Dans son discours attendu sur l’état de la Nation prononcé le 8 mai 2012 devant la Chambre des députés, le Premier ministre Jean-Claude Juncker a pu donner l’impression, dans un premier temps, de donner un discours sur l’état de l’Europe et de la zone euro, ce qui semble tout à fait logique quand il ne manque pas de souligner que l’Europe est "un élément important de la raison d’Etat luxembourgeoise". Il a toutefois poursuivi en détaillant les mesures que le gouvernement luxembourgeois entend mettre en œuvre dans les prochains mois pour faire face à la situation. Consolidation, régulation, croissance, c’est sur cette triade que le Premier ministre base sa vision de l’Europe et du Luxembourg.
"Nous vivons des temps anormalement incertains", a-t-il ainsi lancé en guise d’introduction, en appelant à regarder la réalité en face. Ce qui est en train d’arriver, c’est une révolution démographique à laquelle il faut se préparer. Comme il l’a maintes fois répété, Jean-Claude Juncker a rappelé aux députés que d’ici 2050, les Européens ne devraient plus représenter que 7 % de la population mondiale contre 11 % au début du 21e siècle, et 20 % au début du 20e. "En 200 ans, la part des Européens dans la population mondiale aura été divisée par cinq", calcule Jean-Claude Juncker.
Mais le Premier ministre luxembourgeois ne perd pas de vue non plus les "glissements tectoniques" que connaît l’architecture économique planétaire : en 2010, Etats-Unis et Europe ont produit 41 % du PIB mondial, en 2050, ce chiffre devrait tomber à 18 %, au profit de la Chine, puis de l’Inde, ou encore du Brésil et d’autres pays émergents.
Or, assure Jean-Claude Juncker, "les conséquences qui vont résulter de ce changement démographique et économique sont déterminantes pour l’avenir du Luxembourg", puisque "l’Europe devient plus petite et plus faible". Il faut donc mettre en œuvre tous les efforts pour que l’UE soir plus forte et plus en mesure de s’imposer : "Nous avons besoin d’une Ligue Europa offensive, d’une Europe plus intégrée", a plaidé Jean-Claude Juncker en s’opposant à toute redivision de l’UE en divisions nationales. "En tant que petit pays en Europe, nous avons tout à gagner à avoir plus d’Europe et beaucoup à perdre à suivre bêtement ceux qui en veulent moins", assure le Premier ministre.
"Nous devons rester des Européens critiques", a-t-il toutefois plaidé, sans perdre de vue que "le Luxembourg doit toujours se positionner à la tête du mouvement d’intégration européen". "Notre place naturelle, logique et nécessaire est là où se trouve plus d’Europe", estime-t-il en effet, l’Europe étant "un élément important de la raison d’Etat luxembourgeoise". Un rappel que le Premier ministre a tenu à faire au vu des tensions et des polémiques qu’il a pu observer ces dernières années entre ceux qui veulent, par paresse, moins d’Europe, et ceux qui savent que, pour des raisons d’efficacité, il faut plus d’Europe.
Le tassement récent de l’économie mondiale exige aussi des changements, a poursuivi Jean-Claude Juncker, mettant en garde contre "un provincialisme" qu’il observe dans les doutes de principe affichés lorsque des entreprises et des capitaux venant d’autres continents arrivent au Luxembourg, et que, selon lui "on ne peut plus se permettre".
Pour faire face aux évolutions démographiques et économiques, Jean-Claude Juncker appelle à rendre l’Europe plus forte sur le plan de l’organisation et l’intégration politique. De ce point de vue, la création de l’Euro a permis de contribuer à compenser la perte de poids objective de l’Europe : "l’Euro est notre atout dans la concurrence mondiale", juge-t-il en effet. Il s’agit donc de "garantir la valeur de l’euro et d’élargir son influence sur les événements monétaires", plaide le président de l’Eurogroupe avant de préciser qu’il faut "reconsolider les finances publiques de la zone euro et dégager dans et via la zone euro les impulsions à la croissance qui permettront de remettre l’économie européenne sur la voie de l’avenir". Car pour Jean-Claude Juncker, "la consolidation et la croissance sont les deux faces d’une seule et même médaille économique et sociale".
