Le STATEC vient de publier le Rapport travail et cohésion sociale 2011.
Le document est composé de deux parties, la première étant consacrée au marché du travail, la deuxième aux revenus, aux conditions de vie et aux questions de qualité de vie. Une mise en perspective démographique ouvre le rapport. Partout où il peut, il livre la comparaison européenne pour positionner le Luxembourg dans un grand ensemble. Un moyen de bousculer certaines idées reçues.
Dans son introduction à la présentation du rapport qui a été faite le 14 octobre 2011, le directeur du STATEC, Serge Allegrezza, a expliqué que le rapport montre que "la récession n’a pas encore entamé la cohésion sociale au Luxembourg". Un indice en est que le taux de risque de pauvreté (population dont le revenu se situe en-dessous du seuil fixé à 60 % du revenu médian) est resté stable à 14,5 %. Reste que le Luxembourg n’a pas défini d’objectifs de lutte contre la pauvreté dans le cadre de la stratégie Europe 2020, en quoi il fait exception parmi les Etats membres de l’UE.
Un autre indice est l’augmentation du taux d’emploi, positive, avec 70,9 % de la population active résidente, et ce malgré un chômage qui est évalué autrement au niveau de l’UE (4,4 % selon les normes du BIT) et par l’ADEM (6 %).
Finalement, le rapport vient aussi bousculer d’autres idées reçues, comme le fait que le pouvoir d’achat a augmenté au cours de la crise par le jeu de l’indexation des salaires, des négociations salariales dans un pays à haut degré de syndicalisation – seulement dépassé par les pays scandinaves de l’UE – et des transferts sociaux.
Bref, Serge Allegrezza s’est déclaré "optimiste, car jusque là, le modèle social a résisté à la crise". Reste un bémol : Les indicateurs de confiance révèlent selon lui "une certaine nervosité dans tous les secteurs et couches de la société luxembourgeoise". Mais il espère que le rapport, qui propose des analyses aux parties prenantes, aura sa place dans les débats pour le programme national de réformes, la tripartie et les processus d’évaluation des politiques nationales.
Le marché du travail est étudié à travers l’évolution de l’emploi, les taux d’emploi, les formes de travail et les conditions de travail (travail à mi-temps, travail en CDD, par exemple), le chômage - également à travers de nouveaux indicateurs allant au-delà des notions de chômage et d’emploi au sens strict -, ainsi que les salaires. Cette partie du rapport est complétée par des études spécifiques sur les politiques de l’emploi, la conciliation de la vie privée et professionnelle et le taux de syndicalisation.
Parmi les résultats du rapport, le STATEC souligne qu’en 2010, 70,6 % des personnes âgées de 20 à 64 et vivant au Luxembourg ont eu un emploi. Au niveau des 27 pays de l’Union européenne, ce taux d’emploi a été de 68,6 %. L’objectif de la stratégie Europe 2020 est pour le Luxembourg d’arriver d’ici 2020 à un taux d’emploi de 73 %, un objectif dont il se rapproche donc lentement. A signaler que le taux d’emploi au Luxembourg était encore de 62 % en 1995.
Ce sont plutôt les femmes que les hommes qui ont poussé le taux d’emploi vers le haut. En 2010, le taux d’emploi des hommes au Luxembourg s’est établi à 79,2 %, sans trop de changements en 15 ans, et celui des femmes à 62,0 %, alors qu’il tournait autour de 45 % il y a quinze ans.
Un des résultats marquants du rapport est que les taux d’emploi des hommes et des femmes sont fortement conditionnés par la présence d’un enfant de moins de 15 ans au sein du ménage. En effet, parmi les hommes âgés de 20 à 49 ans n’ayant pas d’enfant à charge, 19,8 % n’ont pas eu d’emploi. Cette proportion tombe à 7,7 % s’ils ont un enfant à charge. Chez les femmes de 20 à 49 ans, 31,3 % de celles qui ont un enfant à charge ne travaillent pas. Cette proportion est quasi la même s’il n’y a pas d’enfant à charge.
La présence d’un enfant a un impact significatif sur l’intensité de travail. En effet, chez les femmes qui ont un enfant à charge, 33.7 % travaillent à temps partiel, contre 13.3 % de celles qui n’ont pas d’enfant à charge. Par contre, chez les hommes, le temps partiel reste marginal, qu’ils aient un enfant à charge (2,5 %) ou non (1,5 %)
Il ressort aussi de l’enquête du STATEC que les dépenses pour les politiques de l’emploi en termes de PIB ont été au Luxembourg de 0,9 % en 2008 et de 1,3 % en 2009. Au même moment, les dépenses dans l’UE étaient de 1,6 % respectivement 2,2 %. Le Luxembourg est donc nettement en-dessous de cette moyenne, bien que ses dépenses aient également augmenté de beaucoup avec la crise.
