Lors de sa conférence de presse à Bruxelles, Jamie Bartlett, a effectivement déclaré : "Alors que de nombreux pays européens ont les yeux fixés sur l'état de leur économie, une autre crise de confiance se prépare. Dans toute l'Europe, des jeunes gens se sentent abandonnés par les partis traditionnels et leurs représentants et affichent de la sympathie pour les groupes populistes."
L'étude de Demos s'appuie sur les réponses fournies sur le site de socialisation Facebook par près de 11 000 sympathisants de 14 groupes d'extrême droite dans onze pays européens. Demos a procédé de la manière suivante, qui n’est pas sans poser problème, comme tout ce qui se rapporte à Facebook : les utilisateurs de Facebook qui allaient sur les comptes de ces partis étaient redirigés vers l’enquête. Demos considère son enquête comme étant la première étude quantitative qui a pour objet les "populistes numériques" et les raisons qui pourraient les faire basculer de la politique virtuelle dans la politique réelle.
Du côté des voisins du Luxembourg, l’étude a scruté en France le Bloc Identitaire et le Front national (deux formations qui sont perçues au Luxembourg comme des formations d’extrême droite plutôt que populistes, ndlr), en Allemagne "Die Freiheit", un groupe de 2000 personnes créé en 2010 et dirigé par un député de la ville de Berlin dissident de la CDU, René Stadtkewitz, en Belgique le parti d’extrême droite flamand Vlaams Belang et aux Pays-Bas le PVV de Geert Wilders. Elle a aussi prêté son attention au British National Party et à la English Defence League, la Casa Pound Italia et la Lega Nord en Italie, le Dansk Folkeparti, qui a été à l’origine du rétablissement des contrôles aux frontières intérieures de Schengen au Danemark et entretemps battu aux élections législatives danoises, la Freiheitliche Partei Österreichs (FPÖ), le Parti des Vrais Finnois, les Démocrates suédois et le Parti du progrès de Norvège.
Le rapport de Demos définit les populistes comme opposés à l’immigration, préoccupés par la protection de la culture nationale et européenne, hostiles à l’islam et à l’islamisme, critiques à l’égard de la globalisation, soucieux de l’effet du capitalisme international sur les droits des travailleurs, enclins à recourir à une rhétorique "anti-establishment". Dans certains pays de l’UE, leurs partis arrivent à la troisième place en termes de résultats électoraux. En Autriche, en Bulgarie, au Danemark, en Hongrie, aux Pays-Bas, en Suède, en Lettonie et Slovaquie, ils sont fortement représentés dans les parlements nationaux.
Les partis populistes recourent selon le rapport volontiers aux médias sociaux en ligne pour diffuser leur message, recruter et organiser. Et c’est là aussi, « dans ce mélange d’activité politique virtuelle ou réelle », comme le souligne l’étude, que des millions de jeunes ont leur premier contact avec la politique, un contact qui pour eux devient la norme. L’étude permet de voir comment ce contact à travers des médias sociaux change les données de l’engagement politique.
Les populistes sont surtout de jeunes hommes en-dessous de 30 ans. Ils sont un peu plus souvent au chômage que la moyenne de la population de leur classe d’âge.Un tiers des populistes sont des étudiants. Les partisans des partis populistes sur l’Internet sont aussi actifs dans la réalité : ils sont souvent membres – pour près d’un tiers d’entre eux - du parti qu’ils soutiennent, deux tiers votent pour ce parti et un quart participent à des manifestations.
Ils s’identifient avec les valeurs de leur parti – identité nationale et culturelle – et le rejoignent parce qu’ils craignent que l’immigration et le multiculturalisme les menaceraient. Ils sont déçus par les tendances politiques traditionnelles et ont plus confiance dans des dirigeants "qui disent ce qu’ils pensent". L’étude dit ici que "nos recherches ont trouvé peu d’éléments pour affirmer que les questions économiques sont un facteur de soutien, et ce contrairement à des recherches antérieures et aux explications communes dans le discours public ».
Les jeunes qui soutiennent les partis populistes citent plus souvent l’immigration que les personnes un peu plus âgées, ce qui est selon l’étude "contraire à la perception commune que les personnes plus âgées sont plus opposées à l’immigration".
