Le Conseil Justice et Affaires intérieures (JAI) du 7 juin 2012 a adopté une orientation générale sur deux propositions législatives liées à Schengen qui règlent la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures, dont une exclut le Parlement européen des décisions.
Il s’agit d’un côté du mécanisme d'évaluation de Schengen, duquel la Commission avait proposé une révision en septembre 2011, et dont le Conseil a changé la base juridique, remplaçant l’article 77, paragraphe 2, point e) TFUE, qui donnait plus de pouvoirs au parlement pour participer aux décisions, par un article 70 du TFUE qui implique que le règlement proposé devrait être adopté par une décision du Conseil requérant la majorité qualifiée des États membres. Cela signifie qu’il ne suivra pas la procédure législative ordinaire, qui accorde un pouvoir de codécision au Parlement européen. Le Conseil devrait cependant convenir également de consulter le Parlement à titre volontaire afin de veiller à ce que sa position soit prise en compte dans toute la mesure du possible.
De l’autre côté, les ministres ont décidé des modifications du code frontières Schengen en ce qui concerne des règles communes relatives à la réintroduction temporaire du contrôle aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles. Ces modifications devront être co-décidées avec le Parlement européen. Elles impliquent la possibilité pour les Etats membres, de rétablir, de façon temporaire, les contrôles aux frontières nationales en cas de pression migratoire incontrôlable à une de leurs frontières extérieures.
Comme dans le système actuel, les règles s'appliquent non seulement pour contrôler l'application correcte de l'acquis de Schengen par les pays déjà membres de l'espace Schengen, mais aussi pour contrôler que les pays qui veulent adhérer à l'espace Schengen remplissent toutes les conditions nécessaires pour commencer à appliquer l'acquis de Schengen.
Contrairement au système actuel, qui repose sur un système intergouvernemental d'examen par les pairs auquel la Commission ne participe qu'en tant qu'observateur, et contrairement à la proposition initiale de la Commission de mettre en œuvre une approche menée par l'Union à l'aide d'inspections sur place effectuées par des équipes dirigées par la Commission, le texte de compromis indique que les États membres et la Commission ont la responsabilité commune de la mise en œuvre du mécanisme d'évaluation et de suivi. Chaque équipe d'évaluation disposera de deux experts principaux, l'un provenant d'un État membre et l'autre de la Commission.
Les évaluations couvrent tous les aspects de l'acquis de Schengen, y compris l'absence de contrôles aux frontières intérieures, qui n'est actuellement pas prise en compte. Le nouveau texte ajoute également qu'il conviendrait de prendre en compte le fonctionnement des autorités qui appliquent les parties concernées de l'acquis de Schengen.
La Commission sera chargée d'établir des programmes d'évaluation pluriannuel et annuel, qui incluront des inspections sur place annoncées et inopinées. Les programmes d'évaluation annuels tiendront compte des recommandations formulées lors d'une analyse annuelle des risques fournie par l'Agence européenne pour la gestion des frontières (Frontex). Les inspections sur place annoncées dans un État membre seront précédées par un questionnaire.
Les équipes d'évaluation chercheront à dégager un compromis sur les rapports définitifs, qui mentionneront, comme c'est actuellement le cas, les manquements et des recommandations quant aux mesures correctives. Le Conseil adoptera les rapports d'évaluation soumis par la Commission.
L'État membre concerné sera tenu de soumettre un plan d'action destiné à remédier à tout manquement constaté. La Commission continuera à suivre le plan d'action et à en rendre compte au Conseil jusqu'à sa mise en œuvre complète. Ce suivi et ce compte rendu peuvent inclure de nouvelles inspections annoncées ou inopinées.
Si une inspection sur place met en évidence un manquement grave dont il est considéré qu'il constitue une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure dans le cadre de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures, la Commission en informe le Conseil et le Parlement européen le plus rapidement possible, de sa propre initiative ou à la demande d'un État membre.
La Commission présentera au Conseil et au Parlement européen un rapport de synthèse annuel relatif aux évaluations conduites.
Le Code frontières Schengen, établi par le règlement (CE) n° 562/2006, prévoit, d'une part, les règles applicables au contrôle aux frontières extérieures et, d'autre part, la suppression du contrôle aux frontières intérieures ainsi que la possibilité de sa réintroduction dans des cas limités.
