Principaux portails publics  |     | 

Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
Selon un arrêt de la Cour de Justice de l’UE, la prise en compte du sexe de l’assuré en tant que facteur de risques dans les contrats d’assurance constitue une discrimination
02-03-2011


La Cour de Justice de l’UE a rendu le 1er mars 2011 un arrêt dans l’affaire C-236/09 - Association belge des Consommateurs Test-Achats ASBL e.a.. Cette association belge de consommateurs avait saisi le Cour constitutionnelle belge d’un recours en annulation de la loi belge transposant la directive 2004/113/CE.

La directive 2004/113/CE interdit toute discrimination fondée sur le sexe dans l’accès à des biens et services et dans la fourniture de biens et services.CJUE

Ainsi, la directive interdit, en principe, de prendre en considération le critère du sexe pour calculer les primes et les prestations d’assurance des contrats d’assurance conclus après le 21 décembre 2007. Elle prévoit cependant une exception (Art. 5 § 2) selon laquelle les États membres peuvent, à partir de cette date, autoriser des dérogations à la règle des primes et prestations unisexes, pour autant qu’ils peuvent garantir que les données actuarielles et statistiques sous-jacentes sur lesquelles se fondent leurs calculs sont fiables, régulièrement mises à jour et à la disposition du public.

Les dérogations ne sont autorisées que lorsque le droit national n’a pas déjà appliqué la règle des primes et des prestations unisexes. Cinq ans après la transposition de la directive ─ à savoir le 21 décembre 2012 ─ les États membres doivent réexaminer la justification de ces dérogations, en tenant compte des données actuarielles, des statistiques les plus récentes et du rapport présenté par la Commission trois ans après la date de transposition de la directive.

C’est dans le cadre de ce recours que la juridiction belge a demandé à la Cour de justice de l’UE d’apprécier la validité de la dérogation énoncée dans la directive avec des normes de droit supérieur, à savoir le principe d’égalité entre les femmes et les hommes consacré par le droit de l’Union.

La règle des primes et des prestations unisexes s’appliquera à compter du 21 décembre 2012

Dans son arrêt rendu le 1er mars 2011, la Cour souligne tout d’abord que, selon l’article 8 TFUE, l’Union, pour toutes ses actions, cherche à éliminer les inégalités et à promouvoir l’égalité entre les femmes et les hommes. Dans la réalisation progressive de cette égalité, il incombe au législateur de l’Union de déterminer le moment de son intervention en tenant compte de l’évolution des conditions économiques et sociales dans l’Union.

La Cour précise ensuite, que c’est dans ce sens que le législateur de l’Union a prévu, dans la directive, que les différences en matière de primes et de prestations découlant de l’utilisation du sexe comme facteur dans le calcul de celles-ci devaient être abolies au 21 décembre 2007, au plus tard. Toutefois, puisque l’utilisation de facteurs actuariels liés au sexe était très répandue dans la fourniture des services d’assurance au moment de l’adoption de la directive, le législateur pouvait légitimement mettre graduellement en œuvre l’application de la règle des primes et des prestations unisexes avec des périodes de transition appropriées.

À cet égard, la Cour rappelle que la directive dérogeait à la règle générale des primes et prestations unisexes, établie par cette même directive, en accordant aux États membres la faculté de décider, avant le 21 décembre 2007, d’autoriser des différences proportionnelles pour les assurés lorsque le sexe est un facteur déterminant dans l’évaluation des risques, sur la base des données actuarielles et des statistiques pertinentes et précises.

Cette faculté devait être réexaminée cinq ans après la date du 21 décembre 2007, en tenant compte d’un rapport de la Commission, mais, en l’absence, dans la directive, d’une disposition sur la durée d’application de ces différences, les États membres ayant fait usage de cette faculté, sont autorisés à permettre aux assureurs d’appliquer ce traitement inégal sans limitation dans le temps.

Dans ces circonstances, il existe, selon la Cour, un risque que la dérogation à l’égalité de traitement entre les femmes et les hommes prévue par la directive soit indéfiniment permise par le droit de l’Union. Dès lors, une disposition qui permet aux États membres concernés de maintenir sans limitation dans le temps une dérogation à la règle des primes et des prestations unisexes, est contraire à la réalisation de l’objectif d’égalité de traitement entre les femmes et les hommes, et doit être considérée comme invalide à l’expiration d’une période de transition adéquate.

Par conséquent, la Cour déclare que, dans le secteur des services des assurances, la dérogation à la règle générale des primes et des prestations unisexes est invalide avec effet au 21 décembre 2012.

"Une avancée importante pour clarifier le droit fondamental de l’égalité des genres dans le droit européen", selon Viviane Reding

Viviane Reding, vice-présidente de la Commission européenne en charge notamment de l’égalité des genres, thème dont elle a fait un de ses chevaux de bataille, a salué cet arrêt comme "un moment important pour l’égalité des genres dans l’UE".