Un autre volet du rapport est consacré d’abord à la perception subjective de la situation économique et sociale par les ménages, ensuite aux revenus des ménages (le revenu disponible, la distribution des revenus et le taux de pauvreté, notamment) et au patrimoine des ménages. Des études plus ciblées sont consacrées à certains aspects de qualité de vie, comme la privation matérielle, la victimisation (perception de la sécurité et de la criminalité) et la santé.
En 2009, le pouvoir d’achat par habitant se maintient grâce aux prestations sociales.
Le STATEC vient de publier pour la première fois les comptes sectoriels des ménages – commentés dans ce "rapport travail et cohésion sociale 2011" - qui donnent une idée de la composition de ces revenus et de l’évolution générale du niveau de vie. C’est grâce à la redistribution, c’est-à-dire aux prestations sociales, que le niveau de vie se maintient en 2009, malgré un tassement des revenus primaires (composés notamment des rémunérations et des revenus de la propriété).
On peut ainsi lire à la page 70 du rapport : "En 2010, le salaire moyen nominal dans la zone euro est de 34 % plus élevé qu’en 1996. En termes de pouvoir d’achat, l’écart entre 2010 et 1996 n’est que d’environ + 3 %. Pour le Luxembourg, on passe d’un écart de + 50 % en valeur nominale entre 1996 et 2010, à environ + 12 % en termes de pouvoir d’achat. Pour la Belgique, l’écart entre le salaire moyen nominal de 1996 et celui de 2010 est de + 38 %. En termes de pouvoir d’achat l’augmentation est réduite à 5 %. En France, le salaire nominal en 2010 est de 42 % plus élevé qu’en 1996, le salaire moyen en termes de pouvoir d’achat de seulement +13 %. En termes de pouvoir d’achat l’évolution du salaire moyen en France depuis 1996 est donc légèrement plus favorable qu’au Luxembourg. Il ne faut cependant pas oublier, qu’en niveau, le salaire moyen au Luxembourg est plus élevé qu’en France (47 000 € au Luxembourg et 32 600 € en France en 2010). L’Allemagne constitue un cas un peu à part. Le salaire moyen nominal n’y a augmenté que de 13 % entre 1996 et 2010. En termes de pouvoir d’achat, le salaire moyen en 2010 est même de quelque 8 % inférieur à son niveau de 1996. Evidemment, cette évolution en Allemagne pèse sur la moyenne de la zone euro".
Mais, ajoute le rapport, "d’une manière générale, le différentiel de l’évolution du salaire moyen entre les pays est beaucoup plus réduit en termes de pouvoir d’achat qu’en termes nominaux".
En résumé, dit ensuite le rapport, "le taux de croissance du salaire nominal était de 1,5 % en moyenne annuelle de 2008 à 2010, alors que la moyenne pour les années antérieures (1996-2007) était de 3,3 % de croissance annuelle. En termes de pouvoir d’achat la variation annuelle moyenne du salaire était de - 0,5 % pour les années 2008-2010, alors qu’elle était de +1,2 % par an en moyenne pour les années 1997-2007". Et il constate page 72 pour l’année 2010 : "Les comptes nationaux trimestriels montrent une nette tendance à la hausse du salaire moyen nominal à partir du quatrième trimestre 2010, faisant que le taux de croissance du salaire moyen en termes de pouvoir d’achat redevient légèrement positif".
Mais le rapport constate encore autre chose à sa page 165 : "Si le taux de croissance du PIB par habitant chute fortement de 2007 à 2009 au Luxembourg, c’est moins le cas pour le revenu disponible brut des ménages". Et il dit : "De 2006 à 2009, le pouvoir d’achat moyen au Luxembourg a augmenté de 5,6 %. En valeur nominale, le revenu disponible des ménages par habitant est passé au Luxembourg de 26 700 € en 2006 à 30 000 € en 2009, soit une augmentation de 12 %. En déflatant le revenu disponible par habitant par l’indice des prix à la consommation, on peut comparer l’évolution du pouvoir d’achat moyen dans les pays européens".
