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Institutions européennes
C’est en Europe que se joue, dans l’immédiat, l’avenir de la francophonie
22-03-2011


Le 22 mars 2011, l’Institut français du Luxembourg organisait, à l’occasion de la journée internationale de laLa francophonie en Europe : enjeux politiques et économiques francophonie, un colloque intitulé "la francophonie en Europe : enjeux politiques et économiques". La question qui se pose, de façon plus générale, est celle de place, du rôle et du devenir de la francophonie. La poser au Luxembourg, pays francophone et plurilingue était, pour les organisateurs du colloque, significative : le Luxembourg incarne en effet pour eux "l’unité dans la diversité" que l’UE s’est donnée pour devise, ce qui fait du Grand-Duché un modèle auquel l’Europe est fondée à s’intéresser. De là à souligner que plurilinguisme est un des atouts de l’Europe dans un monde globalisé, il n’y eut qu’un pas.

L'expertise de l'OIF au service...de l'intégration européenne

Stéphane Lopez, de l'Organisation internationale de la Francophonie (OIF), a montré, après avoir présenté un historique de cette organisation multilatérale qui n’a de cesse de s’agrandir de sommet en sommet, que les pays européens y étaient désormais plus nombreux que les pays africains. 24 pays de l’ancien bloc de l’Est ont en effet intégré peu à peu l’OIF à compter de 1991.

Mais que viennent faire l’Autriche ou l’Estonie dans la francophonie ? A cette question que d’aucuns pourraient se poser, Stéphane Lopez répond que le débat est finalement assez proche de la question de l’élargissement de l’UE,  qui oppose partisans d’un club fermé aux promoteurs de l’ouverture. Mais à ses yeux, la tradition de la francophonie est une tradition de l’accueil et l’OIF, qui se targue de défendre la diversité culturelle ne pourrait faire autrement.

Finalement, au-delà du changement d’une image de la francophonie caractérisée longtemps par une carte politique post-coloniale, l’arrivée en nombre de ces Européens a aussi conduit à développer de nouveaux programmes adaptés à leurs besoins. L’OIF fait ainsi profiter ces membres de son expertise francophone et communautaire via un programme de coopération visant à former leurs experts à l’usage du français, et même à avoir des échanges d’expertise sur l’UE en langue française.

Pour Rémy Jacob, la marche vers l’unité européenne s’est faite au détriment de la diversité culturelle

Rémy Jacob, directeur général auprès de la Banque européenne d'Investissement (BEI), qui a son siège à Luxembourg, a introduit son propos en soulignant que, face au constat d’un nombre très faible de candidats britanniques aux concours organisés par les institutions européennes, la Commission a envisagé il y a peu de prévoir, contrairement à la pratique actuelle, des épreuves qui se feraient uniquement en langue anglaise. Certes, il n’est pas certain que cette idée se réalise, mais elle est significative. Le français est certes, derrière l’anglais, la deuxième langue de travail des institutions, et, dans certains cas, comme à la Cour de justice, elle est même la première langue.

Pourtant, Rémy Jacob observe que dans le monde, face au 35 % des nations anglophones, les nations francophones ne représentent que 6 à 7 % du PIB mondial, dont la plus grande part se trouve en Europe. C’est donc en Europe que se joue désormais, dans l’immédiat, le destin de la francophonie. Même si Rémy Jacob admet, qu’à moyen terme, il se jouera sans doute plus au Maghreb et, ensuite, sans doute en Afrique.

Maurice Allais, prix Nobel d’économie, préconisait une communauté européenne culturelle et conditionnait l’émergence d’un esprit européen à la possibilité de se comprendre mutuellement. Une condition qui implique le plurilinguisme, le trilinguisme apparaissant comme un minimum. Ce fut d’ailleurs la stratégie officielle de l’UE qui a trois langues de travail et qui, dans ses écoles européennes, tente d’enseigner très tôt, en plus de la langue maternelle, deux langues étrangères.

Mais Rémy Jacob note qu’un tournant a été pris et que c’est désormais le bilinguisme qui semble primer : beaucoup jugeant suffisant d’apprendre, en plus de leur langue maternelle, l’anglais. Dans les institutions internationales, la place du français est ainsi nettement en déclin.

A la Commission, si, en 1986, 56 % des textes primaires étaient rédigés en français, 26 % en anglais et 11 % en allemand, on en est aujourd’hui à 12 % de textes rédigés en français, 76 % en anglais et 3 % en allemand.

A la BEI, les langues de travail sont l’anglais et le français, l’allemand étant aussi utilisé en Conseil d’Administration. Il y a trente ans, 60 % des textes étaient en français, et il était possible d’y faire carrière avec un anglais approximatif. Aujourd’hui, l’anglais étant la langue quasi-exclusive de la finance, il serait impensable de penser pouvoir faire carrière à la BEI sans le maîtriser. Quand on mesure que 80 % des textes sont rédigés en anglais, on comprend l’importance de cette nouvelle lingua franca.

Rémy Jacob observe cependant qu’un tiers du personnel est encore de langue maternelle française, et que le français reste la langue informelle, orale de tous les jours, ce qui montre l’importance de l’implantation du siège d’une institution en matière linguistique !

Pour Rémy Jacob, la marche vers l’unité européenne s’est faite au détriment de la diversité culturelle. Le phénomène qui touche l’UE pourrait être comparé à celui qu’a connu la France, où la langue française s’est imposée comme élément unificateur au détriment des langues régionales.

Pourtant aucun peuple ne saurait se contenter de l’anglais comme lingua franca, et pour que la diversité puisse exister dans l’unité, il convient selon Rémy Jacob de façonner un esprit européen en conquérant les esprits, qu’il s’agit de convaincre, et c’est là le rôle des institutions, mais aussi les cœurs, qu’il convient d’émouvoir, tâche qui revient au monde culturel.