Une équipe de recherche conduite par Philippe Poirier, professeur associé de science politique et coordinateur du programme de recherche sur la Gouvernance européenne à l’Université du Luxembourg, et composée de Patrick Dumont, Raphael Kies, Astrid Spreitzer et Maria Bozinis, vient de publier l’étude sur les élections législatives et européennes effectuée dans le cadre du projet ELECT 2009 pour la Chambre des députés.
Il s’agit de la 3e étude menée par une équipe de recherche quasi-similaire depuis 1999 commandée par la Chambre des Députés.
L’Université a été chargée de mener cette étude dans un contexte européen qui veut offrir une réflexion sur l’Etat de la démocratie, ses valeurs, ses institutions et ses transformations en Europe et en particulier au Luxembourg.
Plusieurs projets sont nés dans ce contexte : les projets ELEC, DEMOLUX, POLUX et OUMMALUX. Ces projets de recherche sont combinés avec des programmes de recherche européens, notamment PIREDEU-EUDO (Institut universitaire européen de Florence) qui sont conduits par un consortium des chaires et des centres en études législatives. Au Luxembourg, l’acteur en charge est le Programme de recherche « Gouvernance européenne » de l’Université du Luxembourg.
Le chapitre 1 aborde les législations, les partis et la campagne électorale au Luxembourg. Il retrace d’une part les transformations du système politique luxembourgeois (avec la modification de la loi électorale, la promulgation de la loi sur le financement des partis politiques et les évènements qui ont marqué la législature 2004-2009) et analyse d’autre part les enjeux et défis de la législature 2004-2009.
Il se focalise sur la campagne électorale de septembre 2008 à juin 2009 aussi bien à travers les sondages que par un dépouillement exhaustif de la presse quotidienne et hebdomadaire luxembourgeoise de langue allemande et française à caractère politique.
Le chapitre 2 a pour objet les conditions de la formation de l’opinion, de la représentation et de la médiation en politique au Grand-Duché. Ce chapitre informe particulièrement sur la façon dont les citoyens forment leurs intentions de vote, les stratégies des partis tant dans le choix des candidatures que dans la mise en forme de leurs identités politiques et leurs relations avec les autres acteurs du système politique, communément appelés la « société civile ».
Le chapitre 3, qui traite des résultats des élections législatives et européennes, introduit non seulement de nouveaux modes de calculs pour la présentation des résultats, mais établit aussi des corrélations entre des caractéristiques sociodémographiques, tirées des données du recensement de 2001, des données statistiques sur la population en 2008 et en 2009 du STATEC et de l’IGSS de 2009 et des résultats des partis au niveau des 116 communes du Luxembourg. La masse et la qualité des données dont les chercheurs ont pu disposer sont considérées comme uniques en Europe.
Les chapitres 4 et 5 sur les électorats dans le sondage post-électoral visent, quant à eux, à établir le portrait sociologique des électorats des partis et de leurs valeurs à travers tant les classiques déterminants du vote, comme la structure par âge, par genre, par niveau d’instruction et par situation face à l’emploi, que par l’échelle des valeurs "matérialistes"/ "post-matérialistes".
En plus de l’étude des Luxembourgeois, pour la première fois, les étrangers résidant au Luxembourg sont eux aussi analysés.
Le chapitre 6 étudie les bulletins de vote. Ce chapitre marque la continuité avec les études précédentes sur les élections législatives et européennes, puisque c’est la huitième fois qu’il est procédé à un échantillonnage des bulletins réels pour les élections législatives. Cette analyse permet, d’une part, d’évaluer les proximités entre les partis eux-mêmes et, d’autre part, de mesurer les performances des politiques électorales personnelles des candidats, indépendamment de leurs affiliations partisanes.
Nouveauté en 2009, les bulletins pour les élections européennes ont également été étudiés.
Les auteurs de l’étude ont défini 8 enjeux :
Les sondages ont été réalisés par TNS-ILRES sous la responsabilité de Charles Margue, directeur d’études, et d’Antonella Di Pasquale, statisticienne analyste.
Le chapitre 2 de l’étude qui aborde la formation de l’opinion électorale montre que les élections communales et nationales sont jugées importantes, voire très importantes par 93,5 % et respectivement 94,7 % des personnes interrogées. Les européennes sont jugées importantes, voire très importantes par 75,6 % des personnes interrogées. A noter que ces personnes ne sont que 25 % pour estimer que les européennes sont très importantes, alors qu’elles sont entre 55 et 70 % à juger les autres types d’élections très importantes.
Du point du vue de l’âge, les plus de 65 ans sont les plus nombreux à considérer les élections européennes (très) importantes (82,6 %) et les moins nombreux sont les 50-64 ans (71,7 %) et non pas, comme on aurait pu le supposer, les jeunes électeurs (18-24 ans et 25-34 ans) qui présentent un score identique de 72,7 %.
Les femmes sont plus nombreuses que les hommes à donner de l’importance aux élections européennes (81,1 % versus 74,4 %).
Les électeurs attribuant le plus d’importance aux élections européennes sont ceux de la Gauche (82,5 %), des Verts (81,6 %) et du CSV (79,4 %). Les électeurs qui accordent le moins d’importance aux élections européennes sont les libéraux (74,2 %), dont la tête de liste a cependant été le député européen le mieux élu, les socialistes (73,3 %) et, surtout, ceux de l’ADR (58,5 %).
L’intérêt marqué pour la campagne électorale nationale a été en 2009 de 70,5 %, et de 51,6 % pour la campagne européenne, l’intérêt pour la campagne nationale augmentant avec l’âge des électeurs, l’intérêt pour la campagne européenne étant élevé chez les jeunes, baissant chez les 25-45 ans, et remontant ensuite.
