Le 31 mars 2011, l’Institut Pierre Werner (IPW) organisait à Thionville, dans le cadre du festival Des Frontières et des Hommes, une table-ronde consacrée aux relations de travail dans la Grande-Région.
Un sujet d’importance au vu des chiffres saisissants qui caractérisent la région : sur les 150 000 travailleurs frontaliers qu’attire le Luxembourg au quotidien, qui ne sont pas loin de représenter la moitié des travailleurs au Grand-Duché, la moitié viennent de Lorraine. Un phénomène assez récent, puisque les frontaliers n’étaient encore que 12 000 environ en 1980. Ce mouvement quotidien soulève de nombreuses questions : quels effets a-t-il sur la vie quotidienne, sur les relations sociales, sur les relations de travail ? Qu’en est-il des rencontres qu’il provoque chaque jour entre différentes nationalités ?
Le sociologue Jean-Luc Deshayes s’interroge sur le rôle de la frontière dans les relations sociales en Lorraine. Il a notamment analysé en détail la place de la frontière dans les discours qui ont accompagné la reconversion du bassin de Longwy, montrant que le discours faisant du "transfrontalier" l’avenir a permis de faire le deuil de la sidérurgie mais a aussi conduit à un certain déplacement des références sociales qui prévalaient à des références spatiales un peu moins nettes.
Christian Wille, jeune chercheur en sciences sociales et culturelles, a consacré sa thèse aux frontaliers de la Grande-Région. Face à l’ampleur du phénomène, Christian Wille observe que la frontière est relativisée, mais il a pu observer sur le terrain que le frontalier, en passant la frontière au quotidien, reconstruit aussi d’autres frontières.
Anne Franziskus, doctorante à l’Université de Luxembourg, travaille à l’analyse des stratégies linguistiques dans un environnement de travail multilingue. Les résultats préliminaires de ses travaux menés dans trois entreprises du Grand-Duché déjouent bien des stéréotypes…
Jean Boillot, directeur du Centre dramatique national de Thionville-Lorraine, s’est attaché pour sa part à faire le récit de son expérience nouvelle de la coopération transfrontalière.
Enfin, Franz Clement, du CEPS-Instead, observe que les travailleurs frontaliers brillent par leur absence de représentation socio-politique : il juge urgent que les frontaliers prennent conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans le dialogue social au Luxembourg.
Le sociologue Jean-Luc Deshayes, qui vient de publier aux Presses universitaires de Nancy un ouvrage qui, sous le titre "Du barbelé au pointillé", se donne pour mission de soumettre "les frontières au regard des sciences humaines et sociales", s’interroge sur le rôle de la frontière dans les relations sociales en Lorraine.
C’est sur le bassin de Longwy que le chercheur a pointé son regard, s’attachant à décrire l’évolution du discours de la frontière dans cette région au fil des dernières décennies. Jean-Luc Deshayes est en effet l’auteur d’un autre ouvrage qui porte sur la "conversion territoriale" de ce bassin sidérurgique situé en pays frontalier qui a vu la fermeture de ses usines à la fin des années 1970’. Ce processus a déclenché une forte mobilisation dans les années qui ont suivi. Est venu ensuite le temps de la reconversion qui s’est faite dans un cadre transfrontalier, au sein du pôle européen de développement, le PED, qui a su attirer des firmes internationales dont certaines sont parties. Aujourd’hui, l’emploi frontalier est essentiel pour ce territoire.
De temps de la sidérurgie, la frontière avait une place limitée dans le discours dominant. Dans le discours paternaliste des patrons, la frontière, elle se dressait dès les portes de l’usine, tandis que le discours des syndicats se bâtissait lui plus sur l’idée de frontière de classe.
A la fermeture des usines, le discours du mouvement de résistance s’est construit sur des références spatiales différentes. Il y avait une identification longovicienne, mais aussi régionale, nationale, et le message porté était alors celui de l’importance de la sidérurgie à l’échelle du pays, et enfin, internationale, par des voix porteuses d’un discours plus internationaliste. Dans ce contexte, la frontière apparaît plus comme un obstacle que comme un avantage, l’UE et les grands groupes allemands étant jugés responsables de la fermeture des usines.