En arrêtant que "la différence entre primes d’assurance pour femmes et hommes constitue une discrimination basée sur le sexe et n’est pas compatible avec la Charte européenne des Droits fondamentaux", ce qui a pour conséquence que la clause d’eMessage vidéo de Viviane Reding au sujet de l'arrêt de la CJUE le 1er mars 2011xception de la directive devient "illégale", la Cour de Justice marque selon Viviane Reding "une avancée importante pour clarifier le droit fondamental de l’égalité des genres dans le droit européen".

De son point de vue, cet arrêt "souligne la puissance et l’importance de la Charte des Droits fondamentaux" qui a "la même valeur juridique que les traités". Comme l’a souligné Viviane Reding à cette occasion, "aucune législation européenne ne peut adoptée en étant en conflit avec les droits et principes garantis par la Charte", et c’est son rôle d’y veiller au sein de la Commission. Un travail de vérification auquel le Conseil et le Parlement européen sont invités à mener pour leurs amendements. Viviane Reding a d’ailleurs relevé que la dérogation introduite dans la directive avait été ajoutée à la proposition initiale de la Commission par les soins du Conseil.

La Commission européenne va désormais examiner les conséquences de cet arrêt sur la législation en matière d’égalité entre femmes et hommes dans l’accès aux biens et services, ainsi que pour le secteur de l’assurance et les consommateurs. Viviane Reding reconnaît en effet que "l’industrie de l’assurance va certainement être affectée par cet arrêt". Pourtant elle souligne que certains pans du secteur ont déjà fait quelques progrès en direction de l’égalité des genres en introduisant des primes unisexes pour l’assurance automobile, comme c’est le cas en Belgique, en Bulgarie, à Chypre, en Estonie, en Lettonie, en Lituanie, aux Pays-Bas et en Slovénie.

Viviane Reding va donc convoquer une réunion avec les représentants du secteur dans les mois à venir pour discuter des implications de cet arrêt.

Et, en croire les premières réactions observées à Luxembourg au lendemain de l’arrêt, elle risque de trouver des interlocuteurs. Car tout le monde ne partage pas son enthousiasme devant cet arrêt. Loin s’en faut.

Une mauvaise nouvelle pour les consommateurs ?

Dans un éditorial intitulé "Très chère égalité", Audrey Sommard dénonce dans le Quotidien daté du 2 mars 2011 "l'effet pervers de cette volonté d'égalité à tout prix", qui va se manifester selon elle dans une harmonisation des prix d’assurance à la hausse. "Les femmes ont statistiquement moins d'accidents de la route et vivent plus longtemps que les hommes", explique en effet la journaliste, ajoutant que "pour les assureurs, ces chiffres sont implacables" et se répercutaient donc sur les prix pratiqués. Face à cette hausse des tarifs à venir, la journaliste conclut que "l'avancée, si c'en est bien une, sera alors toute symbolique".

Nadia Di Pillo s’est pour sa part adressée à Paul Hammelmann, président du comité de direction de l'Association des compagnies d'assurances (ACA). Elle rend compte des réponses que ce professionnel du secteur lui a données dans un article paru dans le Luxemburger Wort le 2 mars 2011.

Paul Hammelmann explique ainsi que les compagnies d’assurance luxembourgeoises ont, comme dans les pays voisins, fait usage de la dérogation à la directive de 2004. "Dans certains cas", explique-t-il, "les primes peuvent être plus élevées pour les femmes, cela dépend des produits d'assurance". Ainsi, les assureurs majorent leurs primes d'assurance-décès car les femmes vivent plus longtemps que les hommes, tandis que certains, mais ce n’est pas le cas au Luxembourg, minorent les primes auto des conductrices car elles ont moins d'accidents que les hommes.

Si l’impact que cet arrêt aura sur le marché luxembourgeois ne sera pas immédiat étant donné que la fin des dérogations est fixée au 21 décembre 2012 et que la décision ne s'applique qu'aux nouveaux contrats d'assurance, il sera, pour Paul Hammelmann "majeur". "Jusqu'à présent, nous pouvions pratiquer une tarification proche de la réalité, ce ne sera plus le cas à partir de 2012", explique-t-il. "L'assureur pouvait tarifer en fonction de la réalité statistique", précise-t-il, ajoutant qu’avec les tarifs unisexes, il peut y avoir une hausse des tarifs. Si, selon lui, "cette décision est une mauvaise nouvelle pour les consommateurs", il ajoute cependant que "tout dépendra en fin de compte de la politique et des choix de portefeuilles des différentes compagnies d'assurances".