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Migration et asile - Justice, liberté, sécurité et immigration
Bridge Forum Dialogue : Cem Özdemir et Jan Karlsson parlent de migration
07-06-2012


Le 7 juin 2012, l'association The Bridge Forum Dialogue conviait à une conférence intitulée "Immigration et intégration en Europe". Sous la présidence de Vitor Manuel da Silva Caldeira, président de la Cour des comptes européenne et vice-président de l'association, le coprésident des Verts allemands, Cem Özdemir, ainsi que l'ancien ministre suédois pour la migration et le développement économique et ancien président de la Cour des comptes européennes, Jan O. Karlsson étaient invités à partager leurs points de vue sur la question.

Vitor Manuel da Silva Caldeira a rappelé en préambule combien la question est devenue un enjeu dominant dans les élections nationales en Europe et "crée des tensions sociales". Pour lui, le défi consiste à organiser l'immigration légale d'une part et à s'attaquer à l'immigration illégale et le trafic des êtres humains de l'autre

Karlsson : "Nous avons besoin de l'immigration pour conserver notre système social."

jan-karlsson2En introduction de son intervention, Jan O. Karlsson rappelle que ce n'est qu'à partir des années 80 que l'Europe a cessé d'être un continent d'émigration pour finalement recevoir plus d'immigrés qu'elle n’en voyait partir. Avant cela, les Européens partaient pour les Amériques, du Sud et du Nord, vers l'Australie. "L'idée de la plupart des gens est de venir en Europe pour vivre riches et heureux et non plus de quitter l'Europe comme jadis pour rechercher la même chose hors de l’Europe".

Or, ce mouvement nouveau est promis à prospérer. Il faut pour cela faire un détour par la démographie. "Quand vous parlez de migrations, vous devez commencer par la démographie", souligne l'ancien ministre suédois. Or, les chiffres révèlent que le taux de fécondité moyen en Europe s'élève à 1,5. En de pareilles circonstances, "plus aucun pays ne renouvelle lui-même ses générations". Toute l'augmentation des populations depuis les années 90 est le fait de l'immigration, avance-t-il encore.

Par ailleurs, en 2050, il y aura deux travailleurs pour un pensionné, soit de sérieux doutes qui pèseront sur la viabilité du système de retraite. "Les statistiques ne mentent pas. Les gens doivent travailler plus", dit-il, souriant quand il évoque comme un "anachronisme" la décision récemment prise par le gouvernement français revenant à la retraite à soixante ans pour certaines catégories.

Devant pareil déficit, il y a trois solutions : garder les salariés plus longtemps sur le marché du travail, augmenter la part des femmes qui travaillent, recourir à l'immigration. En combinant ces deux premiers aspects, même en portant l'âge de la retraite à 69 ans, ce serait toutefois insuffisant pour maintenir la sécurité sociale à flot. Conclusion : "Il y aura besoin d'immigration pour conserver notre système social". Ce constat admis, il faut alors mieux s'organiser socialement pour faire venir et accueillir ces migrants.

Pour faire une carrière politique en Europe, la devise était pour l’ancien ministre suédois longtemps : "Laisse-les à l'extérieur ou jette-les à l'extérieur." Jan Karlsson rappelle les courtes vues qui animaient l'action politique vis-à-vis des étrangers. La politique de migration est, sur les scènes nationales et européenne, parasitée par des schémas de pensée inadaptés. Cet ancien vice-président de la Commission mondiale pour les migrations internationales rappelle, reprenant les mots d'un confrère suisse, que "les migrations sont une question globale régie par des décisions nationales".

Les réticences à une solution supranationale

L'ancien ministre qu'il est se souvient que de sa première gaffe lors d'un conseil informel des ministres européens, en février 2002, durant lequel, voulant prendre de la hauteur, il a suggéré qu'on traite de la question des migrations de manière globale. Lui fut opposé l'indifférence et un regard froid de ses quatorze collègues, laissant entendre que "ce type de Suède ne comprend rien au problème". Il se rappelle que le commissaire à la Justice et aux Affaires intérieures d'alors, Antonio Vitorino, lui avait fait part d'une semblable mésaventure, quand à ses débuts il avait fait pareille proposition et que Gerhard Schröder lui avait rétorqué : "Ne dis plus jamais cela".

