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Justice, liberté, sécurité et immigration
Selon l'ASTI, la Ligue des droits de l'Homme et le Letzebuerger Flüchtlingsrot, l’arrêt rendu par la CJUE dans l’affaire "El Dridi", qui concerne la directive dite "retour", a "une incidence sur le Luxembourg"
04-05-2011


La Cour de Justice de l’UE (CJUE) a rendu le 28 avril 2011 un arrêt dans l’affaire "El Dridi" (C-61/11 PPU), du nom d’un ressortissant  d'un pays tiers entré illégalement en Italie qui a été condamné, après avoir fait l’objet d’un décret d’expulsion auquel il ne s’est pas conformé, à un an d’emprisonnement. Selon l’arrêt de la CJUE, la directive dite "retour" s'oppose à une réglementation nationale infligeant une peine d’emprisonnement à un ressortissant de pays tiers en séjour irrégulier qui ne se conforme pas à un ordre de quitter le territoire national. De l’avis de la Cour, une sanction pénale telle que celle prévue par la législation italienne est "susceptible de compromettre la réalisation de l’objectif visant à instaurer une politique efficace d'éloignement et de rapatriement dans le respect des droits fondamentaux".

Aux yeux de l'ASTI, de la Ligue des droits de l'Homme et du Letzebuerger Flüchtlingsrot, l'arrêt de la CJUE constitue "une victoire partielle et tardive pour celles et ceux qui s'étaient opposés à la directive retour".  Dans un communiqué diffusé le 4 mai 2011, ils avancent que cet arrêt a "une incidence directe sur le Luxembourg" et qu’il "va permettre de s’opposer aux tentatives politiques de pénaliser les étrangers en situation irrégulière".

Au Luxembourg, "il y a nécessité d'agir et de changer la loi", faute de quoi, "le Luxembourg risque un recours de la Commission  européenne pour non conformité de sa législation avec le cadre légal communautaire". Ils invitent par conséquent à ce que le projet de transposition de la directive retour, qui est actuellement en préparation à la Chambre des députés, tienne compte de cet arrêt.

L’arrêt de la Cour de Justice de l’UE

M. El Dridi, ressortissant d'un pays tiers, est entré illégalement en Italie. Il a fait l’objet, en 2004, d’un décret d’expulsion, sur le fondement duquel un ordre de quitter le territoire national dans un délai de cinq jours a été édicté à son encontre en 2010. Cette dernière mesure était motivée par le défaut de documents d’identité, l’indisponibilité d’un moyen de transport, ainsi que par l’impossibilité – en raison d’un manque de places – de l'accueillir provisoirement dans un centre de rétention. Ne s'étant pas conformé à cet ordre, M. El Dridi a été condamné par le Tribunal de Trento (Italie) à un an d’emprisonnement.CJUE

La Cour d'appel de Trento, devant laquelle il a interjeté appel, demande à la Cour de justice si la directive sur le retour des ressortissants des pays tiers en séjour irrégulier ("directive retour") s’oppose à une réglementation nationale qui prévoit l'infliction d'une peine d’emprisonnement à un étranger en séjour irrégulier pour la seule raison que celui-ci demeure, en violation d’un ordre de quitter le territoire national dans un délai déterminé, sur ce territoire sans motif justifié.

La Cour a accepté la demande de la juridiction de renvoi de traiter l'affaire selon la procédure préjudicielle d'urgence, M. El Dridi se trouvant en état de détention.

Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 28 avril 2011, la Cour relève, tout d'abord, que la "directive retour" établit les normes et procédures communes en vue de la mise en place d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des personnes dans le respect de leurs droits fondamentaux et de leur dignité. Les États membres ne peuvent déroger à ces normes et procédures en appliquant des normes plus sévères.

Cette directive définit avec précision la procédure à appliquer au retour des étrangers en séjour irrégulier et fixe l’ordre de déroulement des différentes étapes de cette procédure.

La première étape consiste en l'adoption d'une décision de retour. Dans le cadre de cette étape, la priorité doit être accordée à la possibilité d’un départ volontaire, un délai de sept à trente jours étant normalement imparti à l'intéressé à cet effet.

Si le départ volontaire n'a pas eu lieu dans ce délai, la directive impose alors aux États membres de procéder à l’éloignement forcé en employant les mesures les moins coercitives possible.

