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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination - Éducation, formation et jeunesse - Emploi et politique sociale
Dans ses conclusions dans une affaire concernant les Pays-Bas qui risque d’intéresser le Luxembourg, la CJUE considère qu’une condition de résidence crée une discrimination indirecte envers les travailleurs migrants, notamment frontaliers
"Si un État membre procure un avantage social à ses propres travailleurs, il doit le mettre à disposition des travailleurs migrants aux mêmes conditions", argue l'avocat général
16-02-2012


La législation néerlandaise relative au financement des études d’enseignement supérieur définit les personnes qui peuvent recevoir une aide financière pour suivre des études aux Pays-Bas et à l’étranger. Les travailleurs migrants se trouvant aux Pays-Bas et les membres de leurs familles peuvent prétendre à une aide financière pour étudier aux Pays-Bas, quel que soit le lieu où ils résident.CJUE

Cependant, pour obtenir le financement des études supérieures ailleurs qu’aux Pays-Bas (connu sous l’appellation de "financement portable"), un étudiant doit avoir légalement séjourné aux Pays-Bas pendant au moins trois années au cours des six années précédant le début des études à l’étranger. Cette condition s’applique quelle que soit la nationalité de l’étudiant.

Dans le cadre d’une procédure en manquement dirigée à l'encontre des Pays-Bas (affaire C-542/09), la Commission a demandé à la Cour de justice de déclarer que, en imposant cette condition de résidence, les Pays-Bas ont commis une discrimination indirecte à l'encontre des travailleurs migrants, en particulier des travailleurs frontaliers, et des membres de leur famille à l’entretien desquels ils continuent de pourvoir, et que les Pays-Bas ont, en conséquence, enfreint le droit de l’Union.

L’avocat général Eléonor Sharpston a rendu ses conclusions le 16 février 2012. Ces conclusions ne manqueront pas d’intéresser au plus haut point le Luxembourg dans le dossier de l’aide aux études supérieures octroyée par le gouvernement luxembourgeois aux résidents du Grand-Duché.

Les travailleurs frontaliers jouissent, de même que leurs familles, du droit à l’égalité de traitement des travailleurs migrants en ce qui concerne les avantages sociaux

Selon l’avocat général, Eléonor Sharpston, la jurisprudence de la Cour confirme que, en ce qui concerne les avantages sociaux, le principe de l’égalité de traitement des travailleurs migrants s'applique à tout ressortissant d’un État membre travaillant dans un autre État membre et aux membres de sa famille qui sont à sa charge. Les travailleurs frontaliers qui – par définition – résident hors de l’État membre où ils travaillent, appartiennent à cette catégorie et jouissent eux aussi, de même que leurs familles, de ce droit à l’égalité de traitement.

L’avocat général rejette l’argument des Pays-Bas selon lequel les personnes travaillant sur son territoire mais résidant ailleurs ne sont pas dans une situation comparable à celle des travailleurs néerlandais et migrants résidant aux Pays-Bas, de sorte qu’il existerait une différence objective entre ces deux catégories qui justifierait la condition de résidence. Les Pays-Bas accordent une aide financière aux enfants de travailleurs migrants pour étudier sur leur territoire. L’avocat général estime, en conséquence, que les Pays-Bas ont implicitement admis que certains enfants de travailleurs migrants peuvent être enclins à étudier aux Pays-Bas et qu’ils doivent pouvoir obtenir un financement à cette fin. Si tel est le cas, les Pays-Bas ne peuvent pas légitimement affirmer que le pays de résidence déterminera, de façon quasi automatique, celui où le travailleur migrant ou ses enfants étudieront. L’avocat général en conclut que le lieu de résidence ne peut pas être utilisé comme critère objectif pour justifier un traitement différent.

Selon l’avocat général, une condition de résidence crée une discrimination indirecte envers les travailleurs migrants. Une telle condition passée, actuelle ou future (surtout si la résidence doit être d’une certaine durée), imposée par un État membre, est susceptible en soi d’affecter dans une moindre mesure les travailleurs nationaux de cet État membre que les travailleurs migrants se trouvant dans une situation comparable. La raison en est qu’une telle condition implique toujours une distinction entre les travailleurs qui ne sont pas contraints de changer de domicile pour satisfaire cette condition de résidence et ceux qui le sont.

Vraisemblablement, les premiers seront le plus souvent, même si ce n’est pas toujours forcément le cas, des ressortissants de l’État membre d’accueil. L’avocat général estime que les travailleurs néerlandais sont plus à même de se conformer à la règle "des 3 ans sur 6" que les travailleurs migrants résidant aux Pays-Bas et conclut, par conséquent, que la condition de résidence crée une discrimination indirecte.

L’avocat général considère que les Pays-Bas ne peuvent pas invoquer des préoccupations financières pour justifier ce traitement discriminatoire

Les Pays-Bas ont tenté de justifier la condition de résidence discriminatoire en invoquant un objectif économique et un objectif social.

L’avocat général considère cependant que les Pays-Bas ne peuvent pas invoquer des préoccupations financières pour justifier le traitement discriminatoire de travailleurs migrants et des membres de leur famille qui sont à leur charge. Si un État membre procure un avantage social à ses propres travailleurs, il doit le mettre à disposition des travailleurs migrants aux mêmes conditions. Toute limitation imposée pour des raisons financières doit s’appliquer uniformément aux travailleurs nationaux et migrants. Par conséquent, les Pays-Bas ne peuvent pas justifier la règle "des 3 ans sur 6" en s’appuyant sur des motifs économiques.

Si la condition de résidence pourrait se justifier, en principe, par l’objectif social invoqué, les Pays-Bas n’ont pas démontré qu’elle est un moyen approprié et proportionné de réaliser cet objectif

En revanche, l’avocat général admet la légitimité de l’objectif social qui consiste à accroître la mobilité des étudiants des Pays-Bas en les incitant à étudier dans d’autres États membres, et à cibler les étudiants susceptibles d’enrichir, par leur expérience acquise à l’étranger, la société néerlandaise et (éventuellement) le marché néerlandais du travail.

L’avocat général n’en considère pas moins que les Pays-Bas n’ont pas démontré de façon persuasive que la condition de résidence serait un moyen approprié de réaliser cet objectif social. Elle reconnaît que le lieu où un étudiant réside avant d’entamer des études d’enseignement supérieur peut déterminer dans une certaine mesure celui où ces études seront suivies et que la condition de résidence permet d’éviter que des étudiants se servent du financement portable pour étudier dans le pays où ils résident, étant entendu que les étudiants résidant hors des Pays-Bas ne peuvent pas demander le bénéfice de ce financement.

Cependant, l'avocat général n’est pas convaincue qu’il existe un rapport évident entre l’État membre où un étudiant réside avant d’entamer ses études d’enseignement supérieur et la probabilité qu’il revienne dans cet État après avoir achevé ses études à l’étranger. Elle ne considère pas davantage que les Pays-Bas auraient démontré que la condition de résidence ne va pas au-delà de ce qui est nécessaire pour accroître la mobilité des étudiants et pour viser la catégorie ciblée. Elle constate, dès lors, que les Pays-Bas n’ont pas prouvé que la condition de résidence est un moyen approprié et proportionné de réserver le financement portable à la catégorie d’étudiants qu’ils ont voulu viser.

L’avocat général Sharpston conclut de ce qui précède que, si la condition de résidence pourrait se justifier, en principe, par l’objectif social invoqué, les Pays-Bas n’ont pas démontré qu’elle est un moyen approprié et proportionné de réaliser cet objectif.