Yves Mersch, le Président de la Banque centrale du Luxembourg et membre du conseil des gouverneurs de la Banque centrale européenne, a publié dans le quotidien économique belge L'Écho du 28 janvier 2011 une tribune dans laquelle il juge que les mécanismes de gestion des crises, même utiles, sont loin d'être la panacée. Yves Mersch plaide pour des mesures de prévention des crises, dont des sanctions automatiques et un organisme d'experts indépendants - les responsables politiques élus manqueraient de discernement, vu l’obligation de gagner leurs élections - qui inviteraient les États membres à corriger leur orientation économique, donc une intervention qui serait un vrai vaccin contre toute nouvelle contagion financière.
Son point d’attaque : le pacte de stabilité et de croissance (PSC) qui a été un mauvais compromis. Conformément aux critères du Traité de Maastricht, il "quantifie la santé budgétaire des Etats sans pour autant interférer avec leurs politiques fiscales et budgétaires". Mais "la volonté politique permettant l'adoption de mesures budgétaires claires encourageant la stabilité a fait défaut". Le PCS a été assoupli et "les pays de la zone euro n'ont même plus observé la discipline requise par sa version édulcorée". Violé une centaine de fois, il n’a entraîné aucune sanction.
Certains États ont certes été sanctionnés par les marchés, constate Yves Mersch : "La crise de la dette de la zone euro a mis en lumière le manque de volonté ou l'incapacité des politiciens à suivre une politique budgétaire conforme aux critères de stabilité." Pour Yves Mersch, ces violations du PCS sont dues "à la perspective à court terme d'une victoire électorale". Il en conclut qu’il faut "opérer une séparation entre la gestion nationale de la dette et les objectifs électoraux à court terme". Cette séparation "passe par des sanctions automatiques en cas de prodigalité budgétaire et de dette excessive."
Yves Mersch, pense qu’il faut s’opposer à des "évolutions économiques indésirables" avant que les distorsions budgétaires ne se manifestent, dès que des déséquilibres macroéconomiques s’annoncent. Comment ne pas aussi reconnaître le Luxembourg dans ce passage, même s’il évoque aussi le profil de l’histoire récente d’autres pays: "Pendant une certaine période, un marché immobilier en plein essor ou en surchauffe, et un secteur bancaire florissant mais démesuré, peuvent dissimuler la perte progressive de compétitivité et les risques posés à la viabilité budgétaire, comme dans le cas de la zone euro. Il était déjà trop tard quand des budgets nationaux apparemment sains se sont retrouvés en butte à des pressions considérables."
Yves Mersch propose que l’intervention préventive soit le fait d’un collège d’experts qui n’est pas lié au court terme des enjeux électoraux : "Un organisme d'experts indépendants, invitant les États membres à corriger leur orientation économique - sur la base d'indicateurs objectifs et compréhensibles, tels le coût unitaire de la main-d'œuvre - pourrait apporter une contribution importante dans ce sens."
Le président de la BCL se rend bien compte qu’une telle approche qui implique une nouvelle perte de souveraineté ne peut que susciter des froncements de sourcils chez ceux qui détiennent un mandat électif démocratique : "Bien sûr, la classe politique européenne accueille froidement ce genre de proposition et la dénonce comme une ingérence malvenue empiétant sur la souveraineté nationale. Les finances publiques sont après tout l'une des principales prérogatives des États", écrit-il. Et il ajoute en guise de question rhétorique : "Mais la perte partielle de souveraineté ne serait-elle pas compensée par une plus grande solidarité en cas de crise?"
Mais voilà : "Une monnaie stable et des finances publiques saines sont les deux faces d'une même médaille - c'est un fait incontournable." Fort de cette conviction, Yves Mersch pousse vers l’adoption de règles et réglementations "qui mettent davantage l'accent sur la prévention, que la gestion, d'une crise". Pour lui, "ceux qui refusent de céder ne serait-ce qu'une portion de la souveraineté nationale acceptent implicitement que l'irruption d'une nouvelle crise ne soit qu'une affaire de temps."