Pour la campagne pour les élections européennes, les électeurs les plus intéressés se trouvaient dans le CSV (59,1 %), chez les Verts (56 %) et dans le parti libéral (55,4 %). Les électeurs les moins intéressés à la campagne étaient ceux de la Gauche (53,6 %), du LSAP (51,1 %) et, loin derrière, ceux de l’ADR (28,1 %).
Quant aux sources d’informations des électeurs pour les élections européennes, la presse, la télévision et la télévision dominent la scène, comme pour les nationales. Toutes les sources d’information sont devenues plus importantes, mais l’importance d’Internet a triplé par rapport à 2004, passant de 7 à 21 %.
En tout, un tiers (33 %) des candidats aux européennes de 2009 s’était déjà présentés pour les élections européennes de 2004. Il s’agit d’un taux de reproduction qui est largement inférieur au scrutin national qui est de 46,5 %.
Par rapport aux élections de 2004, on observe une diminution très importante des candidats possédant un mandat politique. Globalement seuls 35,4 % des candidats en possédait un alors qu’en 2004 plus du double (72,6 %) en possédait un. Cette diminution vertigineuse des candidats ayant un mandat politique s’explique en grande partie par l’interdiction que se sont imposés les principaux partis (LSAP, CSV, DP, Les Verts) de présenter des doubles candidatures pour les élections européennes et nationales.
Les grands partis, ne pouvant plus jouer sur la notoriété de leurs meilleurs candidats sur les deux tableaux, ont privilégié de les placer dans la compétition nationale et de réserver pour la compétition européenne des têtes de listes dont la compétence européenne est reconnue, tels que Claude Turmes pour Les Verts, Astrid Lulling pour les CSV, et Charles Goerens pour les libéraux. Le seul parti n’appliquant pas la double candidature qui a maintenu un niveau de candidat avec mandats relativement élevé est le LSAP, dont quatre des six candidats possédaient un mandat politique.
La moyenne nationale de l’âge des candidats aux européennes était de 50,9 ans, ce qui constitue une baisse de 1,4 an par rapport à 2004. Le parti où les candidats étaient les plus âgés était le LSAP, avec une moyenne d’âge de 56,9 ans.
Aux élections de 2009, 17 femmes et 31 hommes ont présenté leur candidature. Le pourcentage de femmes candidates aux élections européennes a atteint cette fois-ci 35,4 % du total des candidatures.
La présence des candidats étrangers n’a cessé d’augmenter depuis 1994, moment où pour la première fois ils ont eu le droit d’être candidats aux européennes. Celle-ci est passée de 6,8 % en 1994 à 8,3 % en 1999, à 11,9 % en 2004, pour atteindre 16,7 % en 2009. En tout 7 des 42 candidats aux européennes étaient des étrangers en 2009. Les candidats présentés aux européennes 2009 étaient avant tout des Portugais (4 candidats), il y avait aussi un Italien, un Français et un Allemand.
Selon les auteurs de l’étude, il est probable que le nombre de candidats étrangers ainsi que leur popularité augmentera avec l’accroissement des résidents communautaires qui s’inscrivent pour devenir électeurs.
Ces derniers, qui ne représentaient que 3,1 % en 1994, ont représenté 11,5 % de l’électorat aux européennes de 2009. Si cette augmentation se poursuit, on peut s’attendre à ce que les partis politiques soient plus motivés à accroître l’importance attribuée aux candidatures des étrangers.
Les chapitres 3 et 4, qui traitent des valeurs et des comportements politiques des Luxembourgeois et des étrangers, apportent des éléments importants pour comprendre le contexte électoral.
La propension plus marquée à voter pour une liste plutôt que nominativement aux élections européennes demeure en 2009. Néanmoins on constate que la différence avec les législatives s’est considérablement réduite, passant de près de 5 % en 2004 à un peu plus de 2 % en 2009.
Les auteurs de l’étude constatent un resserrement, une homogénéisation des comportements électoraux entre scrutins nationaux et européen. Il est pour eux probable que les réformes de la loi électorale, qui ont visé à rendre l’élection des membres du Parlement européen plus proche dans ses modalités (autant de candidats que de sièges à pourvoir et un double vote personnalisé autorisé) de celle des membres de la Chambre des Députés aient joué ou continuent de jouer un rôle pour renforcer cette tendance.
La tendance à la hausse (+ 4 %) dans le poids des votes nominatifs aux européennes provient en partie de la physionomie particulière du vote pour les libéraux. Alors que leur score augmente de 3,8 %, la part des votes nominatifs s’accroît elle de pas moins de 7 % en raison du résultat personnel de sa tête de liste Charles Goerens.
Mais l’accroissement principal du taux de votes nominatifs provient des Verts : alors que celui-ci était de 33,9 % seulement en 2004, il passe à 46 % en 2009, soit une hausse de plus de 12 %, grâce au résultat personnel de Claude Turmes.
Dans le même temps, on enregistre aussi davantage de votes personnalisés auprès de l’ADR (+ 6 %), de La Gauche (une hausse de près de 6 %) et du LSAP (+2 %).
L’échantillon de 3.273 bulletins de vote pour les européennes tirés après le scrutin a permis aux auteurs de l’étude d’estimer la proportion de votes panachés intra-liste (plusieurs candidats sur une même liste) et inter-listes parmi les personnes ayant émis un vote panaché.
Cette analyse a révélé une proportion très proche de celle observée aux législatives, avec un rapport de 1 à 3 quasi parfait, les bulletins comprenant des votes inter-listes représentant presque 75 % de l’échantillon. Ce nouveau résultat a renforcé une des conclusions de l’étude, celle de la ressemblance (croissante) des comportements électoraux entre les types de scrutins. Une telle ressemblance s’est également vérifiée pour les abstentions et votes blancs.
