait de l'émergence de puissances économiques à fort taux de croissance, et si l’Europe ne cessera pas demain d’être une superpuissance économique, ces écarts de croissance peuvent créer à terme de sérieux problèmes.

Pascal Boniface a aussi souligné que s’il en était terminé du monde bipolaire, les Etats-Unis restaient toujours la première puissance mondiale, alors que l’UE ne dispose toujours pas d’autonomie stratégique. D’autre part, rien ne menace actuellement la sécurité territoriale de l’UE. Ni la Chine, ni la Russie ne sont des superpuissances. Et l’unique hyper-puissance existante, les USA, ne sont plus en mesure d’imposer leur volonté à des acteurs comme l’Iran ou les Etats du Proche Orient.

La situation actuelle rend manifeste une tendance lourde de l’histoire : la fin de cinq à six siècles de monopole de la puissance de l’Occident dans le monde. De nouvelles puissances moyennes émergent qui ne font plus référence à l’Europe et à ses valeurs, comme l’Indonésie, l’Iran, ou, selon Pascal Boniface, la Turquie, et restent donc insensibles aux "leçons de morale" qui pourraient leur être dispensées par l’Occident.

Il n’en reste pas moins que le développement d’autres puissances est pour l’UE une opportunité. Et vu que sa population ne constituera plus dans 20 ans que 6 % de la population mondiale, elle doit fédérer ses énergies. Dans ce sens, l’idée d’Europe-puissance est un projet pour tous les Européens, non pas pour reconquérir la place que l’Europe détenait dans le passé, mais pour faire face aux défis qui s’annoncent. Et, en antithèse au précepte de Machiavel, selon qui mieux vaut être craint qu’être aimé, Pascal Boniface préconise une Europe qui se fera aimer et apprécier dans le monde.                                     

Wolfram Hilz : L’Europe est une "puissance tranquille" pas si tranquille qui gagnera en potentiel en mieux coordonnant ses politiques extérieures

Wolfram Hilz s’est, quant à lui, demandait s’il valait la peine pour l’UE de se mettre en capacité de participer à la configuration du monde différent en gestation. Si l’Europe se met en posture de puissance voulant participer à cette configuration, elle s’expose nécessairement à la comparaison avec les autres acteurs : les Etats-Unis, la Chine, la Russie, etc. Et alors elle apparaît toujours comme un "acteur composite", ce qui peut freiner les enthousiasmes. En fait, sa capacité d’agir ne souffre selon Wolfram Hilz que si les ambitions qu’on lui fait porter dépassent sesWolfram Hilz capacités. Mais leur logique propre pousse les politiques à alimenter ces ambitions. Les discussions sur le rôle de la dissuasion nucléaire en Europe – avec le Royaume Uni et la France qui disposent de telles armes et l’Allemagne qui se refuse à entrer dans une telle logique – illustrent cette dimension.

La question sur les objectifs que l’UE a pu atteindre et ceux qu’elle ne pourra pas atteindre se pose alors. Comme acteur multi-étatique, elle joue selon Wolfram Hilz dans une autre division que les puissances mono-étatiques. D’autant plus que certaines puissances européennes, comme la France du fait de son arsenal nucléaire, jouent sur les deux registres, affichant tour à tour leur puissance mono-étatique tout en étant partie prenante d’un acteur multi-étatique, alors que d’autres, comme l’Allemagne, font preuve d’une plus grande retenue.

Partant du bilan de ce que l’UE a pu réaliser sur la scène mondiale, Wolfram Hilz est aussi d’avis qu’elle est une "puissance tranquille", mais néanmoins pas si tranquille que cela, si l’on tient compte des 25 opérations civiles et militaires extérieures menées en sept ans, en partie avec succès, justement parce que l’UE n’est pas une hyper-puissance. Et le chercheur de citer comme exemples l’opération en Bosnie, EULEX au Kosovo ou Atalanta dans le Golfe où l'UE tente de protéger les voies maritimes insécurisées par les pirates de la côte somalienne. Sur d’autres dossiers, comme le changement climatique ou les rapports avec la Chine, l’UE n’a par contre pas été à même de bien défendre ses intérêts communs, et l’intérêt national rejaillit. A l’OMC, bien qu’unie, elle n’a pas réussi à arriver à des compromis avec les Etats-Unis afin que les négociations sur une nouvelle réglementation du commerce international puissent être conclues sur une base euro-américaine.

Pour Wolfram Hilz, le traité de Lisbonne n’apporte pas grand chose. "Je suis content que l’on n’ait pas voulu donner le titre de ministre des Affaires étrangères de l’Union au poste qu’occupe Catherine Ashton. Son titulaire aurait sombré corps et biens. La Haute représentante ne dispose d’aucune autonomie. Mais elle pourra être utile en rétablissant avec le service d’action extérieure et en coordination avec le reste de la Commission la cohérence des politiques européennes en matière de développement, de commerce extérieure" a ainsi expliqué le chercheur. Et dans ce sens, une Union qui aura des politiques extérieures plus coordonnées ne sera pas seulement une puissance tranquille, mais disposera d’un grand potentiel au niveau global.