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Culture - Éducation, formation et jeunesse
L’Europe comme espace d’éducation et société du savoir: Les fondamentaux culturels de l’Europe selon Adam Krzeminski
22-03-2012 / 23-03-2012


Adam Krzeminski, conférence de l'IPW sur l'Europe -espace d'éducation et société du savoir, 22-23 mars 2012 à LuxembourgAdam Krzeminski, journaliste et essayiste polonais, rédacteur en chef de la revue politique libérale de gauche Polityka (site en allemand), a évoqué lors de la conférence de l'IPW des 22 et 23 mars 2012 les fondamentaux culturels de l’UE autour de cinq questionnements ou thèses : L’Europe est-elle un pur produit de l’intellect ? Est-elle aussi produite par la base ? Il y a une crise de la démocratie. Il y a un véritable pouvoir des stéréotypes et clichés. Quel type de culture canonique pour l’Europe ?

L’idée de l’Europe n’est pas nouvelle, a rappelé Adam Krzemisnki. Elle a déjà essaimé au XIXe siècle (Victor Hugo, etc.). En juin 1940, alors que l’Allemagne nazie avait envahi la France, Jean Monnet s’était rendu de Londres en France pour proposer à Paul Reynaud, dont le gouvernement vivait ses dernières heures, une idée de Winston Churchill, la création une fédération franco-britannique, qui impliquerait que la France continuerait la guerre. L’issue fut une autre. Paul Reynaud fut démis, le maréchal Pétain nommé chef d’un Etat français qui changeait de nature et qui allait entrer dans la collaboration avec Hitler. Après 1945, souligne l’essayiste polonais, la France n’était plus une des puissances déterminantes de l’ordre européen comme avant 1940 et eut de la peine à s’imposer. D’un point de vue polonais, la réconciliation franco-allemande n’a donc pas la même signification qu’on lui accorde en Europe occidentale et ne revêt pas non plus la même importance qu’on lui accorde aujourd’hui sous la forme du couple franco-allemand dans l’UE. Pour Adam Krzeminski, qui ne craint pas la polémique, elle est la réconciliation de deux pays qui sont sortis vaincus de la Seconde Guerre Mondiale, et c’est pourquoi elle est connotée selon lui d’une pointe d’antiaméricanisme. Selon lui, l’équation du traité de l’Elysée de 1963 ne tient plus depuis les changements survenus à l’Est de l’Europe en 1989. A l’Est et au centre de l’Europe, il n’y a nulle envie de "faire la courbette" devant le couple franco-allemand. Personne n’y doit rien à la France, pense l’essayiste, et seulement un peu à l’Allemagne, comme l’Ostpolitik et la reconnaissance de la frontière Oder-Neisse. Ceci dit, Adam Krzeminski ne conteste pas la qualité de cette réconciliation, et les perspectives des différentes parties européennes devraient être combinées de manière telle que cette qualité puisse être reprise dans les réconciliations germano-polonaise, polono-lituanienne, polono-ukrainienne, et si possible dans les Balkans.              

La preuve que l’Europe est aussi une construction d’en bas est que le vrai Européen, c’est "le plombier polonais". Adam Krzeminski a ensuite fait le récit des migrations limitées dans le temps au cours d’une année des habitants d’un village du Sud-est de la Pologne, une migration qui les pousse en Angleterre et en France surtout. Conséquences : il y a une ligne de bus locale régulière vers les destinations des migrants ; les gens ont appris un anglais et un français basiques ; ils sont devenus des navetteurs de l’Europe, pas de vrais migrants avec un projet de vie dans le pays de destination ; et même s’ils travaillent pour des salaires au rabais, ils induisent de la croissance locale.