Ce n'est que si l'éloignement risque d’être compromis par le comportement de la personne concernée, que l'État membre peut procéder à la rétention de cette personne. Selon les articles 15 et 16 de la "directive retour", cette rétention doit être aussi brève que possible, soumise à un réexamen à des intervalles raisonnables, et il y est mis fin lorsqu’il apparaît qu’il n’existe plus de perspective raisonnable d’éloignement, sa durée ne pouvant pas dépasser 18 mois. Par ailleurs, les intéressés doivent être placés dans un centre spécialisé et, en tout état de cause, doivent être détenus séparément des prisonniers de droit commun.

La directive prévoit ainsi une gradation des mesures à prendre en vue de l'exécution de la décision de retour ainsi que l'obligation de respecter le principe de proportionnalité à chaque stade de la procédure. Cette gradation va de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé – à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire – vers la mesure restrictive de liberté la plus grave que la directive permet dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé – à savoir la rétention dans un centre spécialisé.

La directive poursuit donc l'objectif de limiter la durée maximale de la privation de liberté dans le cadre de la procédure de retour et d'assurer ainsi le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier. À cet égard, la Cour tient compte, notamment, de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme.

La Cour relève ensuite que la "directive retour" n’a pas été transposée dans l’ordre juridique italien (pour rappel, la date limite de transposition de la directive dans les ordres juridiques nationaux était le 24 décembre 2010) et elle rappelle que dans une telle situation les particuliers peuvent invoquer, contre l'État membre n'ayant pas procédé à cette transposition, les dispositions d'une directive si elles sont, du point de vue de leur contenu, inconditionnelles et suffisamment précises, ce qui est le cas des articles 15 et 16 de la directive retour. À cet égard, la Cour considère que la procédure d’éloignement italienne diffère sensiblement de celle établie par cette directive.

La Cour rappelle également que, si la législation pénale relève en principe de la compétence des États membres et si la directive retour laisse aux États membres la possibilité d'adopter des mesures, même de nature pénale – pour le cas où des mesures coercitives n'auraient pas abouti à l'éloignement –, les États membres sont, en tout état de cause, tenus d'aménager leur législation afin d'assurer le respect du droit de l'Union. Ainsi, les États membres ne sauraient appliquer une réglementation, fût-elle en matière pénale, susceptible de mettre en péril la réalisation des objectifs poursuivis par une directive et de la priver de son effet utile.

La Cour considère donc que les États membres ne sauraient prévoir, en vue de remédier à l’échec des mesures coercitives adoptées pour procéder à l’éloignement forcé, une peine privative de liberté – telle que celle prévue par la législation nationale en cause au principal – pour le seul motif qu’un ressortissant d’un pays tiers continue, après qu’un ordre de quitter le territoire national lui a été notifié et que le délai imparti dans cet ordre a expiré, de se trouver présent de manière irrégulière sur le territoire d’un État membre. Ces États doivent poursuivre leurs efforts en vue de l’exécution de la décision de retour qui continue à produire ses effets.

En effet, une telle peine privative de liberté, en raison notamment de ses conditions et modalités d’application, risque de compromettre la réalisation de l’objectif poursuivi par la directive, à savoir l’instauration d’une politique efficace d’éloignement et de rapatriement des ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans le respect des droits fondamentaux.

Le juge de renvoi, chargé d’appliquer les dispositions du droit de l’Union et d’en assurer le plein effet, devra donc laisser inappliquée toute disposition nationale contraire au résultat de la directive (notamment une disposition prévoyant une peine d'emprisonnement de un à quatre ans) et tenir compte du principe de l’application rétroactive de la peine plus légère, lequel fait partie des traditions constitutionnelles communes aux États membres.

Aux yeux de l' ASTI, de la Ligue des droits de l'Homme et du Letzebuerger Flüchtlingsrot , l'arrêt de la CJUE constitue "une victoire partielle et tardive pour celles et ceux qui s'étaient opposés à la directive retour"

Le 4 mai 2011, l'ASTI, la Ligue des droits de l'Homme et le Letzebuerger Flüchtlingsrot ont salué cet arrêt de la Cour de Justice qui, selon eux, a "une incidence directe sur le Luxembourg".

asti-logoSelon la prise de position diffusée, le constat d'incompatibilité de la loi italienne avec la directive vaut "tant pour la peine d’emprisonnement prévue en cas de non-respect d’un ordre de l’autorité publique de quitter le territoire national dans un délai fixé, que pour la criminalisation elle-même du non-respect d’un tel ordre".