Ce n’est qu’à partir du milieu des années 1980’ que la frontière devient ressource. Elle apparaît désormais comme une réponse à la crise et le "transfrontalier" devient un concept central dans le discours dominant qui s’articule sur un présent qui est celui de la reconversion, un passé qui est celui d’une crise en cours de résolution et un avenir qui a pour nom "transfrontalier". Longwy devient "laboratoire de l’Europe" en développant la première agglomération transfrontalière, en faisant la première tentative de résolution transfrontalière d’une crise. Jean-Luc Deshayes observe d’ailleurs que le passé a parfois été réécrit en fonction des besoins de ce discours, comme en témoigne par exemple la mise en place de sentiers européens reliant les sites sidérurgiques de la région.
Ce changement de discours a conduit une communauté qui se caractérisait par des références sociales à s’éloigner de sa vision fondée sur les rapports de classe pour s’appuyer sur des références spatiales, certes floues. On note ces références spatiales dans la qualification donnée au PED, plaçant Longwy "au cœur de l’Europe" dans un discours accompagné d’un équipement cartographique, mais dont les limites restent peu claires. En termes d’objectifs, on parle de 8000 emplois à créer dans les 10 ou quinze prochaines années, sans plus de précisions sur les secteurs d’activités dans lesquels ils seront créés, sans que jamais ne soient évoqués les emplois supprimés. Enfin, pour bénéficier des fonds du programme européen Interreg, il a fallu que les acteurs du territoire arrivent à se définir sur la base de références spatiales nationales, ce qui n’avait rien d’une évidence.
Ce discours a servi en fin de compte à faire le deuil de la sidérurgie représentée alors comme un symbole d’enclavement, de grisaille, de manque de formation, d’images négatives de lutte, de grande entreprise bureaucratique. Face à cela s’imposait l’image du transfrontalier incarnant le tertiaire, l’ouverture, la formation. La référence à la frontière est donc centrale, mais elle se détache des rapports sociaux, la question sociale devenant spatiale.
Dans les recherches qui sont menées sur la façon dont les rapports sociaux construisent le territoire, Jean-Luc Deshayes note que la frontière apparaît sous des angles différents selon la lecture des rapports sociaux qui est faite. Dans certains travaux, il observe ainsi une nouvelle "centration" sur la frontière, les zones périphériques devenant de nouveaux centres. Mais le sociologue relève que ces études sont souvent limitées au champ politique, au champ du discours. Dans d’autres travaux, on voit émerger de nouvelles frontières, qui ne sont pas celles des Etats, mais qui sont des frontières "sociales", qui reflètent les inégalités dans la société, ou encore "gestionnaires", qui se basent sur les aides spécifiques octroyées à certains types d’espaces. Enfin, Jean-Luc Deshayes observe que la tendance actuelle est de parler plus de la frontière que du travail, ce qui chiffonne un sociologue conscient des évolutions du salariat qui mériteraient à ses yeux plus d’attention et d’analyse.
Christian Wille, jeune chercheur en sciences sociales et culturelles, a consacré sa thèse aux frontaliers de la Grande-Région Saar-Lor-Lux. Dans la Grande-Région, il y a en 2010 plus de 200 000 frontaliers qui représentent près d’un quart des frontaliers de l’UE. Les flux, très complexes, se font dans 15 directions différentes. Pourtant, Christian Wille rappelle que plus de la moitié des frontaliers de la région vivent en Lorraine.
Mais qu’advient-il de la frontière quand elle est soumise à un phénomène d’une telle ampleur ? Certes, la frontière est relativisée, mais le chercheur a pu observer sur le terrain que le frontalier, en passant la frontière au quotidien, reconstruit aussi d’autres frontières.
Christian Wille qui a enquêté auprès des travailleurs frontaliers, a cherché à identifier leurs sentiments d’appartenance, et il a pu constater que les sentiments les plus forts concernaient les niveaux national, régional et local. Le sentiment d’appartenance à l’UE ou à un niveau plus global est moyen. Quant au niveau intermédiaire, comme la Grande-Région, il n’apparaît qu’en dernier lieu dans la hiérarchie des sentiments d’appartenance. Si cela peut paraître étonnant à première vue, Christian Wille note cependant que ce sentiment est plus fort chez les frontaliers qui ont des relations sociales dans la région dans laquelle il travaille, de même que chez ceux qui ont des activités – sorties, engagement associatif – autres que le travail.
Selon l’analyse qu’a pu faire Christian Wille, il y a une différenciation de l’espace selon les fonctions. La frontière se reconstruit par exemple autour de la frontière que le frontalier établit entre travail et vie privée. On parle de "discontinuité spatiale".