Et que donne cette comparaison ? "On constate que la progression du pouvoir d’achat dans notre pays dépasse largement celle des pays voisins. Le pouvoir d’achat du revenu disponible brut des ménages par habitant au Luxembourg est, en 2009, de 5,6 % plus élevé qu’en 2006. Par contre, en Allemagne, il y a stagnation ; aux Pays-Bas, après avoir augmenté en 2007, le pouvoir d’achat retourne en 2009 à son niveau de 2006 ; en France et en Belgique, le pouvoir d’achat augmente de plus de 2% en 2007, puis stagne".
Et de conclure : "En prenant en considération les taux de croissance, le pouvoir d’achat au Luxembourg augmente assez fortement en 2007 et 2008 (de quelque 2,5 % par an), mais, effet de la crise, il ne connaît qu’une progression légère en 2009. En 2008, l’écart du taux de croissance du pouvoir d’achat au Luxembourg par rapport à la zone euro était encore très important (2,5 % contre -0.4 %, soit une différence de 3 points de %). En 2009, cet écart est beaucoup plus réduit (1,2 points) même si le chiffre du Luxembourg reste positif, contrairement à la zone euro (+0,4 % contre -0,8%)". Les prestations sociales ont joué un grand rôle dans ce phénomène, contrairement à ce qui s’est passé dans le reste de la zone euro.
Les transferts sociaux sont aussi selon le rapport à l’origine de la stabilisation du taux de risque de pauvreté. Les résultats de l’enquête EU-SILC (Statistics on income and living conditions) confirment l’impact des transferts sociaux. La tendance du taux de pauvreté avant transferts sociaux est à la hausse depuis quelques années, passant de 39,2 % en 2007 à 45 % en 2010, respectivement, si on tient compte des pensions, de 23,4 % à 29,1 %. Les transferts sociaux atténuent cette tendance. Le taux de risque de pauvreté (population dont le revenu se situe en-dessous du seuil fixé à 60 % du revenu médian) est de 14,5 % en 2010, contre 17,1 % dans l’UE, contre 14,9 % (UE : 17,8) en 2009 et 13,5 % (UE : 15,9) en 2007.
En termes de perception, les résidents luxembourgeois ne sont que 23 % à déclarer avoir des difficultés à joindre les deux bouts, une part relativement faible pour le Luxembourg, qui se place ici en en troisième position sur le plan européen, juste derrière la Suède, où 17,8 % des ménages en Suède déclaraient en 2009 avoir des difficultés pour joindre les deux bouts, et la Norvège avec 19,5 %. En Belgique, il est question de 43 % des ménages, en France de 59 %, alors qu’il n’y a pas de chiffres sur l’Allemagne. A l’inverse, la proportion de ménages déclarant avoir des difficultés financières est très forte dans les pays d’Europe de l’Est : la Roumanie (85,5 %), la Lituanie (87 %), la Hongrie (88,9 %) et la Bulgarie, où 92,3 % des ménages déclaraient en 2009 rencontrer des difficultés pour joindre les deux bouts. (cf. page 158). Au Luxembourg, plus de 35 % des travailleurs manuels déclarent éprouver cette difficulté, presque 30 % des employés, 11 % des professions intermédiaires et plus de 5 % des cadres dirigeants.
En ce qui concerne la perception de la privation matérielle, le rapport dit que "les ménages et les individus au Luxembourg sont en moyenne moins touchés par la privation matérielle que dans les autres pays de l’UE15. Ceci est vrai pour tous les éléments de privation considérés dans le module. Font cependant exception à la règle le manque d’espace dans le logement (19,2 % des ménages au Luxembourg déclarent manquer d’espace dans leur logement, contre 13,3 % pour les autres pays de l’UE15) et l’absence d’un espace convenable pour les devoirs et les études des enfants (10,1 % des ménages au Luxembourg n’ont pas d’espace convenable dans leur logement pour permettre à leurs enfants d’étudier ou de faire leurs devoirs, contre 5,3 % des ménages des autres pays de l’UE15".
La part des personnes qui affirment être en bonne ou en très bonne santé au Luxembourg est supérieure à celle de la moyenne de l’UE, 66 % contre 57 % dans le premier quintile de revenus, 73 % contre 67 % dans le troisième quintile de revenus et 83 % contre 79 % dans le cinquième quintile. Les personnes âgées de plus de 65 ans sont presque 50 %, et même les personnes âgées de 75 à 84 ans sont 40 % à affirmer être en bonne ou très bonne santé, avec plus de 10 points très nettement au-dessus de la moyenne UE.