Le 11 février 2012, des dizaines de milliers de personnes ont manifesté dans toute l'Europe pour dénoncer l’accord anti-contrefaçon signé le janvier dernier par l’UE et une vingtaine de ses États membres, le fameux ACTA. Ils étaient quelques centaines au Luxembourg. Négocié entre l'Union européenne, les Etats-Unis, le Japon, le Canada, la Nouvelle-Zélande, l'Australie, Singapour, la Corée du Sud, le Maroc, le Mexique et la Suisse, ACTA vise à lutter contre la contrefaçon au sens large, de celle des médicaments et autres marchandises, au téléchargement illégal sur l'internet.
Les gouvernements de plusieurs pays européens ont annoncé, face à la pression de la société civile, la suspension du processus de ratification d’un accord qu’ils ont signé. C’est le cas de la Pologne, de la République tchèque, de la Lettonie, mais aussi de l’Allemagne. Sans compter la Slovaquie, qui n'a pas encore signé l’accord, mais qui a annoncé avoir suspendu les travaux préparatoires en vue de son adoption.
Les consultations sur cet accord doivent commencer le 27 février prochain au Parlement européen, mais, dès le 12 février, le président de cette institution, Martin Schulz, a critiqué l’accord sur la chaîne de télévision allemande ARD."Je ne le trouve pas bon dans sa forme actuelle (...). Je ne crois pas qu'on va avancer avec cet accord dans sa forme actuelle", a dit le social-démocrate allemand, le jugeant "déséquilibré". "Déjà en 2010", il a déclaré avoir appelé la Commission européenne à "cesser ses cachotteries. (...) Elle ne l'a pas fait et maintenant elle récolte des critiques", a-t-il ajouté.
Au Luxembourg, des appels dénonçant la signature de cet accord avaient déjà été lancés par déi Gréng et le parti des pirates. Ils ont été rejoints par déi Lénk et la DP qui ont eux aussi appelé à manifester le 11 février 2012.
La DP a diffusé le 10 février un communiqué de presse. Pour les libéraux luxembourgeois, l’accord est "inacceptable" tant en raison de la façon dont il a été négocié que de son contenu. Ce sont surtout les détenteurs de droits d’auteurs qui se sont fait entendre dans les discussions, au détriment des intérêts des consommateurs et au prix de la protection des droits civiques les plus élémentaires, dénonce ainsi Claude Lamberty, secrétaire général adjoint du parti. Le député Eugène Berger juge "très vague" l’accord sur les questions de protection de la liberté d’opinion et d’information, de protection des données et d’accès à des médicaments vitaux. Il appelle à réviser cet accord afin de restaurer l’équilibre entre les différents droits.
L’eurodéputé libéral Charles Goerens a pour sa part adressé au commissaire en charge du Développement, Andris Piebalgs, un courrier dans lequel il l’interpelle sur les conséquences que pourraient avoir l’accord ACTA sur les pays en voie de développement, et ce notamment en matière d’accès aux médicaments.
"L'Accord sur les aspects des droits de propriété intellectuelle qui touchent au commerce et la santé publique(ADPIC), adopté le 14 novembre 2001 à Doha, avait permis d'éliminer des obstacles qui, jusque là, entravaient encore l'accès aux médicaments", rappelle Charles Goerens, soulignant que cet accord avait notamment permis au Fonds mondial de lutte contre le SIDA, la tuberculose et le paludisme de toucher un grand nombre de malades grâce à la modulation du prix des médicaments et ce au bénéfice des plus démunis.
"La Commission pourrait-elle nous donner un éclairage sur l'impact réel de l'accord ACTA en matière d'accès aux médicaments ? Le commissaire au développement estime-t-il que toutes les précautions ont été prises dans le cadre du présent Accord afin de garantir l'accès aux médicaments aux plus pauvres ? La Commission européenne ne juge-t-elle pas opportune de prendre l'initiative de faire élaborer par ses services une interprétation du projet d'Accord, susceptible d'être partagée par toutes les parties, et de lever toute ambiguïté quant au maintien de l'acquis tel que précisé dans l'Accord ADPIC ?" Telles sont les questions que l’eurodéputé adresse au commissaire, tout en appelant à "clarifier cette situation au plus vite en nourrissant ce débat d'éléments objectifs".
Le parti de la gauche luxembourgeoise, déi Lénk, avait lui aussi appelé à manifester dans un communiqué daté du 7 février 2012. "ACTA est un accord qui menace la liberté d'Internet", dénonce le communiqué. "Il suffira d'échanger une information copyrightée pour voir son accès internet supprimé et écoper de poursuites judiciaires", s’inquiètent en effet les représentants du parti.
Pour déi Lénk, "l'accord ne profite qu'à une fraction d'industriels tels que les compagnies RIAA et MPAA (associations interprofessionnelles qui défendent les intérêts de l'industrie du disque et du cinéma)". "ACTA est la conséquence de leurs actions de lobbying auprès des gouvernements", accusent les auteurs de ce communiqué.
"A nouveau la démocratie est bafouée et ce sont des accords liberticides pour internet qui pourraient nous être imposés par des personnes non élues", dénonce le parti de la Gauche qui souligne que cet accord ne concerne pas que l'informatique, mais risque de donner aussi "les pleins pouvoirs à des sociétés comme Monsanto sur l'agriculture".
A la veille de cette journée de protestation internationale, la Commission européenne mettait en ligne un document détaillant les circonstances dans lesquelles se sont déroulées les négociations de l'accord multilatéral sur la contrefaçon ACTA, un document qui met l’accent sur la transparence.
Les négociations se sont déroulées de juin 2008 à octobre 2010 avec la participation des représentants des pays négociateurs, et le Parlement européen a été dûment informé de leur évolution, assure la Commission dans son document. "L'UE nie fermement avoir fourni un accès préférentiel à de l'information à un quelconque groupe", assure-t-elle encore en précisant qu'il n'y a pas non plus "de protocoles secrets à l'accord". Au cours des négociations, "des représentants des gouvernements des pays négociateurs étaient présents dans la salle", précise la Commission. Le Parlement européen a lui aussi été impliqué, ayant reçu à différents stades de la négociation 7 versions provisoires de l'accord, trois rapports détaillés des négociations et 14 notes et documents de travail interne, souligne la Commission. En outre, des réunions de consultation publiques, ouvertes à tous ont été organisées en juin 2008, en avril 2009, mars 2010 et janvier 2011, affirme encore l'exécutif européen.