L’Europe et les conséquences sociales de la crise ont été au centre des préoccupations du Premier ministre Jean-Claude Juncker dans un contexte de fête nationale luxembourgeoise et de Conseil européen. Dans une interview parue dans l’édition du 24 juin 2011 du quotidien Luxemburger Wort, le Premier ministre se livre à une profession de foi pour une Europe de la gouvernance économique commune, de la libre circulation des personnes et de la générosité vis-à-vis des personnes persécutées qui viennent demander l’asile politique en Europe. Mais, dans cet article titré "Bombe à retardement sociale", il met aussi en garde contre les conséquences du sentiment d’injustice qui gagne de plus en plus de couches des populations des pays en crise et qui risque de déboucher sur une crise sociétale.
Jean-Claude Juncker est d’avis qu’il n’y a pas d’alternative à la consolidation budgétaire dans tous les Etats membres, mais que ces consolidations néanmoins doivent être conduites par chaque Etat membre à sa manière. Face aux interrogations des syndicats au sujet de l’indexation des salaires, il souligne que la Commission n’a pas recommandé au Luxembourg de l’abolir, mais de la revoir. Cette révision sera l’objet à la rentrée d’une consultation avec les partenaires sociaux. Mais le Premier ministre est "fondamentalement d’accord" avec l’idée que l'évolution des salaires doit mise en corrélation avec celle de la productivité.
Interrogé sur les résistances auxquelles les politiques d’austérité font face dans les pays en crise aiguë et ailleurs, le Premier ministre rappelle les mises en garde qu’il lance depuis deux ans : la crise financière peut se transformer en crise économique, celle-ci peut devenir une crise sociale et la crise sociale peut déboucher sur une crise du système. On lui a reproché de tenir des propos exagérés, regrette-t-il, pour persister : "aujourd’hui, le sentiment croissant d’injustice qui se propage dans nos sociétés me préoccupe à chaque instant, il ne me quitte plus. Les revendications des manifestants à Madrid, Barcelone et Athènes ne constituent pas vraiment une alternative à l’indispensable consolidation budgétaire. Mais je conseille à tous les décideurs politiques de bien écouter le nouveau sentiment de vie qui s’articule là. Le fait que de plus en plus de personnes ont l’impression que l’injustice gagne du terrain dans nos sociétés, parce que les banques doivent être sauvées et que ceux que l’on appelle les petites gens doivent payer la note, ça c’est une bombe à retardement pour notre modèle social et économique. Nous verrons dans deux ans si j’ai exagéré".
Sur la question des réfugiés, Jean-Claude Juncker s’est aussi livré à un plaidoyer pour plus d’humanité et de générosité. Alors que les Etats membres ont manifesté de grands désaccords sur la question ces dernières semaines, il pense que "si 80 000 Tunisiens ou Libyens viennent en Europe, cela ne représente aucun problème (…) pour un continent qui compte 500 millions d’habitants. L’Italie peut très bien maîtriser une telle situation". Mais il ajoute : "En disant cela, je ne pense pas que l’Italie devrait s’occuper toute seule du problème. Nous sommes prêts à l’aider".
Et le Luxembourg dans ce contexte? "Si des personnes sont persécutées à cause de la couleur de leur peau, de leurs opinions ou de leur religion, elles sont les bienvenues au Luxembourg. Et malgré les discours, les Luxembourgeois sont prêts à accueillir ces personnes. Je ne voudrais pas que des personnes perdent la vie parce qu’il n’y a pas eu de place pour elles au Luxembourg". Bref, pour les personnes dont la demande d’asile politique est justifiée, il y a de la place, mais par pour celles dont la demande ne l’est pas.
La mise en cause de la libre circulation des personnes, autrement dit de l’acquis de Schengen ? Cela "le met dans une colère sans limites". Jean-Claude Juncker est "tout à fait prêt à ce que les règles de Schengen soient revues". Mais il "se défend contre la mise en cause de la seule chose qui rend l’Europe sympathique aux yeux des gens – les frontières ouvertes – et ce pour se plier devant à une atmosphère populiste qui prédomine pour le moment".
Et l’adhésion de la Croatie ? Pour le Premier ministre, qui rappelle les flots de réfugiés kosovars de 1999, qui étaient plus nombreux au Luxembourg qu’en France, l’élargissement vers la Croatie est une contribution à la pacification de la région des Balkans occidentaux, dont les problèmes ont de toute manière des répercussions sur les pays de l’UE. Et il précise : "En ce qui concerne la Croatie, je dois souligner que je ne suis pas partisan d’un élargissement irréfléchi. Mais je suis de ceux qui aiment cette jolie histoire qui dit que la géographie et l’histoire européenne doivent se donner la main, mais sans écraser personne". Tout en disant cela, Jean-Claude Juncker se rend compte que "les gens en Europe de l’Ouest sont fatigués de l’élargissement".Mais, donne-t-il à penser, "ils devraient se demander si le continent serait plus agréable à habiter si nous avions renoncé à l’élargissement". Une opinion qu’il ne partage pas.