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Agriculture, Viticulture et Développement rural - Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
Selon la CJUE, la réglementation de l'Union sur la publication des informations relatives aux bénéficiaires de fonds européens agricoles est partiellement invalide
La première réaction au Luxembourg a été le retrait de la page sur les bénéficiaires sur le site Internet du Ministère de l'Agriculture, qui se félicite de l'arrêt
09-11-2010


CJUEEn mars 2009, le député libéral du Nord, Fernand Etgen, avait abordé dans une question parlementaire le problème de l’équilibre entre la transparence sur l’attribution des aides agricoles communautaires et la protection des données à caractère personnel. Fernand Etgen s’était référé à l’obligation de publication sur Internet des noms des bénéficiaires du FEAGA et du FEADER ainsi que des montants reçus par chaque bénéficiaire qui étaient publiées sur le site Internet du Ministère de l’Agriculture.

En même temps, Fernand Etgen avait fait référence à un jugement du 27 février 2009 d’un tribunal administratif allemand, en l’occurrence celui de Wiesbaden, qui avait jugé que la publication de ces données était "contraire aux dispositions relatives à la protection des données à caractère personnel», mais qui avait aussi  demandé à la CJCE de statuer, à titre préjudiciel, sur la conformité de la publication des données des bénéficiaires de subventions agricoles avec la réglementation européenne en matière de protection des données personnelles. Il avait posé au ministre de l’Agriculture la question si, au vu de cet arrêt, "il ne serait opportun de suspendre la publication sur internet des données en cause."

La réponse du gouvernement luxembourgeois en mars 2009

En procédant à la publication de ces données, le Luxembourg avait, selon le ministre de l'Agriculture, obéi à une obligation supranationale et a limité les données à publier au strict minimum prévu par la réglementation communautaire. Pour Fernand Boden, le ministre de l’Agriculture de l’époque, "des méthodes autres que la publication des données des agriculteurs bénéficiaires de subventions pourront être envisagées pour garantir la transparence de l'utilisation des fonds communautaires dans le cadre de la politique agricole commune", mais "avant de prendre de décision, quelle qu'elle soit", il fallait attendre que la CJCE se prononce.

Entretemps, la Centrale Paysanne avait aussi entamé, par la voie de son président et de son vice-président, un recours devant le Tribunal administratif luxembourgeois contre la publication sur Internet des données des bénéficiaires des aides FEADER et FEAGA. Comme dans le Land de Hesse, les plaignants avaient été renvoyés à la réponse de la CJUE à la question préjudicielle.

L’arrêt de la Cour de Justice de l’UE du 9 novembre 2010 et les premières réactions au Luxembourg

Or, la CJUE, qui a succédé à la CJCE, s’est prononcée le 9 novembre 2010 par un arrêt dans les affaires jointes C-92/09 et 93/09 Volker und Markus Schecke GbR et Hartmut Eifert / Land Hessen qui n'a pas manqué de susciter des réactions au Luxembourg, la première ayant été que depuis l'après-midi du 9 novembre, la page des publications des données des bénéficiaires n'est plus accessible, la deuxième la publication d'un communiqué dans lequel "le ministère de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement rural se félicite de cet arrêt, qui confirme la position qu’il a défendue depuis les premières discussions de la réglementation en question." Et la Centrale paysanne, jointe par Europaforum.lu, a abondé dans le même sens.

Dans son arrêt, la Cour constate que "la réglementation de l'Union sur la publication des informations relatives aux bénéficiaires de fonds européens agricoles est partiellement invalide. L'obligation de publication des noms des personnes physiques bénéficiaires d'une telle aide ainsi que les montants précis qu'elles ont perçus constitue, au regard de l'objectif de transparence, une mesure disproportionnée."

"Le droit de l'Union européenne relatif au financement des dépenses relevant de la politique agricole commune prévoit que les États membres assurent la publication annuelle a posteriori des noms des bénéficiaires du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) ainsi que des montants reçus par chaque bénéficiaire au titre de chacun de ces Fonds*.

Le site Internet de l'Office fédéral pour l’agriculture et l’alimentation allemand ("Bundesanstalt") tient à la disposition du public les noms des bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader, la localité où ils sont établis ou résident et le code postal de celle-ci, ainsi que les montants annuels perçus. Ce site est équipé d’un outil de recherche.

Volker und Markus Schecke GbR, une entreprise agricole (affaire C-92/09) et Hartmut Eifert, un exploitant agricole à plein temps (affaire C-93/09) ont introduit, au titre de l’exercice 2008, auprès de l’autorité locale compétente, des demandes de fonds provenant du FEAGA et du Feader, auxquelles il a été fait droit par décisions de décembre 2008.