De même en s’attachant à la vision très différente que peuvent avoir les frontaliers des habitants non frontaliers de Lorraine et du Luxembourg (le Lorrain est vu comme modeste, travailleur, plus ouvert et doté de plus d’humour, quand le Luxembourgeois est perçu comme hautain et moins travailleur, sérieux et d’une moins grande ouverture d’esprit), Christian Wille a démontré combien, malgré la "coprésence quotidienne", on ressent une aspiration à la construction de différences.
De même, la perception que les Luxembourgeois peuvent avoir des frontaliers est-elle assez ambivalente : la conscience de la nécessité des frontaliers pour l’économie grand-ducale est évidente, mais leur présence en nombre est aussi perçue comme une menace pour la langue luxembourgeoise et non comme un potentiel enrichissement culturel. La frontière est d’une certainement façon reconstruite quand les Luxembourgeois demandent aux frontaliers de s’adapter à la culture luxembourgeoise, d’apprendre la langue luxembourgeoise.
Avec les traités européens, la frontière est relativisée peu à peu, rendant possible des relations de travail notamment. Mais le dépassement des frontières politiques ne signifie pas pour autant la fin de la frontière pour les individus qui reconstruisent de nouvelles frontières. Une des fonctions de la frontière est en effet, faut-il le rappeler, de pouvoir inclure et exclure, une dynamique propre à la construction de soi, l’autre étant constitutif de notre identité. Une fonction de la frontière qui se ressent aussi dans le quotidien des frontaliers.
Anne Franziskus, doctorante à l’Université de Luxembourg, est partie du constat que, dans le discours public, les frontaliers sont souvent présentés comme une menace à la fois pour le multilinguisme du Luxembourg et pour la place de la langue luxembourgeoise dans la société. Pourtant, la recherche socio-linguistique sur les pratiques linguistiques des frontaliers est peu avancée. Le projet de sa thèse est à la fois qualitatif et ethnographique et se concentre précisément sur l’utilisation des langues sur le lieu de travail.
Pour ses recherches, Anne Franziskus procède à une analyse discursive des retranscriptions d’enregistrements de conversations entre collègues sur trois lieux de travail différents. Il y a un supermarché, lieu le plus multilingue dans lequel travaillent 20 employés, dont 11 frontaliers venant tant de Belgique, d’Allemagne, que de France. Le deuxième terrain d’études est une entreprise de distribution de 80 employés, dont la moitié sont luxembourgeois, le reste étant surtout des frontaliers belges et français, sans compter les Portugais résidant au Luxembourg, lieu où le français apparaît comme la principale langue de communication. Enfin Anne Franziskus travaille sur les données d’une entreprise du secteur informatique qui, sur 15 employés, emploie 13 frontaliers belges et français, et deux résidents, l’un étant Luxembourgeois et l’autre Portugais. Le français y est utilisé de manière quasi-exclusive, même si l’anglais est aussi beaucoup pratiqué avec les clients.
La socio-linguiste observe que chaque lieu a sa propre dynamique socio-linguistique, laquelle a un impact sur les pratiques des frontaliers. Sans compter bien entendu l’influence que peuvent avoir les compétences linguistiques des uns et des autres.
Dans un contexte multilingue, différentes pratiques, stratégies se cristallisent.
Anne Franziskus a pu observer l’adaptation ou accommodation linguistique, pratique la plus courante, qui consiste à s’adapter à la langue de l’autre, en sachant que c’est souvent le Luxembourgeois qui s’adapte. Mais ce sont parfois aussi les Français qui s’adaptent, comme c’est le cas de certains frontaliers francophones qui s’adaptent à leurs collègues allemands.
Une autre stratégie consiste à user d’une langue véhiculaire tierce pour permettre la communication. S’il n’existe pas de langue véhiculaire, c’est le cas par exemple si un Belge francophone et un Allemand ne parlent ni l’un ni l’autre l’anglais, Anne Franziskus a observé que les intéressés créent un vocabulaire qui leur est propre pour pouvoir communiquer.
Le recours à un traducteur est une autre pratique observée, que ce soit pour traduire un texte écrit ou pour faciliter la communication à l’oral. Certains jouent d’ailleurs ce rôle sans même être sollicités.
Anne Franziskus a identifié aussi une pratique consistant à s’approprier des mots-clefs propres au lieu de travail, des "routines". Le "Moien" lancé le matin par ces locuteurs qui ne parlent pas le luxembourgeois, ou encore l’utilisation, quelle que soit la langue parlée, de termes comme "frigo" pour chambre froide, ou de "Mëtsch" pour la viennoiserie, procèdent de cette logique.