Or, avancent les signataires de ce communiqué, "la disposition de la loi italienne jugée incompatible par la Cour européenne avec ladite directive est même moins grave que celle prévue par la loi luxembourgeoise en la matière". Selon cette dernière, et ils citent l’article 140 de la loi sur l'immigration du 28 août 2008, "l’étranger qui est entré ou a séjourné sur le territoire luxembourgeois sans satisfaire aux conditions légales ou qui s’y est maintenu au-delà de la durée autorisée ou qui ne se conforme pas aux conditions de son autorisation est puni d’un emprisonnement de huit jours à un an et d’une amende de 251 à 1250 euros ou d’une de ces peines seulement." 

Par ailleurs, ajoute l’ASTI, la loi luxembourgeoise prévoit encore, dans ses articles 124 (2) et 142, que le non respect, par un étranger, du délai fixé pour son départ volontaire donne lieu à une interdiction d'entrée sur le territoire pouvant aller jusqu'à 5 ans, interdiction dont le non respect implique l'assujettissement à une peine pouvant aller jusqu'à 3 ans d'emprisonnement.

L'ASTI, la Ligue des droits de l'Homme et le Letzebuerger Flüchtlingsrot déduisent de la motivation de l'arrêt de la CJUE l'incompatibilité de la loi luxembourgeoise avec la directive en ce qui concerne notamment la rétention. En effet, selon l'arrêt, la directive impose une "gradation des mesures à prendre en vue de l’exécution de la décision de retour, gradation allant de la mesure qui laisse le plus de liberté à l’intéressé, à savoir l’octroi d’un délai pour son départ volontaire, à des mesures qui restreignent le plus celle-ci, à savoir la rétention dans un centre spécialisé".

Ils citent plus avant les précisions de la Cour : 

"Les États membres doivent procéder à l’éloignement au moyen des mesures les moins coercitives possible. Ce n’est que dans l’hypothèse où l’exécution de la décision de retour sous forme d’éloignement risque, au regard d’une appréciation de chaque situation spécifique, d’être compromise par le comportement de l’intéressé que ces États peuvent procéder à la privation de liberté de ce dernier au moyen d’une rétention." "Cette privation de liberté doit être aussi brève que possible et n’être maintenue qu’aussi longtemps que le dispositif d’éloignement est en cours et exécuté avec toute la diligence requise." "Les personnes concernées doivent être placées dans un centre spécialisé et, en tout état de cause, séparées des prisonniers de droit commun." "Le recours à cette dernière mesure, qui constitue la mesure restrictive de liberté la plus grave que permet ladite directive dans le cadre d’une procédure d’éloignement forcé, est strictement encadré, en application des articles 15 et 16 de ladite directive, notamment dans le but d’assurer le respect des droits fondamentaux des ressortissants de pays tiers concernés."

Or, résument les signataires luxembourgeois, "la loi luxembourgeoise prévoit, au contraire que de simples circonstances de fait, éventuellement totalement indépendantes du comportement de l'étranger, même mineur non accompagné, peuvent donner lieu à la mise en rétention dans une structure fermée par simple décision du ministre".

Aux yeux de l'ASTI, de la Ligue des droits de l'Homme et du Letzebuerger Flüchtlingsrot , l'arrêt de la CJUE constitue "une victoire partielle et tardive pour celles et ceux qui s'étaient opposés à la directive retour".  Selon les signataires du communiqué, "l'arrêt va permettre de s’opposer aux tentatives politiques de pénaliser les étrangers en situation irrégulière". Pour autant, ajoutent-ils, "la directive retour ne peut être considérée comme un instrument utile et positif de la politique migratoire de l’UE".

Au Luxembourg, souligne les auteurs de cette prise de position, "il y a nécessité d'agir et de changer la loi", faute de quoi, "le Luxembourg risque un recours de la Commission  européenne pour non conformité de sa législation avec le cadre légal communautaire". Les signataires du communiqué invitent par conséquent à ce que le projet de transposition de la directive retour, qui est actuellement en préparation à la Chambre des députés, tienne compte de cet arrêt de la Cour qui constitue à leurs yeux "une véritable plus-value".