Début mars 2012, l’eurodéputé luxembourgeois Georges Bach (PPE), qui est membre de la commission des Transports, avait dénoncé l’intention du commissaire en charge des Transports, Siim Kallas, de son intention, annoncée par voie de presse, de revoir la réglementation sur les méga poids lourds, de sorte que ces camions qu’on appelle aussi gigaliner, soient autorisés à circuler pour faire du transport international.
Pour le moment, ce procédé, qui consiste à combiner plusieurs véhicules existants, est autorisé dans certains Etats membres, comme les pays scandinaves ou les Pays-Bas, les autres pays ayant le choix, ou non, d’autoriser la circulation de ces poids lourds d’une longueur maximale de 18,75 mètres et d’une charge maximale de 40 tonnes. Mais la Commission a souligné à plusieurs reprises par le passé que la directive actuellement en vigueur ne permet pas le passage des frontières et qu’une violation de ce principe peut entraîner un recours devant la CJUE.
Sim Kallas avait été invité à s’expliquer devant les membres de la commission parlementaire en charge des Transports, ce qu’il a fait le 26 mars 2012. Il est donc venu expliquer la position de la Commission au sujet de l’usage transfrontalier de ces méga poids lourds, affichant sa volonté de "rassurer" les eurodéputés en clarifiant un certain nombre de points.
Replaçant les discussions dans leur contexte, à savoir une consultation publique qui vise à modifier la directive 96/53 sur les dimensions des véhicules routiers, Siim Kallas a rappelé les arguments avancés en faveur de l’usage de ces camions : avantages économiques et environnementaux sont mis en avant, sans compter que, selon lui, en modifiant un peu les règles portant sur les dimensions, ils pourraient être plus utilisés pour le commerce international. "Je prévois de faire des propositions d’ici la fin de l’année", a annoncé le commissaire.
Conscient que le sujet fait débat, Siim Kallas a reconnu que, si ce procédé répond bien aux besoins et aux caractéristiques de la Suède et de la Finlande depuis plusieurs années, "les besoins, les infrastructures et les cultures peuvent être différents dans d’autres parties de l’Europe". "Nous n’avons pas à imposer une approche européenne unique : dans la mesure où les camions sont modulaires, la circulation peut se faire librement en ajoutant ou en enlevant des modules", a expliqué le commissaire qui voit là un "parfait exemple de l’application de la règle de subsidiarité". Siim Kallas a donc assuré que la Commission ne proposerait aucun amendement à la directive 96/53 exigeant l’acceptation générale de camions plus longs.
Mais la colère des eurodéputés était surtout liée au fait que Siim Kallas entendait informer les ministres des Transports des Etats membres par courrier d’une "réinterprétation" de la directive qui autoriserait un trafic transfrontalier de ces méga poids lourds.
Siim Kallas a défendu sa position devant les parlementaires, expliquant qu’il s’agissait d’autoriser ces poids lourds modulaires à passer la frontière entre deux Etats membres qui autorisent leur circulation sur le réseau national. Interpellé par un courrier de l’Union internationale des Transports routiers (IRU) au sujet de l’interprétation à donner à la directive actuelle, Siim Kallas a en effet reconnu que la formulation de certains articles pouvait prêter à confusion, notamment au sujet de l’usage transfrontalier de tels véhicules entre deux pays en autorisant la circulation. Or, aux yeux du commissaire, interdire à des véhicules utilisant ce concept modulaire de franchir des frontières entre deux Etats membres en autorisant la circulation sur leur territoire national n’aurait "aucun avantage environnemental" - le commissaire explique qu’il faudrait détacher les deux modules pour leur faire passer séparément la frontière avant de les réassembler pour poursuivre le voyage -, mais que cela créerait qui plus est "des obstacles artificiels aux frontières".
Il a donc demandé à ses services de mener une analyse détaillée afin de clarifier cette position légale. Et la conclusion de ce travail d’analyse est que la directive n’interdit pas l’usage transfrontalier de ces camions modulaires dans la mesure où un certain nombre de conditions sont respectées. Première condition, les deux Etats membres en question doivent autoriser la circulation de ces véhicules sur leur territoire. Ainsi, a souligné Siim Kallas, aucun Etat membre n’aura à accepter de tels camions sur son territoire s’il ne le souhaite pas. Par ailleurs, les deux Etats membres concernés doivent émettre des permis spéciaux autorisant l’usage de ce type de camions, le chauffeur d’un tel camion doit pouvoir prouver qu’il va effectuer une opération de transport nationale dans l’Etat membre dont il a franchi la frontière et le mouvement transfrontalier doit faire partie d’une période d’essai locale et limitée dans le temps. Dans tous les cas, a encore argué Siim Kallas, les Etats membres concernés doivent donner leur consentement. Et il a conclu en soulignant que le débat portait sur une question d’interprétation juridique, et nullement sur une nouvelle décision politique de la Commission.
L’échange de vues qui a suivi a été pour le moins "animé", comme l’indique le service de presse du Parlement européen.
Comme le résume Georges Bach dans un communiqué diffusé au lendemain de cette réunion, "même si les députés européens sont partagés sur la question de l’utilité de ces poids lourds, nous sommes tous d’accord pour dire qu’une telle procédure est simplement inacceptable". A ses yeux en effet, "si une révision de la directive est nécessaire, elle doit absolument se faire par un processus législatif normal qui tient compte des positions du Parlement européen et du Conseil". "Plusieurs avis juridiques indépendants confirment notre position", assure d’ailleurs Georges Bach.
En fin de compte, le commissaire Kallas, qui a regretté de n'avoir pas informé la commission avant que la nouvelle de la levée de l'interdiction de l'utilisation transfrontalière de camions plus longs et plus lourds se répande, a laissé entendre qu’il allait reconsidérer l'usage transfrontalier de ces camions. "Je vais y réfléchir à nouveau", a-t-il déclaré à l’issue du débat. "Je ne savais pas que la question était si délicate", a-t-il soutenu, étant donné qu'"aucun État membre ne devra accepter des camions plus longs sur son territoire s'il ne le veut pas".
A l’occasion du débat, Georges Bach a réitéré ses doutes sur l’utilisation de ces poids lourds. Ses doutes portent sur la sécurité routière, car il ne juge pas suffisante les preuves démontrant que ces poids lourds ne vont pas causer d´avantage d’accidents de la route. L’eurodéputé craint aussi que le secteur du fret ferroviaire n’ait à "payer les frais d’une telle augmentation de la cargaison des camions". Georges Bach doute par ailleurs du fait que l’aspect environnemental soit à l’origine de l’intérêt de l´IRU pour ces véhicules : "je pense plutôt que la baisse des coûts salariaux qu’entraînera une utilisation au niveau européen de ces poids-lourds est pour les transporteurs au moins aussi importante qu’une baisse des émissions de CO2. De nombreux emplois dans ce secteur seraient ainsi mis en danger". Quant au cas du Luxembourg, Georges Bach s’inquiète que les contribuables n’aient à payer les coûts considérables nécessaires pour une adaptation de l’infrastructure, sans pour autant en tirer le moindre bénéfice concret.