"Contrairement à ce qu’on pourrait croire, on avance relativement bien en matière de consolidation financière", a poursuivi le Premier ministre en soulignant que les Etats membres de la zone euro ont réussi à réduire le déficit moyen de la zone à 2 % courant 2011, alors qu’il était passé de 0,7 % en 2007 à 4 % en 2010 en raison de la crise. "Cela s’est fait au prix de grands efforts, et même d’efforts énormes en Grèce, en Irlande, au Portugal, en Espagne et en Italie", reconnaît-il, avant de dire, une fois encore, qu’il n’y a "pas d’alternative concluante à la consolidation". "Économiser est juste et important", a poursuivi le Premier ministre qui considère que toute autre voie conduirait "au chaos absolu".
La solidité qui résulte de ces efforts est à ses yeux "la condition du déclenchement de la solidarité de la part des pays de la zone euro qui ont encore des marges de manœuvre budgétaires". "Ces pays qui, comme le Luxembourg, sont venus en aide aux Grecs, aux Irlandais et aux Portugais, ne se sont pas jetés la tête la première dans une aventure échappant en tout contrôle", assure le Premier ministre, qui voit plutôt là "un risque calculable". Il ne perd pas de vue les progrès dont font preuve à ce titre l’Irlande et le Portugal, même si les gens qui sont touchés connaissent encore des temps difficiles. S’adressant à ceux qui se montrent réticents à l’aide apportée, Jean-Claude Juncker a insisté pour expliquer qu’en matière d’euro et d’Europe, "si l’on ne veut prendre aucun risque, c’est là qu’on prend en fait le plus grand des risques".
"Il faudrait toutefois être aveugle pour ne pas voir que faire des économies sans perspective d’amélioration des conditions de vie épuise les gens et ne produit pas un meilleur effet sur l’économie", constate le Premier ministre. Ainsi, selon lui, si l’on n’arrive pas à mettre sur pied une croissance consistante, tous les efforts de rigueur n’apporteront aucun résultat. C’est d’ailleurs une des raisons pour lesquelles, rappelle-t-il, le Conseil européen et l’Eurogroupe ont consacré leurs dernières réunions "presqu’exclusivement au thème de la croissance".
Pour Jean-Claude Juncker, la consolidation budgétaire relève de la responsabilité nationale, tout comme, en grande partie, le lancement de la machine de la croissance. Pour les pays les plus fortement frappés par la récession, Jean-Claude Juncker préconise la mise en œuvre des réformes structurelles qui donneront une chance à la croissance. Qu’il s’agisse des systèmes de pensions, des limites protectionnistes existant dans certains secteurs de l’économie, ou encore de l’adaptation du droit du travail quand il limite l’accès au marché du travail, c’est aux pays concernés d’agir. "L’Europe ne peut et ne doit pas remplacer les pays dans ce qui relève de leur compétence exclusive", rappelle Jean-Claude Juncker.
Mais selon lui, le redémarrage de la croissance n’en reste pas moins un devoir européen. Le gouvernement luxembourgeois plaide donc pour qu’on mobilise pleinement tous les instruments européens en faveur de la croissance. "Nous plaidons pour une augmentation du capital de la Banque européenne d’Investissement qui va permettre de donner un élan en termes d’investissement", a indiqué le Premier ministre. "Nous plaidons pour un engagement plus concentré, ciblé sur les pays faibles, des fonds structurels de l’UE", a-t-il poursuivi, ajoutant sa volonté de voir plus d’Europe dans les domaines de l’interconnexion des centres énergétiques, des technologies vertes, des liaisons de transport, de la recherche coordonnée ou encore des énergies alternatives.
"C’est pourquoi nous ne comptons pas parmi les gouvernements qui misent sur une réduction du budget européen, bien au contraire", a expliqué Jean-Claude Juncker qui plaide pour que l’UE soit dotée d’une plus grande puissance d’investissement. "C’est pourquoi nous nous engageons pour des euro-obligations qui rendraient soutenable l’effort financier considérable nécessaire pour remobiliser la croissance européenne", a-t-il poursuivi.
