Dans un entretien publié dans le Quotidien daté du 12 septembre 2011, le producteur de lait Fredy de Martines, président du Luxembourg Dairy Board (LDB), fait le point sur la situation du secteur, mais aussi sur les discussions en cours sur la réforme de la PAC.
Ainsi qu’il l’explique à Olivier Landini, si "la situation n’est évidemment toujours pas très rose", il faut se souvenir qu’en 2009, "la situation était catastrophique". Les prix du lait sont un peu remontés, ce qui permet aux exploitations de "tourner à nouveau".
Pour Fredy de Martines, "si le prix du lait a progressé, cela tient essentiellement au fait que le marché mondial s'est avéré plus fluide cette dernière année et demie". "Si la demande n'a pas évolué, l'offre, par contre, était plus faible, notamment en raison de la sécheresse qu'ont connue certaines régions du monde comme la Nouvelle-Zélande", explique-t-il, ce qui entamé mécaniquement une augmentation des prix.
Quant à l’aide de 300 millions d’euros accordée par l’UE en 2009, elle était ponctuelle et, pour le producteur de lait, si de telles aides s’avèrent nécessaires à un moment donné, elles ne permettent pas de soutenir véritablement le secteur à moyen ou long terme. "Les sommes qui sont débloquées semblent toujours énormes, mais ces 300 millions d'euros, par exemple, nous ont tout juste permis d'obtenir 0,7 cent de plus sur le litre de lait", précise Fredy de Martines.
A joué également l’intervention de l’UE sur les marchés en 2009. "L’UE a sorti du marché - qui était alors saturé - la production que nous avions en surplus", explique Fredy de Martines, un surplus qui est ensuite "bradé sur le marché mondial". Selon ce système, détaille le producteur de lait, l’UE achète au prix du moment - à l'époque, 20-22 cents - puis elle stocke et attend que le marché mondial se rétablisse, c'est-à-dire que les prix remontent. Et quand les prix atteignent un certain niveau, elle revend. "Pour I'UE, c'est un marché très lucratif parce qu'elle nous achète la marchandise à un prix très bas et la revend ensuite à un prix double, voire triple", commente Fredy de Martines qui dit comprendre que l’UE veuille continuer à pratiquer ce système. Pourtant il s’interroge : "Est-ce là la solution pour sauver le marché ?" A ses yeux, "il n'y a pas de logique dans ce système" qui a de plus des "effets dévastateurs" sur les pays en voie de développement. "Cela vient en effet complètement détruire le marché des producteurs locaux de ces pays, dont nous sommes solidaires", déplore Fredy de Martines pour qui il est nécessaire de "créer des instruments pour ne pas se retrouver dans ce type de situation sans alternative".
"Si on n'entend plus trop parler de nous en ce moment, c'est parce que politiquement ça bouge beaucoup au niveau européen", confie aussi Fredy de Martines au journaliste. Le président du LDB dit en effet suivre de très près les discussions sur la réforme de la PAC, menant donc plutôt "un travail politique d’arrière-plan" : "nous sommes actuellement en train de mener des discussions avec toute une série de députés européens ainsi qu'avec le commissaire européen en charge de l'agriculture".
Interrogé sur le commissaire en charge du dossier, Dacian Ciolos, Fredy de Martines raconte avoir eu la chance de déjeuner avec lui à Bruxelles. "Il vient de Roumanie et a un autre vécu que l'ancienne commissaire", juge-t-il, avouant qu’il donne "l'impression d'être du côté des agriculteurs » et « de construire ses réflexions à partir du point de vue des agriculteurs". "Cet homme est disposé à intervenir d'une autre manière que son prédécesseur, Mme Fischer-Boel, qui allait à la catastrophe", abonde encore le producteur de lait.
Mais, raconte-t-il, "la Commission européenne est un gigantesque appareil qui avance". "Dacian Ciolos, en tant que nouveau commissaire, peut bien sûr y apporter des modifications, mais il ne peut pas, d'un coup, faire une révolution", reconnaît Fredy de Martines. Il faudra donc "patienter encore un peu" pour savoir s’il arrivera "effectivement à renverser la tendance".
En ce qui concerne la réforme prévue dans le cadre de la PAC, et plus précisément le secteur laitier, Fredy de Martines explique que "le système de quotas va être aboli". "Au début, la Commission voulait libéraliser complètement le marché", raconte-t-il, ajoutant qu’entre temps, "une large opposition s'est constituée".
"Nous, ce qu'on dit, c'est que si le marché est libéralisé, tout le monde va produire davantage et les prix vont alors dégringoler. En même temps, les producteurs vont être contraints d'investir énormément pour être plus compétitifs. Il y a des exploitations qui actuellement s'appuient sur 50 vaches et qui risquerait ainsi de passer d'un coup à 200-300 vaches. D'un côté, il n'y aurait aucune garantie en ce qui concerne les prix et, de l'autre, avec les investissements qui vont être nécessaires, les producteurs vont se retrouver très fragilisés. Au moindre accident, ce sera fini", plaide le président du LDB.
A ce stade des discussions, "rien n’est fait", mais Fredy de Martines a le sentiment que "de plus en plus de monde se rend compte que ça ne peut pas aller dans cette direction" : il voit à présent "un large consensus sur le fait qu'une libéralisation totale ne peut pas fonctionner". "Que faire alors? C'est l'enjeu des discussions qui sont en cours en ce moment et auxquelles on participe activement", résume-t-il.
Invité à se prononcer sur "l'ambition du commissaire visant à rendre l'agriculture plus verte", Fredy de Martines juge "évident que l'agriculture doit se préoccuper davantage des questions environnementales", et il estime d’ailleurs que les agriculteurs sont "prêts à faire le pas", à inscrire leur travail "dans une logique de développement durable". "Mais pour cela, il faut qu'on nous en donne les moyens", lance le porte-voix des producteurs de lait qui considère que "cela ne peut pas se faire uniquement à nos dépens et à nos frais".
A ses yeux, "il faudrait tout poser à plat", car il s’agit d’un "débat plus large". "La PAC représente un gros paquet d'argent et, en gros, la question se résume aujourd'hui à savoir : comment répartir cette somme?", analyse le président du LDB qui "trouve que cette approche n'est pas la bonne". Selon lui, "on devrait avant tout se fixer des objectifs : Où veut-on aller? Quelle agriculture veut-on dans 20-30 ans? Comment la bâtir? Veut-on vraiment une agriculture industrialisée, libéralisée?"
"Une fois que les objectifs seront fixés, il faudra ensuite voir comment on les atteint et comment on investit l'argent", propose ainsi Fredy de Martines.