Le résultat du CSV aux européennes de 2009 contraste nettement avec celui réalisé aux législatives. Les résultats du CSV à l’élection du Parlement européen étaient habituellement supérieurs à ceux pour la Chambre des Députés. Pour les élections européennes de 2009, cela n’a pas été le cas. Les résultats ont été nettement moindres (31,36 %). Sa chute de près de 6 points (soit la plus lourde qu’il ait enregistré à ce type de scrutin) lui procure son moins bon résultat électoral depuis la première élection directe de l’assemblée européenne en 1979.
La situation électorale du LSAP est encore plus préoccupante puisque les socialistes passent pour la première fois sous la barre des 20 % (19,48 %), un plancher historique ici aussi. Les socialistes sont désormais talonnés par les libéraux (qui avaient obtenu un meilleur score que les socialistes en 1979 aux européennes mais demeuraient derrière ceux-ci en 1999 malgré leur statut de deuxième plus grand parti aux législatives de cette année-là qui les vit revenir aux affaires) suite à leur regain net de près de 4 points.
Notons cependant que le résultat du DP (18,66 %) est seulement son deuxième plus faible score (après 2004) depuis l’élection directe du Parlement européen, la moyenne de ses résultats absolus à ce type de scrutin dans la période 1979-2009 étant supérieure à 20 %.
Alors que Les Verts avaient frappé fort en 2004 aux européennes en passant la barre des 15 %, ils confirment en augmentant leur score de 1,81 points, soit une hausse environ quinze fois supérieure à celle des législatives. Le parti écologiste emmené par son député européen sortant établit ainsi un nouveau record à 16,83 %. Il s’agit du deuxième plus gros score d’un parti écologiste aux élections européennes et du meilleur en Europe si l’on s’en tient aux résultats des partis au niveau national.
Le parti souverainiste ADR recule moins aux européennes qu’aux législatives, mais avec 7,39 % il a été trop faible pour remporter un des six sièges à pourvoir.
Enfin La Gauche et le PCL font tous deux un peu mieux qu’aux législatives, leur score combiné approchant d’autant plus les 5 % (4,91 %) malgré le résultat du nouveau venu BL lui aussi meilleur aux européennes qu’au scrutin national, avec un niveau très proche de celui du Parti communiste, soit près de 1,5 %. Au total donc, les petites listes obtiennent 6,29 % (pour 5,56 % aux législatives) à l’élection du Parlement européen.
En 2009, c’est dans les communes où les employés luxembourgeois sont comparativement les plus nombreux que le CSV s’est le mieux maintenu aux européennes, le parti sombrant en revanche là où les agriculteurs sont proportionnellement mieux représentés. Il perd le plus là où la proportion d’ouvriers luxembourgeois, de travailleurs du secteur de la construction et de la santé sont importantes. Les taux de fonctionnaires, de Luxembourgeois travaillant dans le secteur public ou encore de la finance sont eux corrélés positivement aux évolutions des scores du CSV.
En 2009, on constate que tant l’électeur chrétien-social des législatives que celui des européennes a tendance à davantage provenir de communes où les Luxembourgeois déclarant un statut d’agriculteur est plus important, mais aussi là où les indépendants ont une plus grande part dans la population résidente (le lien avec les indépendants luxembourgeois est aussi positif mais non significatif). Les meilleurs scores absolus se trouvent tant pour un niveau que l’autre dans les communes les moins peuplées et où la densité de population est aussi plus faible.
En 2009, le LSAP s’est le mieux comporté aux européennes dans les communes à taux d’indépendants luxembourgeois et de personnes travaillant dans l’administration publique comparativement plus importants, tandis qu’il enregistrait le plus de pertes là où les employés, les salariés de l’industrie et les travailleurs du secteur du commerce sont proportionnellement plus nombreux. Les moins bons scores par rapport à 2004 sont aussi observés dans les communes les plus peuplées.
Les plus grands gains du DP aux européennes proviennent des communes à forts taux d’ouvriers et d’agriculteurs luxembourgeois, mais aussi à faible taux d’employés et fonctionnaires luxembourgeois. Le lien avec les travailleurs intellectuels indépendants est aussi significatif et négatif.
Les évolutions de scores les plus positives concernent encore les communes à forte proportion de salariés de la santé, de la construction, du commerce et de l’éducation, et à faible taux de personnes travaillant dans le secteur de la finance.
Enfin, les gains du DP aux européennes ont surtout été importants là où le taux de chômage est le plus grand, là où la part d’actifs étrangers est comparativement basse et la densité de population plutôt faible.
A la différence de 2004, les gains du DP de 2009 se sont surtout faits dans des communes à profil moins aisé.
Les meilleurs résultats absolus des Verts pour l’élection du Parlement européen de 2009 se trouvent là où la proportion des travailleurs intellectuels indépendants augmente et la part d’agriculteurs luxembourgeois baisse, et là où la part de l’administration publique dans les secteurs de travail des luxembourgeois est plus importante.
Les questions économiques – l’emploi, le chômage, la crise financière - dominent à près de 60 % les préoccupations exprimées par les électeurs. Des questions importantes par le passé comme les retraites ou l’environnement reculent.
Le CSV est jugé être, avec 57 % des opinions, le parti le plus "compétent" pour aborder des solutions pour 13 sur 14 des problèmes rencontrés. Le LSAP le suit avec 19 %. Les Verts sont classés n°1 pour les questions de l’environnement.
En épluchant la presse, les chercheurs sont arrivés à la conclusion que le gouvernement ressort comme l’acteur n°1 de la campagne électorale, le DP comme premier parti, mais aussi que les idées des organisations patronales sont plus souvent évoquées alors que l’évocation de celles des ONG écologistes est en net déclin. Les petits partis sont fortement typifiés : l’ADR équivaut à l’identité, les Verts à l’environnement.
