Principaux portails publics  |     | 

Emploi et politique sociale
L’arrêt de la CJUE sur le renouvellement de CDD a fait l’objet d’une question parlementaire et d’une intervention du ministre du Travail à la Chambre des députés
Selon la CJUE, le renouvellement de CDD peut être justifié par le besoin de remplacement même si ce besoin s’avère récurrent, voire permanent, mais l’utilisation non abusive de CCD successifs peut être vérifiée
31-01-2012


Le droit de l'Union, dans ce cas la directive 1999/70/CE du Conseil, du 28 juin 1999 qui vise à mettre en œuvre l’accord-cadre sur le travail à durée déterminée, conclu entre les organisations interprofessionnelles à vocation générale (CES, UNICE et CEEP), considère que les contrats de travail à durée indéterminée constituent la forme générale des relations de travail. Il oblige, dès lors, les États membres à prendre des mesures qui visent à prévenir toute utilisation abusive de contrats de travail à durée déterminée successifs. Au nombre de ces mesures, ils peuvent notamment déterminer les « raisons objectives » qui justifient le renouvellement de tels contrats. Le droit allemand prévoit que le remplacement temporaire d'un travailleur constitue une telle raison objective, et ce, notamment en cas de remplacement pour cause de congé de maternité ou parental.

Le cas de Bianca Kücük

Mme Bianca Kücük a été employée par le Land Nordrhein-Westfalen (Rhénanie-du-Nord-Westphalie, Allemagne) en tant qu'assistante au greffe au sein de l'Amtsgericht Köln (tribunal cantonal de Cologne, Allemagne) pendant une période de onze années, sur la base d'un total de treize contrats de travail à durée déterminée. Tous ces contrats ont été conclus pour remplacer des assistants, employés pour une durée indéterminée, qui avaient pris un congé temporaire (un congé parental par exemple).

Devant l'Arbeitsgericht Köln (tribunal de travail de Cologne), Mme Kücük a fait valoir que son dernier contrat de travail était devenu un contrat à durée indéterminée à défaut de raison objective justifiant sa limitation dans le temps. En effet, un total de treize contrats de travail à durée déterminée conclus successivement et sans interruption durant une période de onze années ne pourrait en aucun cas correspondre à un besoin temporaire en personnel de remplacement.

Le Bundesarbeitsgericht (Cour fédérale du travail), qui doit trancher ce litige en dernier ressort, interrogeait la Cour de justice sur l'interprétation des dispositions pertinentes du droit de l'Union. Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, ici le Bundesarbeitsgericht, et ce dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d'un acte de l’Union. La CJUE ne tranche donc pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Mais la décision de la CJUE lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.

L’arrêt de la CJUE

CJUEPar son arrêt du 26 janvier 2012 dans l'affaire C-586/10 Bianca Kücük, la CJUE constate que le besoin temporaire en personnel de remplacement – comme le prévoit le droit allemand – peut, en principe, constituer une raison objective au sens du droit de l'Union justifiant tant le caractère déterminé de la durée des contrats conclus avec le personnel de remplacement que le renouvellement de ces contrats.

Le seul fait qu’un employeur soit obligé de recourir à des remplacements temporaires de manière récurrente, voire permanente, et que ces remplacements puissent également être couverts par l’embauche de salariés en vertu de contrats de travail à durée indéterminée n’implique pas l’absence d’une telle raison objective ni l’existence d’un abus. En effet, le fait d'exiger automatiquement la conclusion de contrats à durée indéterminée – lorsque la taille de l’entreprise ou de l’entité concernée et la composition de son personnel impliquent que l’employeur est confronté à un besoin récurrent ou permanent en personnel de remplacement – irait au-delà des objectifs poursuivis par l’accord-cadre des partenaires sociaux européens mis en œuvre  par le droit de l'Union et méconnaîtrait ainsi la marge d’appréciation laissée aux États membres et aux partenaires sociaux.

Toutefois, lors de l’appréciation, dans un cas particulier, de la question de savoir si le renouvellement d'un contrat à durée déterminée est justifié par une raison objective, telle que le besoin temporaire de personnel de remplacement, les autorités nationales doivent prendre en compte toutes les circonstances de ce cas particulier, y compris le nombre et la durée cumulée des contrats à durée déterminée conclus dans le passé avec le même employeur.

Le droit luxembourgeois sur le contrat à durée indéterminée

Au Luxembourg, le contrat à durée déterminée (CDD) est conclu pour une durée limitée et pour l'exécution d'une tâche précise. Il ne peut en aucun cas avoir pour objet de pourvoir durablement à un emploi lié à l'activité normale et permanente de l'entreprise, un tel emploi devant faire l'objet d'un contrat à durée indéterminée.

Le recours au contrat à durée déterminée est permis pour faire par exemple face à l'absence temporaire d'un salarié pour cause de maladie, à un accroissement temporaire et exceptionnel du volume de travail, pour l'exécution de travaux saisonniers.

Le contrat à durée déterminée doit impérativement être conclu par écrit et comporter, outre la définition de son objet, des indications spéciales (la date d'échéance du terme, ou la durée minimale pour laquelle il est conclu, le nom du salarié remplacé, la clause de renouvellement, etc.)

Un contrat à durée déterminée peut courir sur une période maximale de 2 ans. Il peut être renouvelé 2 fois sans que la durée totale du contrat, renouvellements compris, ne puisse dépasser 24 mois.