Les modifications présentées par la Commission en septembre 2011 concernent la dernière partie du code frontières Schengen, à savoir les dispositions sur la réintroduction des contrôles aux frontières intérieures.
Le Conseil a marqué son accord sur un texte de compromis, qui devrait servir de base aux négociations avec le Parlement européen.
Le texte prévoit la possibilité de réintroduire des contrôles aux frontières intérieures dans trois cas de figure: deux sont liés à une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, l'autre concerne le mécanisme d'évaluation de Schengen et suppose des mesures spécifiques en cas de manquements graves liés aux contrôles aux frontières extérieures.
Comme en vertu des règles actuelles, un État membre pourra décider unilatéralement de réintroduire temporairement les contrôles aux frontières intérieures dans des circonstances exceptionnelles, à savoir "en cas de menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure".
Si les menaces motivant la réintroduction sont prévisibles (par exemple, des événements sportifs majeurs, des manifestations politiques ou des réunions politiques très médiatisées), la réintroduction des contrôles aux frontières sera limitée à trente jours, avec la possibilité de prolonger cette période par des périodes renouvelables de trente jours ne dépassant pas six mois au total. L'État membre en question doit en aviser les autres États membres et la Commission au plus tard quatre semaines avant la réintroduction prévue. Des délais plus courts sont possibles dans certaines circonstances.
L'État membre devra fournir toutes les informations pertinentes sur la portée et la durée de la réintroduction, et les motifs de celle-ci. La Commission peut émettre un avis sur la notification, ce qui peut conduire à des consultations entre elle et les États membres.
En cas d'urgence (par exemple d'attentat terroriste), la réintroduction peut intervenir immédiatement. Dans ce cas, la réintroduction des contrôles aux frontières sera limitée à dix jours, avec la possibilité de prolonger cette période pour des périodes renouvelables de vingt jours ne dépassant pas deux mois au total.
Lorsqu'un rapport d'évaluation établi dans le cadre du mécanisme d'évaluation de Schengen fait état de manquements graves dans un État membre dans l'exécution des contrôles aux frontières extérieures, la Commission peut recommander à l'État membre concerné le déploiement d'équipes européennes de garde-frontières européens conformément aux dispositions du règlement relatif à Frontex et/ou la présentation de ses plans stratégiques pour remédier à la situation.
S'il a été conclu, dans un rapport d'évaluation établi dans le cadre du mécanisme d'évaluation de Schengen, qu'un État membre a manqué gravement à ses obligations, mettant en péril le fonctionnement global de l'espace sans contrôle aux frontières intérieures, et si la Commission constate que la situation persiste après trois mois, et dans la mesure où ces circonstances représentent une menace grave pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, le Conseil peut, sur la base d'une proposition de la Commission, recommander à un ou plusieurs États membres spécifiques de réintroduire les contrôles à toutes leurs frontières intérieures ou sur des tronçons spécifiques de celles-ci. Dans ce cas, la réintroduction des contrôles aux frontières sera limitée à six mois, avec la possibilité de prolonger cette période pour des périodes renouvelables de six mois ne dépassant pas deux ans au total.
Une telle recommandation ne peut être adoptée qu'en dernier recours, et le Conseil doit tenir compte d'un certain nombre d'éléments, parmi lesquels le fait de savoir si la réintroduction de contrôles aux frontières est susceptible de remédier correctement à la menace pour l'ordre public ou la sécurité intérieure, si la mesure est proportionnée et s'il existe des mesures de soutien technique ou financier supplémentaires, y compris un soutien de Frontex, du BEA, d'Europol, etc., qui pourraient permettre de remédier à la situation.
Le ministre de l’Intérieur, Jean-Marie Halsdorf, et le ministre de l’Immigration Nicolas Schmit, qui avaient participé au Conseil JAI pour le Luxembourg, ont tous les deux commenté les décisions du 7 juin.
Pour Nicolas Schmit, Schengen est un des acquis les plus importants et les plus symboliques pour l’UE. Il s’agissait pour lui "d’améliorer Schengen sans mettre en question la libre circulation des personnes, à laquelle le Luxembourg tient beaucoup". La discussion a tourné autour des points litigieux de la base juridique du mécanisme d’évaluation. La Commission voulait un mécanisme d’évaluation plus communautaire, qui impliquait donc aussi le Parlement européen et la Commission. La Commission se voit accorder un rôle plus important, mais pas le Parlement européen, même s’il sera consulté. Mais Nicolas Schmit a ajouté qu’il pensait que les dés n’étaient pas encore jetés, et qu’il faudra encore discuter avec le Parlement européen, puisque ce dernier est compétent pour co-décider sur la révision du Code frontières. "Le Parlement européen n’aidera pas sur la révision du code frontières, s’il n’obtient pas plus de pouvoirs dans le cadre du mécanisme d’évaluation", a jugé le ministre de l’Immigration.