Les Luxembourgeois se présentent comme un électorat vieillissant, dominé par les non-actifs, plus "fonctionnarisé", plus inquiet économiquement, plus euro-désillusionné aussi qu’en 2004. Reste qu’ils ont une grande confiance dans l’Etat, l’état de la démocratie et ses institutions.
L’électorat du CSV et du LSAP est plus âgé que la moyenne, celui du DP et des Verts plus jeune. Les plus âgés se sont sur-mobilisés pour le CSV. Tout porte à conclure que les non-actifs seraient proches de la majorité électorale. Le niveau d’instruction des électeurs luxembourgeois, moins élevé que la moyenne de l’UE, est en progression générale. C’est chez les Verts que les électeurs qui ont la meilleure instruction sont surreprésentés.
L’électorat luxembourgeois est marqué en 2009 par une "légère droitisation", surtout le CSV, dont l’électorat se situe lui-même plus à droite que la direction du parti. A gauche surtout, on vote au nom des principes de base des partis. Ce qui convainc aussi, ce sont, pour les partis de la coalition sortante, le bilan du gouvernement, le programme électoral chez les Verts, le DP et l’ADR, et les têtes de listes au CSV et au LSAP. Dans l’ensemble, on vote cependant d’abord pour les candidats, surtout dans les grands partis.
L’économie que souhaite la très grande majorité de l’électorat luxembourgeois est celle d’un Etat néo-keynésien, où l’on est attaché à un modèle social de régulation. Reste que le pessimisme économique et le matérialisme économique dominent, et que les Verts sont un peu "libéraux".
En 2009, l’angoisse économique était forte, touchant à différents degrés 80 % de l’électorat.
70 % des répondants se sont prononcés en faveur de la préférence nationale pour l’emploi, y compris et au même niveau d’intensité chez les électeurs des deux partis de la majorité CSV et LSAP. Une situation unique dans l’UE, et cela bien qu’il n’y ait aucun parti politique qui prône la préférence nationale, comme c’est le cas pour les partis d’extrême droite en France ou en Italie.
Cette interrogation sur l’avenir économique révèle aussi, comme en 2004 aux élections législatives et en 2005 lors du référendum sur le Traité constitutionnel européen, une "convulsion identitaire forte" notamment lorsque l’on prête attention au taux d’adhésion à la préférence nationale au travail. 71,1 % de l’ensemble des sondés sont d’accord avec une telle proposition (+ 3,1 % par rapport à 2004). Seul l’électorat de La Gauche, positionnement identique à 2004, n’accorde pas de façon majoritaire son soutien à une telle mesure.
Ce "chauvinisme social" ne s’accompagne pas d’un processus de légitimation de l’exclusion politique des non-Luxembourgeois. Ce paradoxe avait déjà été remarqué en 2004. Bien au contraire, la participation électorale des ressortissants communautaires et extracommunautaires à toutes les élections (européennes, législatives et communales) est fortement soutenue par les citoyens luxembourgeois à la condition d’un délai de résidence de cinq ans. Plus de 57,9 % d’entre eux sont d’accord avec cette proposition (en léger recul toutefois par rapport à 2004). Tous les électorats des partis supportent de façon majoritaire cette offre politique à l’exclusion de l’ADR et de sa dissidence. 13 % des Luxembourgeois sont aussi en faveur d’une telle proposition après un délai de deux ans et 7,3 % sans conditions particulières. Sur une échelle droite-gauche, plus le parti est à gauche, plus ses électeurs souhaitent une redéfinition de la communauté des citoyens au bénéfice d’une plus grande inclusion mais dans une proportion moins grande par rapport à 2004 (plus de 67,6 % pour les électeurs de La Gauche et plus de 65,5 % pour Les Verts, etc.).
A plus de 85 %, les Luxembourgeois ont une grande confiance dans la démocratie nationale, sauf chez les électeurs de l’ADR et de la gauche radicale. Et même s’ils sont autour de 60 % à avoir confiance dans la démocratie européenne, cette confiance a subi une « forte dégradation » selon les chercheurs, notamment auprès des électeurs du LSAP, de la gauche radicale et de l’ADR.
Moins d’un tiers des répondants accordent leur confiance au Parlement européen (29,3 %, -1 point par rapport à 2004), au Conseil européen (27,6 %, - 4,8 points) et à la Commission européenne (25,3 %, -2 ,4 points) qui sont pourtant les acteurs essentiels de la gouvernance européenne. Pour la Commission européenne, l’étude parle carrément de "crise de légitimité".
Seule la Cour de Justice de l’Union européenne, située à Luxembourg, reçoit une approbation majoritaire des Luxembourgeois. 57 % des personnes interrogées déclarent avoir confiance dans cette institution.
Le Médiateur européen, institution généralement peu connue des citoyens européens, reçoit un niveau de confiance de 34,7 %. Tout comme le Médiateur luxembourgeois, on peut émettre l’hypothèse d’un désir certain pour une autre forme de gestion et de règlement des conflits non seulement avec l’administration mais aussi au-delà d’un cadre strictement partisan.
Pour les auteurs de l’étude, "ces sentiments sont les témoignages conjoints
La confiance dans la "judiciarisation" du processus décisionnel européen est avant tout soutenue par les électorats chrétiens sociaux, libéraux et écologistes (respectivement 66 %,
61,9 % et 60 % accordent leur confiance à la Cour de Luxembourg). Les électorats traditionnellement eurosceptiques et opposés à la méthode communautaire sont naturellement ceux qui sont les moins enclins à le faire : 71,4 % des communistes, 37,5 % des électeurs de la Gauche et 31,4 % des partisans de l’ADR affirment ne pas avoir confiance dans une telle institution pour une moyenne générale de rejet de 17,1 %.