Le multilinguisme réceptif, qui s’illustre dans des conversations dans lesquelles chacun parle sa langue, est aussi pratique courante. Et il arrive même, dans certains cas, que cela soit d’ailleurs négocié explicitement. C’est surtout entre Allemands et Luxembourgeois qu’Anne Franziskus a pu l’observer, mais elle souligne que certains frontaliers francophones sont aussi capables de suivre des conversations en allemand et/ou luxembourgeois.
Une des caractéristiques de cet environnement plurilingue est pour Anne Franziskus la nécessité pour beaucoup de "digérer le multilinguisme", ce qui s’opère selon la jeune socio-linguiste à travers de nombreuses discussions sur le sujet, une forme d’humour qui sert à désamorcer des situations parfois critiques.
Si Anne Franziskus, qui va passer à la phase de rédaction de sa thèse, n’a présenté là que les résultats préliminaires de ses recherches, elle a cependant bien insisté pour conclure sur le fait que les frontaliers ne sauraient se réduire au stéréotype de francophones incapables d’apprendre d’autres langues…
Jean Boillot, directeur du Centre dramatique national de Thionville-Lorraine, s’est attaché pour sa part à faire le récit de son expérience nouvelle de la coopération transfrontalière. "Je suis un peu comme Tintin au pays des transfrontaliers", raconte en effet cet artiste originaire du pays niçois qui a tenu à donner au projet de l’établissement qu’il dirige depuis janvier 2010 une dimension transfrontalière. En lui donnant un nom, le NEST, qui témoigne de cet engagement, en essayant de s’adapter au rythme culturel de publics transfrontaliers et de frontaliers, mais aussi par son projet artistique.
C’est la figure du berger et contrebandier Tönle, héros de Mario Rigoni Stern, qui a inspiré le metteur en scène. Le contrebandier joue par essence avec les frontières, il connaît les langues, y compris celles qui ne sont plus pratiquées, c’est lui qui raconte les histoires des familles séparées, il incarne à la fois l’idée d’un paradis perdu et celle d’un Babel.
"J’ai un rêve", poursuit Jean Boillot, qui aimerait pourvoir constituer un ensemble d’acteurs polyglottes qui serait en mesure de donner un visage à la culture dans la Grande Région. Le NEST travaille actuellement en étroite collaboration avec trois autres théâtres de création de la Grande Région, un réseau qui s’est constitué sous le nom de Total Théâtre à l’occasion de l’année 2007. L’idée était de faire circuler les œuvres et les publics, de monter des projets communs, d’inventer en quelque sorte une d'Europe du sens en bénéficiant de la présence, dans chacune des maisons impliquées, d’un dramaturge dont la mission est justement de veiller à la cohérence, au sens des œuvres et des projets.
En quatre ans, les quatre structures de Total Théâtre, que leurs points communs avaient réunis à l’origine, ont appris à se connaître, leurs différences se révélant progressivement, tandis que se développait parallèlement l’inventivité nécessaire pour dépasser les contraintes. Le projet s’articule aujourd’hui autour d’un développement artistique commun, par le biais de laboratoires, de résidences artistiques, de coproduction, d’un festival à venir peut-être et de la mise en place d’un dispositif visant à faire circuler dans la Grande Région les œuvres des grands maîtres du théâtre européen.
Autre axe essentiel du projet, le développement de la formation professionnelle, une nécessité pour des structures qui ont pu constater leurs cultures professionnelles très différentes, et qui ont mis en place un principe de "job shadowing" qui permet à chacun de voir comment son métier est pratiqué, au quotidien, dans la structure du pays voisin.
Enfin, le développement des publics reste au cœur des préoccupations du réseau qui entend favoriser la mobilité des publics, mais qui se concentre aussi tout particulièrement sur les publics adolescents, notamment à travers un projet intitulé Les Iroquois.
Pour Jean Boillot, qui se dit porté par la volonté de fonder quelque chose de nouveau, un autre type de frontière se révèle pourtant à l’usage, c’est celle qui oppose "la technostructure propre à l’Europe" et les projets artistiques. Pourtant l’UE, dont le metteur en scène relève l’absence de projet culturel, comme en témoigne la modestie du budget européen qui est consacré à la culture, aurait besoin qu’on lui donne des visages culturels… "Les politiques doivent nous accompagner dans cette dimension prospective", a donc plaidé Jean Boillot.
