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Rémunération des dirigeants d’entreprises en Europe : "Faut-il attendre le scandale pour obliger les juristes à intervenir ?", a demandé le juriste grec Konstantinos Sergakis lors d’une conférence à l’Université du Luxembourg
09-02-2011


uni.luLa Faculté de Droit, d'Economie et de Finance (FDEF) de l'Université du Luxembourg avait invité le 9 février 2011 Konstantinos Sergakis, docteur en droit et avocat au barreau d’Athènes, à tenir un séminaire de midi intitulé "Rémunération des dirigeants : développements récents et évolutions possibles en droit européen".

Pour Konstantinos Sergakis, la rémunération des dirigeants des sociétés cotées constitue une question d’intérêt majeur pour les acteurs du marché. L’ensemble informationnel relatif aux rémunérations représente un terrain sur lequel le droit tend à intervenir de manière scrupuleuse. Les exigences juridiques relatives à la divulgation d’informations sur ce sujet doivent en effet promouvoir l’accès à une information utile pour les investisseurs, tout en évitant le risque de générer pour les sociétés des coûts considérables de conformité à une règle contraignante.

Au niveau européen, les étapes suivies jusqu’à présent indiquent une tentative de compromis légitime entre les diverses pratiques mises en place par les droits nationaux en ce qui concerne le contenu et le degré de précision des informations à divulguer sur les rémunérations. Si certains pays incitent les sociétés à une grande transparence sur ce sujet délicat, d’autres ne les y contraignent pas, assurant ainsi un certain degré de confidentialité et de flexibilité en la matière.

En examinant les tentatives du droit européen d’encadrer les rémunérations des dirigeants, et en présentant un aperçu des pratiques nationales divergentes, le juriste grec a essayé de dégager les tendances actuelles d’évolution et les avancées envisagées en Europe.

Efforts européens

Il a d’emblée dressé le constat que le Luxembourg fait partie d’une minorité de pays dans l’UE où il n’y pas d’obligation de dévoiler les rémunérations des dirigeants de sociétés cotées en bourse. Il n’en reste pas moins que le Luxembourg sera impacté par les évolutions qui ont commencé dans le secteur financier et qui auront des effets sur les autres secteurs. Après ses recommandations sur le sujet de 2004, de 2005 et de 2009, la Commission européenne a publié en juin 2010 un Livre vert sur "le gouvernement d'entreprise dans les établissements financiers et les politiques de rémunération". Enfin, le Parlement européen a voté en juillet 2010 une résolution qui dit que les recommandations de la Commission ne sont pas assez respectées et qui demande un cadre avec des normes contraignantes.

L’information sur les rémunérations des dirigeants est pour Konstantinos Sergakis un indicateur des mentalités qui règnent dans une société donnée et renseigne sur l’équilibre entre direction et actionnaires. Il existe une relation entre l’amplification de la prise de risque et les rémunérations exorbitantes qui sont versées aux dirigeants. La crise et la médiatisation de la question des rémunérations des dirigeants a conduit le Conseil européen à rappeler fortement la responsabilité sociale des entreprises. L’UE cherche à trouver un compromis sur le contenu et les procédures par lesquelles ces informations sur les dirigeants d’entreprises pourraient être rendues accessibles. Mais une harmonisation est difficilement envisageable.

Pour Konstantinos Sergakis, le droit européen doit respecter les pratiques nationales tout en insistant sur le principe de transparence - que les entreprises trouvent excessif  - et en restant conscient des limites de l’intervention juridique. Bref, le droit européen doit procéder avec des concepts "nécessairement flous", sans exclure une harmonisation, mais sur une base minimale, comme cela est très souvent le cas en droit européen.

Droits nationaux divergents

Passant en revue les droits nationaux, Konstantinos Sergakis a d’abord évoqué le droit des Etats-Unis, où l’obligation d’informer existe déjà depuis 1938, mais dans un contexte boursier très différent de celui qui existe en Europe. Une "description narrative" et des tableaux sont exigés pour que les investisseurs comprennent les raisons qui justifient telle ou telle rémunération de tel ou tel dirigeant. Depuis juillet 2010, ce "droit sophistiqué" a évolué, rendant obligatoire la publication du lien entre rémunération et performance de l’entreprise, ce qui implique une description narrative de la politique de l’entreprise. L’information va au-delà des premiers dirigeants et concerne d’autres employés, afin que le prix du risque soit mieux compris.

Au Royaume Uni, des règles précises et des codes de bonne conduite ont été adoptés avec succès et ont, selon Konstantinos Sergakis, conduit à plus de transparence. En France, les sociétés doivent divulguer depuis 2001 des informations importantes, et durant le mandat social d’un dirigeant, les autres apports venant de sociétés contrôlées et d’autres mandats doivent être déclarés. La politique de rémunération doit également être rendue publique. Le Danemark, la Hongrie et la Slovaquie ont des cadres obligatoires. La Grèce, la Slovénie et l’Estonie ne disposent d’aucun cadre. L’Allemagne, l’Autriche, la Belgique et la Lettonie disposent de simples recommandations sur la politique de rémunération. Dans d’autres pays européens, les marges d’appréciation sont très larges. Le Luxembourg, où il y a des entreprises qui font de grands efforts, fait néanmoins plutôt partie des pays "opaques". Dans toutes les dispositions nationales, les informations détaillées à livrer diffèrent fortement. Par exemple sur la retraite : l’Autriche ne l’exige pas, la Pologne l’exclut, le Danemark ne veut des renseignements que sur les actions, etc.    

Le coût de la transparence

Un des aspects sur lesquels Konstantinos Sergakis a attiré l’attention, ce sont les coûts de la transparence. L’analyse de sa propre politique par une entreprise peut être coûteuse, comme peut l’être la description narrative de sa politique qui peut aussi révéler des parts secrètes de sa stratégie et détruire ainsi une partie de la valeur de la société. Autre aspect : une divulgation des politiques rémunérations peut être déchiffrée comme un indicateur de pratiques douteuses du côté de la prise de risque et de la relation entre performance et rémunérations. Qu’est-ce qui peut donc obliger une direction de société à divulguer ses salaires et rémunérations ? Même la motivation intrinsèque peut se heurter au risque réel de l’inflation des salaires des dirigeants qu’une divulgation peut induire. Une divulgation sur base individuelle, comme cela se fait dans certains Etats membres, ne semble en tout cas pas très utile à Konstantinos Sergakis.              

"Faut-il attendre le scandale pour obliger les juristes à intervenir ?"

Actuellement, il règne un climat de défiance à l’égard des rémunérations de dirigeants. D’autre part, les énormes écarts entre les manières nationales d’aborder la question rendent selon Konstantinos Sergakis nécessaire un instrument européen faisant de la divulgation du contenu des rémunérations une obligation. S’il existe un risque de destruction des valeurs des sociétés qui doivent s’expliquer, il est néanmoins d’abord nécessaire de mettre en avant la dimension "politique de prévention du risque". Car, a demandé le juriste pendant le débat qui a suivi son exposé, "faut-il attendre le scandale pour obliger les juristes à intervenir" ?