Le soutien à l’appartenance du Luxembourg à l’Union européenne, bien qu’en légère baisse est toujours très élevé (81 % en 2009, 86,3 % en 2004), avec une nouveauté de taille : pour la première fois depuis 1999, deux électorats, en l’occurrence celui du PCL et de l’ADR (et sa dissidence) ne considèrent plus majoritairement que cette adhésion européenne soit une "bonne chose".
De plus, le sentiment que c’est une "bonne chose" a reculé aussi de près de 10 points dans l’électorat des Verts et de 7 % dans celui de La Gauche par rapport à 2004. Le "non" de gauche au Traité constitutionnel européen est donc renforcé et a jeté les fondations d’un euroscepticisme politique à moyen terme.
Ce phénomène est confirmé à travers d’autres questions où socialisme national et souverainisme libéral s’ajoutent l’un à l’autre dans le chef de l’électeur luxembourgeois.
Ainsi 46,1 % des personnes interrogées jugent tendanciellement que l’intégration de l’Union européenne est déjà allée trop loin (35,6 % en 2004).
L’électorat de l’ADR – par ailleurs le plus attaché à la préférence nationale des partis représentés à la Chambre des Députés – est comme en 2004 en adéquation avec le choix idéologique de la direction du parti puisqu’ils sont 64,7 % (et sa dissidence) à considérer que l’approfondissement de la méthode communautaire et la poursuite de l’élargissement sont allés trop loin. Mais il faut remarquer aussi que 50 % des libéraux, 44,4 % des chrétiens-sociaux et 43,6 % de l’électorat socialiste sont du même avis et donc en contradiction avec les principes fondamentaux de leurs partis sur la question européenne.
Qui plus est, moins d’un tiers des sondés affirment que les intérêts du Luxembourg sont bien en accord avec les politiques de l’Union européenne, soit près de 12 points de moins qu’en 2004. Ce sont toujours les électeurs de l’ADR qui sont les plus souverainistes, en y ajoutant cette année les électeurs communistes. Ce qui frappe le plus, c’est la perte de confiance sur cette question chez les électorats chrétiens-sociaux, libéraux et socialistes dont les formations sont pourtant très attachées à la méthode communautaire. Le sentiment de conformité des précisions prises par l’UE avec les intérêts du Grand-duché suivant les partis, qui ont toujours été membres d’un des gouvernements depuis 1957, perd entre 10 et 12 points d’opinions positives par rapport à 2004.
Plus grave pour la légitimité de l’Union européenne et de son fonctionnement, 27,8 % des électeurs estiment que les décisions prises par l’Union sont conformes à leur intérêt personnel (-5 points par rapport à 2004). Les électorats marxisants et souverainistes sont persuadés du contraire dans des proportions très fortes (entre 91 % et + suivant les partis). Les votants démocrates, socialistes et écologistes partagent aussi, à plus de deux tiers ce sentiment et, de manière exponentielle par rapport à 2004. La crise de confiance personnelle envers l’Union européenne est d’autant plus forte que par exemple 67 % des électeurs chrétiens-sociaux ne sont pas "certains", et "pas du tout certains", que l’Union européenne correspond à leur intérêt personnel.
Pour mieux mesurer l’ambivalence des sentiments à l’égard de l’Union européenne, les chercheurs ont introduit de nouvelles questions sur l’approfondissement - c’est-à-dire l’extension de la méthode communautaire à tous les piliers de l’Union européenne et l’élargissement de celle-ci. 68,2 % des personnes interrogées considèrent que l’élargissement et l’approfondissement de l’Union sont des buts contraires. Tous les électorats partagent ce sentiment de façon majoritaire. A l’exclusion de l’électorat de l’ADR, tous les autres estiment que l’intégration européenne signifie d’abord l’approfondissement de l’Union européenne de façon majoritaire, avec une moyenne de 65,5 %.
Cet attachement à la méthode communautaire dès lors que des intérêts du Luxembourg sont garantis n’empêche nullement que les Luxembourgeois veulent clairement une pause dans le processus d’adhésion de nouveaux Etats-membres et particulièrement vis-vis de la Turquie. Seulement 17,3 % d’entre eux souhaitent que l’Etat d’Asie mineure devienne membre de l’Union européenne. 29,9 % seulement sont d’accord pour dire que tout nouvel élargissement serait une bonne chose pour le fonctionnement institutionnel de l’Union. En revanche, l’élargissement est apprécié de façon majoritaire par les Luxembourgeois au niveau des économies européenne et luxembourgeoise à l’exception de l’ADR et de la Gauche pour les deux niveaux, du LSAP pour le niveau national.
Les Luxembourgeois manifestent très fortement à nouveau, après le référendum sur Traité le constitutionnel européen en 2005, l’estime qu’ils portent à leur modèle social national. 46,3 % des électeurs de juin 2009 jugent que le modèle social luxembourgeois est menacé par l’intégration européenne. Tous les électorats de gauche et de centre gauche sont au-dessus de la moyenne nationale, à l’exception des Verts et de l’électorat souverainiste. Cette très forte minorité est très proche sur cette question de l’euroscepticisme scandinave.
De manière générale, entre 70 et plus de 90 % des Luxembourgeois estiment que le Gouvernement du Luxembourg doit intervenir dans les principales politiques publiques contemporaines, notamment les politiques de la santé et de la fiscalité. De nouveau, l’attachement au modèle social national et au souverainisme fiscal apparaît.
Seulement 30 % des répondants souhaitent que l’Union européenne intervienne dans la politique fiscale. Les électeurs aux législatives soutiennent fortement les actions de l’Union européenne dans la politique de la justice, dans la politique extérieure, dans la politique de la recherche, l’égalité hommes-femmes et la politique monétaire (respectivement 77,6, 71,8, 68,5, 66,3 et 66 %). L’électorat du DP est particulièrement acquis au souverainisme libéral. Seulement 38,5 % de celui-ci est acquis à l’idée que l’Union européenne devrait intervenir dans la politique économique (pour une moyenne de 56,1 %) et 17,1 % dans le domaine de la fiscalité.