Jean-Marie Halsdorf a estimé que le Conseil avait choisi "la bonne voie, même si ce n’est pas la voie communautaire que le Luxembourg a souhaitée". Le ministre de l’Intérieur a rappelé toutes les conditions qui devaient être remplies avant qu’un contrôle aux frontières puisse être rétabli. "Les Etats membres ne pourront pas faire n’importe quoi, mais il y a va de l’ordre de la sécurité et de l’ordre public ou du bon contrôle des frontières extérieures".
Pour la présidence danoise, la possibilité pour les Etats membres de rétablir de façon temporaire les contrôles aux frontières nationales était avant tout prise en considération en cas de pression migratoire incontrôlable à une de leurs frontières extérieures.
La France a accepté le compromis et a cité en exemple les possibles conséquences de la crise en Syrie et que "face à des situations de crise, à des situations exceptionnelles, les Etats membres de Schengen doivent pouvoir retrouver leur souveraineté". L’Autriche a pointé du doigt la difficile situation à la frontière gréco-turque. Ces Etats ont mis en avant que rien n'était prévu en cas de pression migratoire incontrôlable entraînant une défaillance dans le contrôle d'une frontière extérieure de l'espace Schengen, comme actuellement en Grèce. La Pologne vient de son côté de rétablir temporairement des contrôles à ses frontières nationales pour des raisons de sécurité et d'ordre public à cause de l'Euro 2012 de football.
"La décision finale reste aux Etats membres, parce que nous sommes responsables de la sécurité de nos citoyens. C'est très important pour tous les ministres de l'Intérieur", a déclaré le ministre de l'Intérieur allemand Hans-Peter Friedrich. Pour lui, il s’agit d’un signal politique important. Il nie que l’accord signifie une régression de la libre circulation des personnes. "Le mécanisme d’urgence est une mesure qui ne sera adoptée qu’en tout dernier recours, en guise d’ultima ratio, quand tout cède." Pour le ministre CSU, "il est faux de croire que nos décisions, c’est moins d’Europe. Au contraire, c’est plus d’Europe."
L'accord au Conseil JAI déplait foncièrement à la commissaire européenne en charge des Affaires intérieures Cecilia Malmström, qui avait présenté les propositions de la Commission en septembre 2011. "Ce n'est pas un mécanisme européen ! Cet accord nous met à la merci de pressions populistes", a-t-elle lancé à la presse. Elle n’exclut pas que la Commission lance une procédure auprès de la CJUE pour vérifier si la décision est conforme au droit européen.
Le Parlement européen a également dénoncé la décision "unilatérale" des ministres de l'Intérieur. Son président, Martin Schulz, a critiqué le "comportement unilatéral et contre-productif" des représentants des gouvernements. Pour lui, "cette décision ne respecte pas les pouvoirs du Parlement et constitue une étape dans la mauvaise direction sur Schengen". Il a ajouté : "Dans une Union des Etats et des citoyens, il est troublant de voir que les gouvernements nationaux cherchent à exclure les représentants des citoyens sur les questions relatives aux droits individuels."
Manfred Weber, un influent député européen allemand affilié PPE et qui est du même parti que le ministre allemand Friedrich à parlé "d’une occasion ratée et d’une régression en des temps anciens". Il a annoncé, à l’instar de la commissaire Malmström, que son groupe politique demandera à ce que la décision du Conseil soit soumise à la CJUE pour vérification.
Les Etats de l'UE "déclarent la guerre au Parlement européen", a estimé le groupe Libéral dans un communiqué. Il dit "ne pas pouvoir accepter cela" et que "le Parlement examinera s'il convient d'engager une action en justice".
Le vice-président du groupe des Verts, Daniel Cohn-Bendit, a estimé de son côté que la décision des ministres de l'Intérieur "portait un coup dur aux accords de Schengen". La présidente des Verts au PE, Rebecca Harms, a parlé de "ministres de l’Intérieur européens qui avaient posé la tête de la libre circulation des personnes sur le billot".