Franz Clement, chercheur au CEPS-Instead, a rappelé que 150 000 frontaliers, français pour la moitié d’entre eux, Belges et Allemands se partagent la moitié restante, venaient travailler au Luxembourg tous les jours. Un phénomène qui s’explique par la disponibilité de l’emploi par rapport aux régions voisines. Le Luxembourg continue en effet à créer de l’emploi malgré la crise, alors que les taux de chômages sont nettement plus élevés dans les régions voisines : les chiffres sont de l’ordre de 9-10 % en Lorraine, de 8-9 % dans les Länder de Sarre et de Rhénanie-Palatinat, et même de plus de 13 % en Wallonie.
Le sociologue note que le Luxembourg souffre d’un problème de formation professionnelle, comme en témoigne le chiffre frappant de 75 % des moins de 25 ans inscrits à l’ADEM qui sont sans diplôme. Les réformes en cours paieront sans doute, mais sur la durée, et, en attendant, les entreprises ne pouvaient et ne peuvent encore trouver au Grand-Duché toutes les qualifications qui leur sont nécessaires.
Le Luxembourg est devenu un creuset de nationalités, puisque sa main d’œuvre est constituée pour plus de moitié par des non-luxembourgeois : les frontaliers ne sont déjà pas loin des 50 % et il ne faut pas perdre de vue les résidents étrangers eux aussi nombreux au Luxembourg. D’après Franz Clement, les dirigeants, qui n’ont de cesse de rappeler l’impérieuse nécessité de cette main d’œuvre, en sont bien conscients.
Pourtant, dans ce marché régional et même international du travail, ces travailleurs se caractérisent par leur absence de représentation dans le domaine socio-politique.
Le chercheur a consacré sa thèse au modèle luxembourgeois de la tripartite, et le Luxembourg est réputé pour son dialogue social, comme il l’a souligné. Mais il constate que les frontaliers ne s’insèrent que tout doucement dans le dialogue social, souvent s’en même s’en rendre compte. Et ils manquent la plupart du temps l’opportunité de le faire, regrette Franz Clement.
Certes, les difficultés linguistiques et le manque de temps peuvent être une explication à cette absence. Mais Franz Clement note un vrai problème de représentation du travail. A ses yeux, une seule institution offre le champ aux travailleurs du Luxembourg, quelle que soit leur nationalité et quel que soit leur lieu de résidence, pour se faire entendre : c’est la Chambre des Salariés qui est née en 2009, au moment de la création du statut unique. Cette dernière est en effet associée à la procédure d’élaboration des lois et, comme l’affirme Franz Clement, elle peut peser ! Or, les frontaliers n’y sont pratiquement pas représentés.
Les élections sociales ont lieu tous les cinq ans et toute personne ayant un contrat de travail luxembourgeois peut aussi bien voter qu’être élu. Lors des élections de novembre 2008, les frontaliers n’ont presque pas pris part, comme s’ils n’étaient pas conscients du rôle qu’ils peuvent jouer alors qu’ils représentent près de 50 % des travailleurs du Grand-Duché, comme s’ils n’étaient pas conscients de l’utilité qu’il y a à être représenté socio-politiquement, comme s’ils acceptaient de subir.
Certes le système électoral peut sembler très différent du système électoral français et il se peut que les travailleurs frontaliers français aient quelques difficultés à en saisir le fonctionnement. Il est vrai aussi que la culture syndicale française est en berne avec un taux de syndiqués qui est de l’ordre de 8 % en France alors qu’il atteint 35 % au Luxembourg. Mais les principales organisations syndicales luxembourgeois n’avaient pas manqué de faire campagne y compris dans les zones frontalières voisines.
Les prochaines élections auront lieu en novembre 2013 et, pour Franz Clement, il reste beaucoup à faire pour sensibiliser les travailleurs frontaliers et les inviter à y prendre part. Sinon, ils resteront totalement absents du paysage socio-politique luxembourgeois. Aux yeux du chercheur, il y a un minimum d’efforts à faire pour participer, d’autant plus que le dialogue social est pacifié au Luxembourg, ce qui ne sera peut-être plus autant le cas dans les années à venir. A cette époque charnière de la vie économique du Grand-Duché, il est urgent que les frontaliers prennent conscience du rôle qu’ils ont à jouer dans le dialogue social au Luxembourg.