En moyenne sur toutes les politiques proposées, ce sont les électeurs verts qui peuvent être considérés comme les plus europhiles en juin 2009. Les électorats verts et chrétiens-sociaux convergent aussi une nouvelle fois par leurs moyennes bien supérieures aux autres partis sur l’action souhaitée de l’Union européenne dans le domaine de la politique de la justice, de la politique extérieure, de la politique sociale, de la politique de la recherche et de la politique de l’environnement.
Tout comme en 2004, la construction sociale de son identité révèle aussi que les Luxembourgeois ont une forte inclination envers la seule nationalité luxembourgeoise. 29,7 % (31 % en 2004) des Luxembourgeois jugent qu’ils n’ont jamais pensé être à la fois citoyen luxembourgeois et citoyen européen, dont 59,1 % (57,5 % en 2004) des électeurs de l’ADR, plus de 35 % des électeurs du DP, plus de 30 % à la fois des électeurs des Verts et de la Gauche. L’appartenance identitaire multiple est avant tout le fait des électeurs chrétiens-sociaux qui sont 30 % à la penser souvent (en progression par rapport à 2004). Le DP perd près de 17 points sur cette question d’une identité luxembourgeoise et européenne vécue "souvent".
En revanche, et c’est là un paradoxe, les Luxembourgeois étaient très fiers d’être citoyens de l’Union européenne. C’est parmi les électorats du CSV et du DP que l’on retrouvait le plus ce sentiment d’ "orgueil européen" (respectivement 33,5 % et 30,1 %)
Les chercheurs de l’Université du Luxembourg, qui donnent à dessein aux étrangers le qualificatif "d’autres grand-ducaux", ont constaté qu’il y a chez eux, alors qu’ils représentent 42 % de la population résidente, dans l’ensemble, un "alignement progressif sur le vote des Luxembourgeois". Ce sont surtout les Verts qui progressent fortement chez les non-Luxembourgeois.
Mais la "proximité partisane" varie selon les nationalités. Les Portugais se situent plus au centre- centre gauche. La droitisation est plus forte chez les Français. Chez les Italiens, les socialistes détiennent une position forte. Chez les Allemands et les Belges, les socialistes sont au plus bas, en dessous de10 %, alors que les Verts remporteraient 35 % chez les premiers et 27 % chez les seconds.
Somme toute, le "vote virtuel" des "autres grand-ducaux" se serait en 2009 aligné sur celui des Luxembourgeois, mais avec une prime pour le CSV et les Verts au niveau national. Au niveau communal, les choses se seraient avérées plus complexe, avec un DP fort pour la Ville de Luxembourg.
En gros, les Portugais, les Français, les Allemands penchent plutôt vers le CSV, les Italiens et les Français vers les socialistes, les Belges et les Allemands vers les Verts et les anglo-saxons et scandinaves vers le DP. Il y aurait une surreprésentation du vote des Français pour le LSAP et pour le CSV, une surreprésentation des Belges pour les Verts et le DP. Autre élément important : le vote des étrangers réduirait très fortement la présence parlementaire de l’ADR et permettrait à la Gauche radicale d’obtenir un siège de plus.
Pour les élections européennes, le comportement des "autres grand-ducaux" aurait été "quasi-identique", mais la prime pour le CSV et les Verts aurait été encore plus forte.
80 % des "autres grand-ducaux" seraient selon l’étude en faveur d’une double citoyenneté vécue pleinement, mais pas forcément en faveur de la double nationalité, une option que la loi sur la nationalité propose au Luxembourg.
Les étrangers étaient plus intéressés par les élections européennes au niveau du Luxembourg et de l’Union européenne que dans les Etats limitrophes du Luxembourg (respectivement 56,9 %, 50,8 % et 39,8 %).
Très nettement les Allemands (72,1 %), les Italiens (64,4 %) et les étrangers d’autres citoyennetés (61,8 %) auraient été les plus intéressés aux élections européennes au Luxembourg alors que les Français et les Belges l’auraient été dans des proportions équivalentes aux trois campagnes au Luxembourg, dans les Etats limitrophes et au niveau de l’Union européenne (entre 50 et 55 % pour chacune d’entre elles). Une très courte majorité de Portugais auraient pris en considération la campagne électorale européenne.
La citoyenneté européenne, contrairement à ce qui est écrit dans les Traités européens, ne s’ajouteraient pas forcément aux citoyennetés nationales pour les étrangers du Luxembourg, mais se vivrait plutôt territorialement par rapport au lieu de résidence principale et dans une moindre mesure en relation avec l’Union elle-même. Il faut ajouter aussi, que plusieurs Européens résidant au Luxembourg n’ont pas la possibilité de voter dans leur pays d’origine en raison de restrictions législatives précises ou de processus administratifs décourageant l’exercice de ces droits politiques au scrutin européen.
Les étrangers du Luxembourg, à l’image des Luxembourgeois, ont eu une grande difficulté à relier leur vote aux élections européennes aux partis politiques européens auxquels appartiennent les partis pour lesquels ils ont voté. Ce sont les électeurs des gauches européennes qui seraient les mieux à même de faire le lien entre parti national et parti européen.
Conclusion des auteurs de l’étude : L’identification à un système politique européen et la reconnaissance de ces acteurs principaux, les partis politiques européens, est donc encore très lointaine parmi les étrangers (idem pour les Luxembourgeois). C’est selon eux l’une des clés d’explication de la crise de légitimité de l’Union auprès d’une partie des Européens.