En bref, pour faire face aux défis qu’il s’agit de maîtriser, "rigueur et croissance doivent aller main dans la main". Mais cela ne suffit pas, met en garde Jean-Claude Juncker qui souligne la nécessité de progresser en matière de régulation des marchés financiers et de l’industrie financière, tant en Europe que dans le monde. "Nous aidons à y travailler", a expliqué le Premier ministre.
Abordant la question de l’introduction d’une taxe sur les transactions financières, un instrument qu’il trouve juste sur la voie de la régulation, Jean-Claude Juncker n’a toutefois pas caché ses doutes : bien qu’il soit en principe favorable à une telle taxe, elle ne s’imposera ni au niveau du G20, ni au niveau de l’UE, ni au niveau de la zone euro, a-t-il expliqué. Mais le Premier ministre reste convaincu de la nécessité de faire contribuer financièrement à la lutte contre la crise l’industrie financière : "il nous faut chercher d’autres voies pour assurer que le secteur financier, qui est à l’origine de la crise, accompagne financièrement la phase post-crise", plaide-t-il. La régulation des marchés financiers doit toutefois se faire sans conduire à étrangler ses activités, a-t-il mis en garde.
Quant au pacte budgétaire, il doit être "ratifié dans sa substance, car il donne à la politique européenne de consolidation une crédibilité toute fraîche". Mais, plaide Jean-Claude Juncker, ce traité doit être "consolidé par une stratégie européenne de croissance".
Consolidation, régulation, croissance, c’est sur cette triade que le Premier ministre base sa vision de l’Europe et du Luxembourg.
Pour lui, la consolidation et l’effort de croissance doivent être menés au Luxembourg d’une manière tenant compte des spécificités du pays. Le Luxembourg a des marges de manœuvres financières, la croissance n’accuse pas encore certaines faiblesses comme dans d’autres pays. Et si le pays consolide ses finances publiques, "ce n’est pas sous la férule de fanatiques bruxellois de l’austérité, mais dans l’intérêt du pays et de son futur", a souligné le Premier ministre. Ce processus est pour lui inéluctable, avec ou sans euro, avec ou sans UE. Le paquet de propositions pour une consolidation budgétaire présenté le 27 avril 2012 par Luc Frieden dans le cadre du pacte de stabilité et de croissance "n’est donc pas une réponse à un diktat de Bruxelles, mais le résultat d’une réflexion autonome autour des économies à faire et de la croissance à soutenir au Luxembourg".
Le Premier ministre s’est étonné de la "dureté" avec laquelle est mené le débat sur les finances publiques. Il distingue deux attitudes de base : "l’une consiste à dire que les impôts continuent à rentrer et que la situation financière s’est dramatiquement améliorée ; l’autre à projeter des fresques apocalyptiques sur les parois". Le Premier ministre se refuse à "être un prisonnier des prévisions". Les prévisions se basent sur des politiques inchangées. Si l’Etat n’avait pas changé de politique budgétaire depuis quatre ans déjà, si les taux d’intérêt n’avaient pas baissé, si certaines catégories d’imposables n’avaient pas connu une expansion, il contracterait 12 milliards de nouvelles dettes d’ici 2014, alors qu’il n’en contractera que 5 milliards. Bref, "les résultats sont meilleurs que l’on aurait pu le craindre, même s’ils ne sont pas suffisants pour être bons".
En effet, expose-t-il, depuis le début de la législature qui a commencé en 2009, les finances publiques ne sont plus en équilibre. Le déficit évolue entre 0,6 et 0,9 %. Mais l’Etat central accuse lui des déficits qui dépassent les 2 %. C'est un fait qui est "indiscutable" pour le gouvernement et dont le résultat est clair : "Nous dépensons plus que nous avons, et nos dépenses dépassent nos recettes". Conséquence : "nous voulons améliorer notre situation financière en pratiquant des retouches et des ajustements et que nous appliquerons pour y arriver une rigueur qui est économiquement et socialement responsable".
