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Economie, finances et monnaie - Traités et Affaires institutionnelles
En publiant un livre vert attendu, la Commission européenne lance un débat qu’elle veut "structuré" sur l’émission d’obligations de stabilité communes aux Etats membres de la zone euro
23-11-2011


Le 23 novembre 2011, la Commission européenne a mis sur la table son livre vert sur les obligations de stabilité, l’idée étant de faire progresser, de manière structurée, l'important débat sur l'émission conjointe de titres de créance dans la zone euro. Un document attendu alors que le débat fait rage au sujet de ces euro-obligations dont Jean-Claude Juncker s’était fait l’apôtre dès la fin 2010.

En proposant trois pistes possibles pour ces obligations de stabilité et en présentant une analyse détaillée de leur impact financier et juridique, la Commission entend tracer les contours de ce débat tout en arrêtant un calendrier précis pour les prochaines étapes.La consultation publique sur les obligations de stabilité lancée par la Commission le 23 novembre 2011

Selon la Commission, l’émission commune d’obligations impliquerait un important approfondissement de l’Union économique et monétaire. Elle créerait de nouveaux moyens par lesquels les gouvernements pourraient financer leur dette tout en offrant aux épargnants et aux institutions financières des opportunités d’investissements sûrs et ayant un haut niveau de liquidité. En émettant ensemble des obligations de stabilité, les Etats membres partageraient aussi les revenus associés à l’émission de la dette et les coûts liés au service de la dette. Le marché intégré d’obligations qui en résulterait à l’échelle de la zone euro égalerait par ailleurs en taille et en liquidité celui du dollar américain, argue encore la Commission.

Le livre vert sur les obligations de stabilité analyse ainsi les avantages potentiels et les enjeux des trois approches proposées en matière d'émission conjointe de titres de créance dans la zone euro. Il énonce les effets probables de chacune de ces approches sur les coûts de financement des États membres, l'intégration financière européenne, la stabilité des marchés financiers et l'attractivité internationale des marchés financiers de l'UE. Il examine aussi le risque d'aléa moral posé par chaque approche, ainsi que ses implications en termes de modification des traités.

Les obligations de stabilité sont considérées par certains comme une réponse à long terme potentiellement très efficace à la crise de la dette souveraine, tandis que d'autres craignent qu'elles ne fassent disparaître l'incitation à la discipline budgétaire exercée par le marché et n'encouragent l'aléa moral. La Commission précise que toute mesure allant dans le sens de la mise en place des obligations de stabilité ne serait réalisable et souhaitable que si elle s'accompagnait d'un renforcement de la discipline budgétaire. Le cadre budgétaire soutenant l’UEM connaîtrait en conséquence des changements substantiels dans la mesure où les obligations de stabilité devraient être accompagnées d’une surveillance plus étroite et plus stricte afin d’assurer la discipline budgétaire, ainsi que n’a pas manqué de le souligner Olli Rehn en présentant ce livre vert. Certaines des options considérées pourraient même nécessiter un changement des traités.

Mais du point de vue de la Commission, quel que soit le temps nécessaire pour la mise en œuvre de telles obligations, un accord sur leur émission commune pourrait avoir un effet immédiat sur les marchés en réduisant les coûts moyens et marginaux de financement des Etats membres qui sont actuellement soumis aux pressions des marchés.

José Manuel Barroso a appelé les gouvernements à mener la discussion "avec un esprit ouvert et sans dogmatisme", jugeant que l'émission de dette publique en commun par les pays utilisant l'euro "pourrait apporter des bénéfices énormes". La publication de ce livre vert ouvre donc une consultation publique qui sera close le 8 janvier 2012 et qui se veut aussi ouverte que possible. "Les points de vues des principaux acteurs sont essentiels", indique en effet la Commission qui cite notamment comme tels les Etats membres, les parlements nationaux et le Parlement européen, les opérateurs du marché financier, les associations professionnelles, les chercheurs, ainsi que le grand public.

Les trois options considérées

Dans son livre vert, la Commission s’est penchée sur trois approches qui se distinguent selon le degré de substitution de l’émission nationale (plein ou partiel) et selon la nature des garanties impliquées (personnelle et solidaire, ou bien propre à chaque Etat membre).