Pour les européennes, 38 % des votes migrants sont allés au DP, 31 % aux Verts, 13 % au CSV, 4 % aux socialistes et le reste aux autres petits partis. 60 % des électeurs du CSV qui ont migré ont migré vers la liste DP et 28 % vers les Verts. 25 % des migrants du LSAP ont migré vers les Verts et 10 % vers le DP.
Le vote nominatif a augmenté de 1,4 % depuis les élections de 2009, passant à 48 %. En termes de résultat en électeurs réels, l’étude constate qu’une majorité d’électeurs de 52,8 % a voté nominativement aux élections nationales, une hausse de près de 2 % par rapport à 2004 et de près de 5 % par rapport à 1999.
Aux élections européennes, le vote nominatif est de 48 %. Les chercheurs ont procédé pour la première fois pour les élections européennes à un tirage d’échantillons de bulletins nominatifs qui leur a permis de voir quel type de vote nominatif (panachage), intra ou inter-listes, a le plus augmenté.
Aux élections européennes, 75 % des bulletins nominatifs expriment un vote inter-listes. Charles Goerens, l’eurodéputé sortant et le mieux réélu en 2009, se retrouve sur 55 % des bulletins nominatifs aux élections européennes et sur 66,1 % des bulletins inter-listes, ce qui explique les fortes migrations des votes vers le DP. Il y a eu un "effet Goerens", et dans une moindre mesure un « effet Turmes » en faveur de la liste des Verts, puisque ce dernier était présent sur 41 % des bulletins de vote aux européennes.
Les élections législatives et européennes de juin 2009 ont été déterminées, sinon « écrasées » par la crise économique et financière qui a touché officiellement le Grand-duché à l’automne 2008 entraînant l’ébranlement de la place financière, première pourvoyeuse des recettes pour l’Etat et source d’inquiétudes pour le corps électoral désormais composé majoritairement à la fois de fonctionnaires et d’inactifs.
Ainsi, au printemps 2009, plus de 60 % des personnes interrogées déclaraient spontanément que les défis les plus importants que le Luxembourg devait relever, étaient économiques, particulièrement ceux du chômage et de l’emploi.
L’ampleur de la crise, jamais atteinte jusqu’alors au Luxembourg a provoqué un "réalignement électoral" au bénéfice du parti chrétien-social CSV, plus que jamais le "Parti de l’Etat".
C’est là une exception en Europe. Tous les gouvernements qui se sont présentés devant les électeurs après le début de la crise ont été sanctionnés. Les Luxembourgeois préoccupés de l’avenir de leur modèle social de concertation, de l’efficience et de la compétitivité de leur économie ainsi que de la pérennité de l’aile protectrice de l’Etat, ont accordé au Premier ministre Jean-Claude Juncker et à ses pairs, une confiance jamais atteinte pour le mouvement chrétien démocrate depuis les années 50.
La "crispation sociale" de l’ensemble de l’électorat luxembourgeois n’est pas née de la crise financière de l’automne 2008. Si elle gagne en intensité tout au long de la campagne électorale (y compris pour les partis, tous convertis à l’économie sociale de marché et à un agenda néo-keynésien en matière économique), ses origines et sa première expression politique datent en réalité de la campagne référendaire sur le feu Traité constitutionnel européen en 2005. L’angoisse sociale et économique qui s’était révélée alors, nourrissant le "non", n’a fait que progresser parmi toutes les générations, toutes les catégories sociales et toutes les communautés nationales qui constituent aujourd’hui la société grand-ducale.
Contrairement à ce qui s’était passé en 2005, en dépit de la "querelle des drapeaux" en 2007 et de l’introduction de la loi sur la double nationalité en 2008, les élections législatives et européennes n’ont pas ou peu été déterminées par une quelconque question identitaire. Cette absence a provoqué le ressac pour l’ADR, qui s’était pourtant évertué avec un niveau de marketing politique jamais atteint pour cette formation, à en être le champion.
L’agenda socio-économique prédominant n’a pas permis non plus aux tenants du libéralisme culturel, le DP et Les Verts, et aux acteurs en général de l’écologie politique, de peser sur la campagne en dépit de l’arrivée d’une nouvelle génération de leaders politiques pour la formation libérale et de la cogestion des deux plus grandes villes du pays par le mouvement vert, qui pouvait être en soi présentée comme une expérience alternative de gouvernance au niveau national.
La crise, sa thématisation et l’attention portée par les médias aux acteurs du dialogue social, les syndicats et les organisations patronales (une première pour ces dernières) ont empêché que lesdits partis réussissent à monopoliser l’agenda politique de la même manière qu’ils le firent avec succès en 2008 lors du vote de la loi autorisant l’euthanasie, infligeant une mise en minorité historique au Parlement du CSV et de surcroît, obligeant à modifier la Constitution luxembourgeoise après le refus du Chef de l’Etat de la sanctionner à "titre personnel".
Les scrutins national et européen en 2009 se sont aussi déroulés après une vaste réforme de la loi électorale, du vote de la loi sur le financement public de la vie politique et de l’enchâssement constitutionnel des partis.
S’il est encore trop tôt pour mesurer les conséquences sur l’offre politique au Luxembourg des réformes institutionnelles consacrées aux partis, la réduction à six du nombre des candidats pour les listes à présenter aux européennes et la possibilité de donner deux suffrages préférentiels à l’électeur à ce scrutin (en plus de l’engagement moral des partis de présenter des listes séparées de candidats aux européennes et aux nationales, presque respectés par tous) ont chamboulé sérieusement et les résultats de ce scrutin et les comportements des électeurs et des candidats.
C’est sans doute aussi pourquoi les citoyens se sont beaucoup plus informés de la politique européenne bien qu’ils la jugent plutôt "sévèrement", indépendamment des électorats, avec un euroscepticisme encore plus élevé parmi ceux et celles qui déclarent voter de préférence pour la gauche de la gauche (le PCL et La Gauche), pour l’ADR et sa dissidence, la Bierger Lëscht mais aussi pour le LSAP (une réminiscence du référendum de 2005).
Au scrutin européen, les électeurs ont plébiscité Charles Goerens, la tête de liste libérale, qui a su habilement mener une campagne personnelle (confirmant par ailleurs le haut degré d’entreprise politique que permet le système électoral reposant sur des votes préférentiels intra-liste et inter-listes) en articulant "remarquablement" la tension créatrice des attitudes contemporaines des Luxembourgeois vis-à-vis de la construction européenne. L’Union européenne vaut parce qu’elle est une nécessité, qu’elle repose sur l’extension de la méthode communautaire, qu’elle traite à égalité ses états membres et qu’elles consacrent à la fois la pérennité d’un certain modèle social national tout en laissant une certaine concurrence s’établir entre ses économies, sorte de souverainisme libéral "doux". En d’autres termes, le leader libéral a su d’une certaine manière faire la synthèse entre le "oui" et le "non" au référendum constitutionnel de 2005 et se substituer pour un temps au rôle jusqu’alors dévolu exclusivement au CSV : être à la fois le "Parti de l’Etat" et le champion de la cause européenne. Le taux élevé de votes disjoints aux législatives aux européennes, aux alentours des 20 % entre les deux scrutins, ont été pour le moins nourri des plus grands transferts de l’électorat chrétien social vers la "locomotive" libérale qui, devient ainsi le recordman en votes préférentiels dans cette circonscription nationale depuis 1979.
Le phénomène s’est reproduit également pour la tête de liste écologiste, Claude Turmes, qui en plus d’attirer des électeurs CSV, l’a fait aussi au détriment du LSAP qui enregistre par ailleurs l’un des ses plus mauvais scores à ce scrutin (mais c’est l’ensemble de la social-démocratie européenne qui fut sanctionnée aux européennes de 2009). Le LSAP ne s’est pas pour autant "repris" aux nationales, affaibli qu’il est dans son bastion traditionnel, le Sud et, bien qu’il réussisse à conquérir de nouveaux électeurs dans les communes périphériques de la Ville de Luxembourg s’étendant vers les circonscriptions Est & Nord qui, par ailleurs, sont l’objet d’âpres convoitises de la part des Verts et du CSV et dans une moindre mesure du DP.
Les élections législatives de 2009 marquent aussi un nouveau record en termes de part du vote de liste, c’est la plus faible (52 %) de l’histoire électorale. Au niveau du pays, le nombre de personnes effectuant un vote panaché entre plusieurs listes (76,6 %) est à présent plus de trois fois supérieur au vote panaché sur une seule liste (23,4 %). La part du panachage inter-listes et intra-liste est quasi identique aux européennes. Cette évolution court-circuite encore plus la monopolisation de la sélection du personnel politique par les partis.
Dans le même temps, l’offre politique luxembourgeoise commence à attirer les étrangers. Leurs valeurs et leurs comportements politiques "virtuels" font pour la première fois l’objet d’une étude.
De fortes disparités demeurent suivant les groupes nationaux porteurs en soi de cultures politiques clivées. Remarquée et remarquable est la convergence qui existe désormais entre les Luxembourgeois et les "autres grand-ducaux" à la fois sur les valeurs, les thématiques à débattre et bien plus encore sur les préférences partisanes. Sans se désintéresser de leurs systèmes politiques d’origine, les étrangers s’ils en avaient eu la possibilité, auraient voté dans les mêmes proportions (avec une prime toutefois pour le CSV et Les Verts) que les Luxembourgeois aux législatives de 2009.
"Qu’elles que soient les options en termes d’indifférence, d’inclusion, de participation ou d’assimilation, l’ensemble des formations politiques agissant sur le territoire grand-ducal devrait être interpellé par ces citoyens d’un nouveau genre", soulignent les auteurs.
Philippe Poirier (1971), professeur associé de science politique, coordinateur du programme de recherche sur la Gouvernance européenne à l’Université du Luxembourg, professeur associé au Collège des Bernardins et à l’Université Sorbonne Paris IV, co-président du Comité de recherche politique & religion de l’Association internationale de science politique, délégué général de la Fondation européenne des sciences politiques et consortium des études législatives, délégué général de l’Association de science politique du Luxembourg.
Patrick Dumont (1971), chercheur en science politique, co-responsable du réseau international ‘The Selection and Deselection of Political Elites’ (SEDEPE, www.sedepe.net), membre associé du Centre de science politique et de politique comparée (CESPOL) de l’Université Catholique de Louvain, membre du comité de rédaction de la Revue internationale de politique comparée, trésorier de l’Association de science politique du Luxembourg.
Raphael Kies (1973), docteur en science politique de l’Institut universitaire européen de Florence, chercheur en science politique, co-fondateur du E-Democracy Center de l’Université de Genève, associé au Centre d’étude et de documentation sur la démocratie directe de cette même université, membre du Réseau de Démocratie électronique et du groupe de recherche ECPR sur Internet et politique, secrétaire de l’Association de science politique du Luxembourg.
Astrid Spreitzer (1978), collaboratrice scientifique en science politique engagée sur le projet ELECT 2009, doctorante bénéficiant d’une bourse Aide à la Formation Recherche pour une recherche consacrée à Europeanisation of national legislation: The role of the Luxembourgish Parliament.
Maria Bozinis (1972), docteur en science politique de l’Institut universitaire européen de Florence, post-doctorante à l’Université du Luxembourg bénéficiant d’une bourse Aide à la Formation Recherche pour une recherche consacrée à Women in Politics: a study of women’s participation in the political life of Luxembourg.