Le gouvernement s’attaquera donc aux frais de fonctionnement de l’Etat, sachant que la plus grande partie de ces frais découle des frais de personnel. L’accord global négocié avec le syndicat des fonctionnaires CGFP inclut une réforme structurelle et un accord salarial qui sera d’application à partir de 2014. Cet accord, dont l’application de la partie salariale sera retardée par rapport à sa première mouture, a été dûment salué par le Premier ministre.
Les investissements directs et indirects de l’Etat prévus diminueront de 125 millions, mais le niveau d’investissement évoluera à un niveau très élevé. Les crédits destinés à la recherche et à l’innovation et dans les énergies renouvelables par contre augmenteront. Une attention particulière sera accordée de manière stratégique au secteur des TIC, au système scolaire et à la culture, des facteurs softs de l’attractivité du pays pour les nouveaux arrivants dont le Luxembourg a besoin pour faire évoluer ces nouveaux secteurs économiques. Le budget d’aide au développement ne sera pas non plus diminué et restera à 1 % du PIB.
Un des points les plus controversés sont les 2,5 milliards que l’Etat luxembourgeois consacre aux prestations sociales. 45 % des recettes des systèmes d’assurance sociale proviennent de l’Etat, alors que, souligne le Premier ministre, "l’Etat belge ne verse que 33 %, l’Etat allemand que 35 % et l’Etat français que 32 %". Si le Luxembourg adaptait sa contribution à la moyenne de celle de ses voisins, le transfert passerait de 10,5 % du PIB à 7,8 %, soit un milliard d’économies pour les finances publiques. Mais si le Luxembourg allait dans cette direction, remarque Jean-Claude Juncker, "nous aurions très vite un problème avec nos rentes et pensions et les réserves de la caisse des pensions fondraient comme neige au soleil". Et de marteler : "nous nous sommes décidés au Luxembourg à fiscaliser la sécurité sociale. Car ce système implique – et là, je prie les organisations patronales de bien tendre l’oreille – que les patrons ne contribuent qu’à concurrence de 27 % aux prestations sociales, alors qu’en Allemagne ils contribuent à 35 %, en Belgique à 44 % et en France à 45 %". Bref, changer de système conduirait à augmenter les charges patronales, mais aussi les charges des salariés, et à mettre en question le financement durable des systèmes de pension. Et "c’est pourquoi le gouvernement n’est pas disposé à prendre le chemin de la défiscalisation du financement des prestations sociales". Ce qui n’exclut pas des réformes structurelles du système de pensions que le gouvernement entreprendra.
Autre annonce : le 1er janvier, le salaire social minimum sera augmenté, "parce qu’il est difficile de vivre au Luxembourg avec un salaire minimum", même si cela déplaît au patronat auquel il a demandé de ne pas envisager à chaque restructuration le recours tout à fait paradoxal à la préretraite, elle aussi très coûteuse.
Du point de vue des dépenses, le Premier ministre a ensuite expliqué que la non-indexation de l’allocation de famille a entraîné depuis 2006 136 millions d’économies, et que la réorganisation des chèques-services produira jusqu’à 8 millions d’économies annuelles qui reviendront à la création de nouveaux lieux d’accueil pour les enfants.
Parmi les mesures fiscales qui seront prises, figure l’augmentation de l’impôt solidarité, qui alimentera le Fonds de l’emploi avec 112 millions annuels. Basé sur l’impôt sur le revenu, il grève plus les revenus élevés, mais selon le gouvernement, "des épaules larges sont en mesure de porter plus de charges que de petites épaules".
Jean-Claude Juncker a conclu ce chapitre budgétaire en expliquant que "si nous faisons des économies, c’est parce que nous devons en faire". Et il a souligné que "nous sommes un des seuls pays en Europe qui peut encore se permettre de faire des économies, et nous ne les faisons pas aux frais des faibles, ni aux frais de la croissance, mais de manière telle que notre économie puisse continuer de croître".
A cette question, Jean-Claude Juncker a répondu par un catalogue de réponses claires: