Paolo Mengozzi, avocat général de la Cour de Justice de l’UE, a présenté le 22 mars 2011 ses conclusions concernant les règles de compétence applicables pour adopter des mesures d'urgence destinées notamment à empêcher ou restreindre la circulation des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux, contenant des organismes génétiquement modifiés lorsqu'ils peuvent présenter des risques pour la santé et l'environnement.
La Cour de justice était interrogée par le Conseil d'État français, ce dernier ayant été saisi de plusieurs recours introduits par la société Monsanto, l'Association générale des producteurs de maïs, et par plusieurs producteurs de semences qui lui demandent d'annuler la réglementation française suspendant la mise en culture des variété de semences de maïs issues du maïs génétiquement modifié MON 810, commercialisé par la société Monsanto. Particulièrement résistant aux parasites et utilisé comme aliment pour animaux, le MON 810 a été autorisé pour la première fois en 1998 au titre de la directive 90/220/CEE relative à la dissémination volontaire d’organismes génétiquement modifiés dans l’environnement, celle-ci ayant été modifiée et abrogée par la directive 2001/18/CE.
En 2007, Monsanto a demandé, dans le délai requis, le renouvellement de l'autorisation de mise sur le marché du MON 810 non au titre de cette directive, mais sur la base du règlement concernant les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (règlement 1829/2003). En vertu de ce règlement, l'autorisation est valable dix ans, et en cas de demande de prorogation, la première autorisation continue à produire ses effets pendant la procédure de renouvellement dans l’attente de la décision.
Après avoir consenti à sa mise sur le marché, en 1998, la France a adopté, en décembre 2007 et en février 2008, une réglementation visant à suspendre la mise en culture de l’OGM MON 810 sur le territoire national – en prenant des mesures d’urgence et en recourant à la clause de sauvegarde prévue par la directive 2001/18/CE – jusqu’à ce qu’il soit statué, au niveau de l’Union, sur la demande de renouvellement de l’autorisation de mise sur le marché de cet organisme. Cette réglementation nationale faisait référence à l’avis du comité de préfiguration de la Haute Autorité sur les organismes génétiquement modifiés selon lequel le MON 810 était susceptible de présenter des risques sérieux pour l’environnement.
Le Conseil d'État ayant décidé de surseoir à statuer et d'interroger la Cour de justice, l’avocat général, Paolo Mengozzi, propose à la Cour de répondre premièrement que la France ne pouvait pas recourir à la clause de sauvegarde prévue par la directive 2001/18 (article 23). Il en va ainsi d’une part, parce que son application est exclue par la directive elle-même pour les OGM en tant que "produits ou éléments de produits", tels que le MON 810 – ceux-ci faisant l’objet d’une évaluation spécifique des risques pour l’environnement – et, d’autre part, parce que le MON810 n'a jamais été notifié sur la base de la directive.
Deuxièmement, en l’espèce, les seules mesures d’urgence applicables, sont celles prévues spécifiquement par le règlement sur les denrées alimentaires et les aliments pour animaux génétiquement modifiés (règlement 1829/2003) qui renvoie, pour ses modalités d’application au règlement sur la sécurité des denrées alimentaires (règlement 178/2002).
En effet, le MON 810 – autorisé conformément à la directive mais notifié en vertu du règlement 1829/2003 et en cours de demande de renouvellement de l’autorisation sur la base de ce règlement – les éventuelles mesures d'urgence ne pouvaient être adoptées, en premier lieu, que par la Commission, conformément à ce règlement.
L’avocat général rappelle que des mesures d’urgence peuvent être adoptées pour empêcher ou restreindre la circulation des denrées alimentaires ou des aliments pour animaux d’origine communautaire ou importés d’un pays tiers lorsqu’ils sont susceptibles de constituer un risque sérieux pour la santé humaine, la santé animale et l’environnement ou si, au regard d’un avis de l’Autorité européenne des aliments pour suspendre ou modifier d’urgence une autorisation. Ce risque ne pouvant être maîtrisé de façon satisfaisante par le biais de mesures prises par le ou les États membres concernés, il appartient en premier lieu à la Commission, d’adopter sans délai, de sa propre initiative ou à la demande d’un État membre d’adopter des mesures d’urgences.
Ce n’est que si la Commission n'adopte pas de mesures, en temps utile, qu’un État membre peut, à titre subsidiaire, proposer de prendre des mesures conservatoires dans l'attente de l'adoption de mesures communautaires. Toutefois, cet État doit, au préalable, informer la Commission et l'inviter à agir. Or, en l’espèce, il s’avère que les autorités françaises n'avaient pas le pouvoir d'adopter unilatéralement des mesures d'urgence car elles avaient omis, au préalable, de demander à la Commission d'intervenir.
Troisièmement, l’avocat général examine les conditions requises – en ce qui concerne les risques éventuels – pour adopter des mesures d'urgence relatives aux organismes génétiquement modifiés. Selon lui, cette clarification est pertinente d’une part, parce que les autorités françaises pourraient demander à la Commission de prendre de telles mesures et d'autre part pour éviter les incertitudes et les contradictions ultérieures.
Ainsi, il estime qu’à la lumière du principe de précaution et de l’interprétation faite par la Cour de justice et la législation de l’Union, des mesures d’urgence peuvent être adoptées conformément au règlement 1829/2003 s’il existe un risque de dommages pour la santé humaine, la santé des animaux ou l’environnement qui ne soit pas seulement hypothétique et que la probabilité de la réalisation de ces dommages ne soit pas insignifiante, même si elle n’est pas nécessairement déterminée avec précision.
Enfin l'avocat général prend le soin de préciser que les décisions prises par les autorités compétentes sont par ailleurs soumises au contrôle juridictionnel exercé par les juridictions de l'Union et en dernier lieu par la Cour de justice. Puisque les décisions à adopter dans ce secteur nécessitent, par la force des choses, des évaluations techniques complexes, ce contrôle devra se borner à vérifier le respect des règles de procédure, l'exactitude matérielle des faits retenus par la Commission, l'absence d'erreur manifeste dans l'appréciation de ces faits et l'absence de détournement de pouvoir.