La première option considérée reviendrait à une pleine substitution de l’émission obligataire nationale par celle d’obligations de stabilité. Une approche qui semble, aux yeux de la Commission, "la plus ambitieuse" puisqu’elle reviendrait à remplacer l’intégralité des émissions obligataires nationales par des obligations de stabilité et que chaque Etat membre serait pleinement responsable pour l’intégralité de l’émission. Cette option pourrait potentiellement avoir de forts effets positifs sur la stabilité et l’intégration, avance la Commission, qui relève aussi qu’en abolissant tout pression des marchés ou des taux d’intérêts sur les Etats membres, elle induirait un risque relativement élevé d’aléa moral et pourrait nécessiter des modifications conséquentes du traité.

La deuxième option envisagée consiste en une substitution partielle des émissions obligataires nationales par l’émission d’obligations de stabilité, avec des garanties personnelles et solidaires. Dans ce cas, les obligations de stabilité ne couvriraient qu’une partie des besoins de financement nationaux. Les Etats membres continueraient donc à émettre leurs propres obligations, mais le volume de ces obligations nationales serait plus faible du fait de l’émission parallèle d’émissions de stabilité. Les Etats membres continueraient donc d’emprunter sur les marchés financiers pour leur propre compte, et seraient soumis à des conditions de financement qui varieraient selon les Etats membres en fonction de la qualité de leur signature. Le risque d’aléa moral existerait donc avec cette option, mais il serait nettement réduit que dans le cas de la première option. Reste à déterminer le volume spécifique ou la part de besoins de financement d’un Etat membre qui pourraient être apportés par l’émission d’obligations de stabilité.

La troisième option considérée revient à substituer partiellement les obligations nationales par l’émission d’obligations de stabilité avec des garanties personnelles, mais non solidaires. Il s’agit de l’approche "la plus limitée" selon la Commission, dans la mesure où elle ne couvrirait que partiellement les besoins de financement des Etats et qu’elle ne serait couverte que par des garanties personnelles. En termes de stabilité et d’intégration, les effets seraient donc a priori les moindres, tandis que le risque d’aléa moral dans la conduite des politiques économiques et budgétaires des Etats membres serait lui aussi très limité. Selon la Commission, cette option pourrait être mise en place assez rapidement puisque les mesures nécessaires pour contrebalancer ce petit risque d’aléa moral seraient limitées, et qu’un tel instrument serait par ailleurs pleinement compatible avec le traité. Pour assurer la solvabilité suffisante de tels instruments, des garanties supplémentaires, à savoir des rehaussements de crédit, pourraient, selon la Commission, être nécessaires, sous la forme par exemple de garanties collatérales apportées par les Etats membres. Cette approche pourrait avoir certaines similitudes avec les obligations émises par l’EFSF, note la Commission, qui souligne cependant qu’à la différence de ces dernières, les obligations de stabilité seraient disponibles pour tout Etat membre de la zone euro, indépendamment d’un contexte de crise.

La Commission pointe "les avantages considérables" qu’aurait l’émission d’obligations de stabilité

Dans son papier, la Commission liste "les avantages considérables" que pourrait avoir l’émission commune de ces obligations de stabilité.

La perspective de ces obligations de stabilité pourrait potentiellement atténuer rapidement la crise actuelle de la dette souveraine dans la mesure où les Etats membres dont les obligations ont les plus hauts rendements pourraient bénéficier de la solvabilité de ceux qui se financent à moindre coût. Et ce même si leur mise en œuvre devait prendre du temps.

Les obligations de stabilité rendraient le système financier de la zone euro plus résistant à des chocs futurs et renforceraient ainsi la stabilité financière, avance aussi la Commission. Les obligations de stabilité fourniraient une source de garanties collatérales plus robuste pour toutes les banques de la zone euro, réduisant d’autant leur vulnérabilité à la détérioration des notations des Etats membres par les agences de notation. De même, souligne la Commission, d’autres investisseurs, comme les compagnies d’assurance-vie et les fonds de pension, qui ont tendance à détenir une assez grande part d’obligations souveraines domestiques, bénéficieraient d’un actif plus robuste et homogène sous la forme d’obligations de stabilité.