Les populistes ont peu confiance dans les institutions de leur pays et encore moins dans les institutions européennes. La même défiance frappe les systèmes judicaires, mais pas la confiance dans la police et l’armée, qui est identique à celle du reste de la population. Ils semblent pour l’étude être des "démocrates mécontents", car ils sont d’avis que voter, c’est important, et désavouent le recours à la violence, même si un quart d’entre eux pense que "la violence est acceptable si elle mène à de bonnes fins". Ils sont surtout d’avis que "la politique n’est pas une manière effective de répondre à leur préoccupations". Et s’ils ne sont pas plus pessimistes que le reste de la population en ce qui concerne leur propre sort, ils sont pessimistes en ce qui concerne le futur de leur pays.
L’Union européenne est de son côté rendue responsable de la perte du contrôle des frontières et de l’érosion de la l’identité culturelle nationale.
Le passage de l’activisme virtuel sur Internet vers le vote réel pour un parti populiste se fait sur les sujets de l’immigration et de l’islamisme extrémiste. Le passage de l’activisme virtuel sur Internet vers l’adhésion réelle à un parti populiste se fait sur les sujets du multiculturalisme et de l’idée que la politique est un moyen effectif de répondre à leurs préoccupations. Le passage de l’activisme virtuel sur Internet vers la manifestation de rue se fait par contre sur les sujets liés à la corruption plus que sur l’immigration ou l’islamisme.
Aux yeux des populistes sur Internet, "les principaux partis politiques ont perdu le contact avec la réalité, sont insipides et lointains, incapables de répondre aux difficultés qu'ils rencontrent quotidiennement dans la vie de tous les jours", a résumé Jamie Bartlett, pour qui il faut "prendre au sérieux" leurs inquiétudes, comme le préconise l'étude. Les responsables politiques européens doivent "se secouer, écouter et répondre", selon Jamie Bartlett. D’où un chapitre sur les implications politiques de l’étude
Les auteurs de l’étude pensent que les préoccupations des Européens liées à "l’érosion de leur culture nationale face à l’immigration, la montée de l’islam en Europe et le brouillage des frontières nationales considérées comme un résultat de l’intégration européenne et la globalisation" vont persister et vraisemblablement croître dans les prochaines années.
En même temps, les médias sociaux vont "changer notre manière d’appréhender les mouvements politiques et sociaux". Bref, l’on ne devra plus seulement, selon les auteurs, se référer aux déclarations des dirigeants de partis, mais aussi tenir compte du rôle des "activistes en ligne", qui représentent une "nouvelle génération" de jeunes activistes populistes. Leur première conclusion pour action : "Comprendre qui sont ces gens, quels sont leur milieu et leurs activités sera la clé pour comprendre les nouveaux mouvements politiques et pour voir s’ils vont croître ou non."
Si l’étude ne montre pas que les populistes sont plus enclins à la violence que d’autres mouvements politiques, l’attaque terroriste qui a endeuillé la Norvège en juillet 2011, souligne l’étude qui a été menée juste avant ces événements, "met en lumière le fait que le potentiel de la rhétorique extrémiste peut conduire des individus à la conclusion que la violence est la seule réponse".
C’est pourquoi les dirigeants des partis politiques traditionnels doivent selon l’étude de Demos répondre aux préoccupations des milieux populistes en abordant les questions de l’immigration et de l’identité culturelle "sans succomber aux solutions xénophobes", sans exclure non plus ces partis du débat politique, mais en les cherchant et les affrontant avec force dans le débat. Comme les populistes traduisent la confiance en baisse dans les institutions politiques, il revient aux autres partis de restaurer cette confiance comme une part de leur réponse aux problèmes posés.
Dernière conclusion de l’étude, qui n’est pas sans ambiguïté : "Ce qui est le plus important, c’est que ces activistes sur Internet qui sont aussi impliqués dans l’activisme dans la réalité – en votant, en manifestant et en adhérant à un parti politique – semblent être plus démocratiques, avoir plus de foi en la politique et désavouer plus clairement la violence. Cela montre avec force qu’encourager plus de personnes à s’engager activement dans la vie politique et civique, quelle que soit leur conviction politique, est un pas important en avant."