En Pologne, a aussi exposé Adam Krzeminski, les citoyens veulent plus d’unité en Europe tout en insistant sur la prévalence de l’Etat national. Ils ont d’autre part une plus grande confiance dans les institutions européennes que dans leurs propres institutions nationales. C’est de ces paradoxes qu’est faite la relation avec l’UE. Elle tient selon l’essayiste à la crise de la démocratie qui affecte l’ensemble de l’Europe. Les mouvements Occupy un peu partout, Palikot en Pologne, citoyens en colère en Allemagne, anti-ACTA, l’émergence des partis pirates aussi, traduisent "un mécontentement à la base avec les structures autoritaires du système représentatif". Mais, ajoute-t-il, ce n’est pas une simple volonté de prendre le pouvoir. Ce qui n’empêche pas que "les démocraties encroûtées" se voient exposées à une pression qui monte, qui les dissout insensiblement avec l’émergence d’une "démocratie hybride", représentative toujours, mais aussi plus participative. Un tiers des Européens ne participent pas aux élections nationales, beaucoup moins encore aux élections européennes, souligne le journaliste. Le 21e siècle court bien le risque de devenir un "siècle autoritaire", comme le craignait déjà Ralf Dahrendorf. Cela peut être d’autant plus vrai que l’Europe n’est pas "le foyer démocratique et des droits de l’homme", comme une certaine propagande veut le faire croire, mais bien le foyer, dans son histoire toute récente, de conflits intérieurs, de guerres totales et des totalitarismes, du colonialisme, de génocides aussi et de la Shoa. D’autre part, l’Europe peut aussi se construire en se donnant pour objectif de transformer ce qui s’est passé en autre chose.

Restent les stéréotypes. On sait peu de choses des autres en Europe. Les Polonais, c’est Chopin, le pape Jean-Paul II, Lech Walesa. Pour les Polonais, les Allemands, c’est d’abord Erika Steinbach (une femme politique allemande du CDU qui a contribué par ses projets de musée et de lieux de mémoire sur la souffrance allemande lors de la Seconde guerre mondiale conçus de manière assez unilatérale à envenimer les relations germano-polonaises, ndlr), les plages nudistes (FKK), et les Français, c’est Sarkozy, Napoléon, l’arrogance, donc des représentations qui ne sont pour Adam Krzeminski pas d’inspiration démocratique ni républicaine. Et ce n’est guère mieux pour d’autres nations. Bref, ici, il faudrait plus d’empathie, et pour cela plus de réalité.                         

Revenant aux discussions de la veille, Adam Krzeminski a évoqué la question d’un manuel d’histoire européenne, utile pour compléter le récit de l’histoire nationale. Il a évoqué, en guise d’exemple d'une approche plus détendue de l’histoire, le discours de la chancelière allemande lors de l’inauguration du musée de Kalkriese, qui documente la victoire des Germains sur les troupes romaines de Varus en l’an 9 qui a mis fin à l’expansion romaine vers le Nord et le Nord-Est de l’Europe. La victoire des Germains sur Varus est un fait, a-t-elle constaté en 2009, mais est-ce que cela a été une bonne chose, s’est-elle demandée ensuite. Pour Adam Krzeminski, il devrait être possible de raconter l’histoire de Jeanne d’Arc de manière telle que ce récit puisse être accepté tant par les Anglais que par les Français, ou de raconter la victoire de la coalition polono-lituanienne de 1410 sur les chevaliers teutoniques lors de la bataille de Grunwald ou Tannenberg de manière telle que Lituaniens, Polonais et Allemands y trouvent leur compte mémoriel. Un exemple-phare qui illustre la manière de raconter autrement l’Europe reste pour lui le livre du journaliste et écrivain Geert Mak, paru en français sous le titre "Voyage d’un Européen à travers le XXe siècle". Ce qui importe avant tout, afin qu’ils ne restent pas désemparés devant la masse d’informations, c’est d’attiser la curiosité des jeunes et leur apprendre l’empathie. Cela est, pour le journaliste polonais, d’autant plus important qu’il n’y a plus, malgré les nouveaux médias, un espace public européen comme il y en a eu au cours des années 80 et 90, où l’on portait son attention sur ce qui se faisait chez les uns et les autres.