La Commission avance par ailleurs que les obligations de stabilité amélioreraient l’efficacité de la politique monétaire de la zone euro en créant une plus large réserve d’actifs sûrs et liquides. Cela aiderait selon les auteurs du livre vert à assurer que les conditions monétaires fixées par la BCE aient un effet sur les conditions de financement sur le marché obligataire, ce qui est une pré-condition à ce que la politique monétaire ait un effet sur les coûts d’emprunt des entreprises et des ménages.

Les obligations de stabilité permettraient de faire gagner en efficacité le marché obligataire de la zone euro et, plus largement, le système financier de la zone euro, avance encore la Commission. Elles permettraient de créer un marché large et très liquide, et elles seraient dotées d’un unique rendement de référence qui serait, selon l’analyse de la Commission, assez bas du fait de la liquidité et de la haute qualité de crédit qu’aurait ce marché des obligations de stabilité. Une seule série d’obligations de stabilité sans risque pour l’ensemble des échéances aiderait à développer plus largement le marché obligataire en stimulant l’émission d’obligations par des émetteurs non souverains, comme les communes et les sociétés, argue encore la Commission.

Enfin, les obligations de stabilité faciliteraient les investissements de portefeuille dans l’euro et soutiendraient un système financier mondial plus équilibré, estiment les auteurs du livre vert. L’augmentation des volumes d’émission et le caractère plus liquide des marchés secondaires qu’impliquerait l’émission d’obligations de stabilité renforcerait la position de l’euro en tant que monnaie de réserve internationale.

Les défis et les conditions qu’impliquerait l’introduction d’obligations de stabilité

La Commission ne manque pas cependant de lister aussi les défis importants qu’impliquerait l’émission de telles obligations, en faisant le tour des conditions qu’il conviendrait de remplir à cet effet.

Parmi les principales, - les plus techniques sont détaillées dans le livre vert -, on peut citer notamment la nécessité d’éviter tout affaiblissement dans la discipline de marché. "Tout type d’obligation de stabilité devrait être accompagné d’une surveillance budgétaire substantiellement renforcée et d’une coordination des politiques", indique ainsi la Commission qui entend ainsi éviter tout risque d’aléa moral et assurer la soutenabilité des finances publiques. Le livre vert évoque ainsi des moyens de renforcer la surveillance budgétaire au-delà de ce que fait le paquet sur la gouvernance. Les obligations de stabilité impliquent en effet un pas de plus vers une souveraineté budgétaire partagée par les Etats membres de la zone euro, ce qui va nécessiter un débat important.

Ces obligations de stabilité devraient par ailleurs être conçues et émises de façon à ce que les investisseurs les considèrent comme un actif très sûr, relève la Commission qui soulignent qu’elles auront besoin d’avoir une qualité de crédit très élevée pour être acceptées tant par les investisseurs que par les Etats membres de la zone euro qui bénéficient des meilleures notations. Une condition tout aussi nécessaire pour faire de ces obligations une référence internationale et pour étayer le développement et le fonctionnement efficace des futurs marchés qui leurs seront liés et des marchés d’options, qui sont indispensables pour l’injection de liquidités sur le marché obligataire.

Enfin, les obligations de stabilité doivent être compatibles avec le traité de l’UE, ce qui n’est pas le moindre des défis. Or l’émission d’obligations de stabilité dotées de garanties personnelles et solidaires serait a priori incompatible avec la clause du "no bail out".

Pour ce qui est de la mise en œuvre pratique, le livre vert analyse l’organisation de l’émission de titres de créances par des offices de gestion de la dette, mais aussi les liens avec le futur ESM, ou encore le régime juridique qui serait appliqué. Il y est aussi question de documentation, de convention de marché et de questions comptables. Autant de sujets opérationnels et pratiques qui devront être résolus une fois qu’une décision aura été prise sur le principe et sur la forme de base que devraient prendre les obligations de stabilité.