Il prend fin automatiquement à l'échéance prévue par les parties, de sorte qu'il n'y a pas de préavis à donner. S'il y a continuation du contrat après l'échéance, le contrat à durée déterminée se transforme en un contrat à durée indéterminée.

L’arrêt de la CJUE dans l’affaire Bianca Kücük commenté à la Chambre des députés par la députée verte Viviane Loschetter et le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit

Viviane Loschetter, question sur l'arrêt Kücük de la CJUE à la Chambre des députés, le 31 janvier 2012Dans la question qu’elle a adressée au gouvernement lors de la séance plénière de la Chambre des députés du 31 janvier 2012, la députée verte Viviane Loschetter a mis en exergue une tendance claire sur le marché du travail à faire entrer les salariés dans des contrats plus précaires. Le contrat à durée indéterminée, qui était la règle, et qui permet aux salariés de se construire une existence, tend selon elle à devenir une exception, et d’autres formes d’emploi qui impliquent moins de droits pour le salarié prennent le dessus. Dans ce contexte, l’arrêt de la CJUE prend position sur le champ d’application du contrat à durée déterminée.

Pour la députée, l’arrêt est à double tranchant. D’un côté, les juges recommandent que l’on examine la nécessité le prolonger un contrat à durée déterminée, ainsi que le nombre de contrats à durée déterminée qu’un même employé a déjà eu auprès d’un même employeur. De l’autre côté, la CJUE dit aussi que dans certains cas, un employeur peut avoir recours à des CDD pour remplacer une place vacante sur une durée prolongée. "Dans ce cas, un tabou est brisé", a déclaré la députée, ajoutant que les Verts sont très sceptiques face à cette évolution. Elle a par conséquent posé trois questions au ministre compétent : Comment le gouvernement analyse-t-il cet arrêt ? Quel impact peut avoir l’arrêt du 26 janvier 2012 sur les législations nationales ? De quelle manière le gouvernement s’engage-t-il au niveau de l’Union européenne pour des conditions plus strictes en ce qui concerne le prolongement d’un CDD ?

Nicolas Schmit, ministre du Travail, lors de sa réponse à la question de Viviane Loschetter sur l'arrêt Kücük de la CJUE, le 31 janvier 2012 à la Chambre des députésDans sa réponse, le ministre du Travail et de l’Emploi, Nicolas Schmit a déclaré être d’accord avec la députée sur le fait que l’arrêt de la CJUE du 26 janvier 2012 est "un arrêt important", surtout dans un contexte européen où le contrat à durée indéterminée (CDI) tend à devenir l’exception et où le CDD se généralise de plus en plus. "Dieu merci ce n’est pas encore le cas au Luxembourg, où 80 % des contrats de travail conclus sont des CDI, et cela doit rester ainsi." Le ministre a souligné de manière appuyée que le CDD a dans le droit du travail luxembourgeois un caractère exceptionnel, et que quand les règles du CDD ne sont pas respectées, le CDD se transforme automatiquement en CDI.

Pour le ministre, l’arrêt de la CJUE est effectivement et à l’instar de ce que pense la députée à double tranchant. "Il n’y a pas de ligne claire", a-t-il dit, car en fin de compte l’arrêt recommande que les Etats membres doivent analyser les circonstances et voir dans quel cas une multiplication de CDD serait faisable et légale.

L’arrêt se base sur une directive de 1999 qui est issue d’un accord entre les partenaires sociaux européens qui avaient essayé de fixer les modalités du CDD, a rappelé Nicolas Schmit. La directive a été transposée dans les législations avec des interprétations qui varient de pays à pays. Et de narrer que plusieurs Etats membres étaient d’ailleurs intervenus dans la procédure qui a conduit à l’arrêt du 26 janvier. Les uns ne s’opposaient en rien à une succession de CDD, quand d’autres Etats membres se montraient plus prudents. Pour la Commission européenne, qui est aussi intervenue, il s’agit dans le cas soumis par le Bundesarbeitsgericht d’un CDI, dans la mesure où la personne concernée a travaillé sur une longue période dans la même entreprise, et que son CDD aurait dû être transformé en CDI, ce que le ministre n’a pas manqué de souligner.

L’impact de l’arrêt sur le droit luxembourgeois reste donc ouvert, pense le ministre, et les différences entre droits nationaux du travail persisteront. "C’est là une des faiblesses de l’UE : nous n’arrivons pas à harmoniser suffisamment le droit social, et notamment le droit du travail", souligne-t-il, "et cela est d’autant plus vrai que le droit du travail est un instrument de la concurrence déloyale, si les règles sont plus strictes dans un pays que dans d’autres." Ce qui montre, aux yeux de Nicolas Schmit, qu’il faudrait avancer plus vite sur l’harmonisation du droit du travail : mais cela est selon lui "très difficile dans cette Union à 27", car une majorité d’Etats membres bloque les progrès. La négociation sur la directive sur le temps de travail, a-t-il rappelé, a été très pénible et a été finalement un échec face au refus de certains pays de s’engager sur des règles qui liaient tout le monde. L’harmonisation du droit social et du droit du travail dans l’UE est une cause pour laquelle le Luxembourg s’engage au Conseil, mais il y est "relativement isolé".