Par leurs recours, Volker und Markus Schecke GbR et Hartmut Eifert demandent au Verwaltungsgericht Wiesbaden (tribunal administratif de Wiesbaden, Allemagne) d'enjoindre au Land Hessen de ne pas publier les données les concernant. Estimant que la réglementation de l'Union concernant l’obligation de publication de ces données par le Bundesanstalt constitue une atteinte injustifiée au droit fondamental à la protection des données à caractère personnel, la juridiction nationale demande à la Cour de justice d'examiner la validité de cette réglementation.

La Cour relève, d’une part, que le respect du droit à la vie privée à l’égard du traitement des données à caractère personnel, reconnu par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, se rapporte à toute information concernant une personne physique identifiée ou identifiable et, d’autre part, que les limitations susceptibles d’être légitimement apportées au droit à la protection des données à caractère personnel, correspondent à celles tolérées dans le cadre de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

La Cour observe ensuite que la publication sur un site Internet des données nominatives relatives aux bénéficiaires du FEAGA et du Feader et aux montants précis perçus par ceux-ci constitue, en raison du fait que ces données deviennent accessibles aux tiers, une atteinte au droit des bénéficiaires concernés au respect de leur vie privée, en général, et à la protection de leurs données à caractère personnel, en particulier. Pour être justifiée, une telle atteinte doit être prévue par la loi, respecter le contenu essentiel desdits droits et, dans le respect du principe de proportionnalité, être nécessaire et répondre effectivement à des objectifs d’intérêt général reconnus par l’Union ou au besoin de protection des droits et libertés d’autrui. Par ailleurs, les dérogations à la protection des données à caractère personnel et les limitations de celle-ci doivent s’opérer dans les limites du strict nécessaire.

Dans ce contexte, la Cour estime que si, dans une société démocratique, les contribuables ont le droit d’être tenus informés de l’utilisation des fonds publics, il n’en demeure pas moins qu’une pondération équilibrée des différents intérêts en cause nécessitait, avant l’adoption des dispositions contestées, la vérification, par les institutions concernées, du point de savoir si la publication au moyen d’un site Internet unique par l'État membre et librement consultable des données nominatives relatives à tous les bénéficiaires concernés et aux montants précis provenant du FEAGA et du Feader perçus par chacun de ceux-ci – et cela sans opérer de distinction en fonction de la durée, de la fréquence ou du type et de l’importance des aides perçues – n’allait pas au-delà de ce qui était nécessaire à la réalisation des objectifs légitimes poursuivis. Or, s’agissant des personnes physiques bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader, il n’apparaît pas que le Conseil et la Commission ont cherché à effectuer une telle pondération équilibrée.

La Cour conclut donc qu'en imposant la publication de données à caractère personnel relatives à toutes les personnes physiques bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader, sans opérer de distinction selon des critères pertinents, tels que les périodes pendant lesquelles elles ont perçu de telles aides, la fréquence ou encore le type et l’importance de celles-ci, le Conseil et la Commission ont excédé les limites qu’impose le respect du principe de proportionnalité. Dans cette mesure, il y a donc lieu de déclarer invalides certaines dispositions du règlement 1290/2005 et le règlement 259/2008 dans son ensemble.

Eu égard au nombre élevé de publications qui ont eu lieu dans les États membres sur la base d’une réglementation considérée comme étant valide, la Cour reconnaît que l’invalidité constatée de ces dispositions ne permet pas de remettre en cause les effets de la publication des listes des bénéficiaires d’aides du FEAGA et du Feader effectuée par les autorités nationales pendant la période antérieure à la date du prononcé de l'arrêt dans ces affaires."

Rappel du contexte légal :

Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d'un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.

 

* Règlement (CE) n° 1290/2005 du Conseil, du 21 juin 2005, relatif au financement de la politique agricole commune (JO L 209, p. 1), tel que modifié par le règlement (CE) n° 1437/2007 du Conseil, du 26 novembre 2007 (JO L 322, p. 1) et le règlement (CE) n° 259/2008 de la Commission, du 18 mars 2008, portant modalités d’application du règlement n° 1290/2005 en ce qui concerne la publication des informations relatives aux bénéficiaires de fonds en provenance du Fonds européen agricole de garantie (FEAGA) et du Fonds européen agricole pour le développement rural (Feader) (JO L 76, p. 28).