Il y a une "véritable réticence des hommes d'Etat à considérer que la solution à ces problèmes se trouve à un niveau supranational. Ils ne sont pas prêts à accepter que des personnes se réunissent et décident qui va rentrer ou pas dans leur pays." Il rappelle d'ailleurs que les migrations n'ont fait partie de l'agenda européen qu'à partir de 1999, à Tampere, avant de faire l'objet d'une coopération par le biais de programmes quinquennaux, dont le dernier est issu de la réunion de Stockholm en 2009.

Or, l'absence d'une politique renouvelée des migrations, notamment dans l'accueil et l'accompagnement des migrants, peut, selon lui, expliquer les difficultés ressenties dans la population par rapport à ce solde migratoire positif récent pour l'Europe. Beaucoup d'experts ont pointé que la meilleure solution est plus d'Europe, et d'harmoniser, par exemple le marché du travail. Mais, d'autres ont considéré que les lois qui les régulent dans sont tellement différentes d'un Etat à l'autre qu'une activité commune européenne pourrait mener à des résultats très différents. Jan Karlsson préfère en conséquence prêcher une coordination " plus efficace". Dans la pratique également, il faut arriver à voir les situations concrètes. "Nous avons besoin d'une discussion davantage tournée vers les faits, au lieu de se focaliser sur la prise des emplois et des avantages sociaux, l'augmentation de la criminalité".

Quant à l'intégration, c'est sur le lieu de  travail, à l'école, dans le quartier de résidence qu'elle se joue. Et les politiques de migrations devraient être "plus proactives" et être liées à l'intégration. Ainsi, l'ancien ministre suédois fait-il remarquer que les 5000 à 7000 euros nécessaires pour venir clandestinement en Europe, et qui doivent être remboursés très vite, peu importe par quel travail, pourraient servir à bien d'autres choses et notamment à aider les gens avant leur arrivée. Il propose de faire de "la migration une partie du service public", ce qui permettra d'annuler les coûts sociaux de l'absence de politique proactive. 

Cem Özdemir: "Combiner des politiques migratoires libérales et humanitaires avec les intérêts économiques"

Cem ÖzdemirLe coprésident du parti vert allemand, Cem Özdemir, fut en 1994 le premier député allemand d'origine turque à faire son entrée au Bundestag. "Ma présence ici est le résultat d'un programme de recrutement de l'Allemagne en Turquie", a-t-il commencé par dire. Ce qui lui permet de souligner la différence de traditions dans les rapports des Etats membres avec  l'immigration. Des pays avec programmes de recrutement, d'anciens pays colonisateurs, de nouveaux pays d'immigration comme l'Espagne et l'Italie, des pays de l'Est où le phénomène est nouveau.

Les nuances du multiculturalisme

Cem Özdemir, constate ensuite que malgré ces logiques différents, la chancelière Angela Merkel, le président Nicolas Sarkozy et le Premier ministre David Cameron n'avaient "pas de vue unique mais une chose en commun" : le constat de l'échec du multiculturalisme. Or, Angela Merkel est à ses yeux un résultat de multiculturalisme. "Quand j'ai commencé la politique dans ma ville de Bade-Wurtemberg, il était impensable qu'une femme devienne présidente d'un parti chrétien, d'autant plus si elle était divorcée, sans enfants". L'occasion pour lui de dire que le multiculturalisme est la juxtaposition de manières de vivre et d'être à un même endroit et à un même moment. Ainsi, les gens venant de Turquie ne sont qu'une partie de ce multiculturalisme, à côté des couples gays et des gens mariés par exemple.

Pour l'écologiste, il est aussi évident que la démographie, notamment celle d'une Allemagne vieillissante dont la population décroît, rend nécessaire l'immigration. Et pour pouvoir répondre à ces besoins, il faut "combiner des politiques migratoires libérales et humanitaires basées sur nos valeurs partagées de droits de l'homme, qui ne sont pas en contradiction avec l'économie, avec l'intérêt économique, dont il ne faut pas avoir honte de parler".

"Des explications simplistes"

Cem Özdemir se désole de l'accord qui a été majoritairement réservé à la nouvelle du printemps arabe en Afrique du Nord. "Notre première réponse ne fut pas de constater que ces gens avaient le même rêve que ceux que nous avions de devenir de citoyens (…) . La première question dans mon pays était : "Mon Dieu, combien de personnes vont venir ?"

Cette anecdote renvoie pour lui à une autre évoquée plus tôt par Jan Karlsson, qui rappelait l'énorme discussion qu'il y avait eu lors de l'entrée de l'Espagne et du Portugal dans l'Union européenne en 1986, où l’on craignait un afflux massif d’Espagnols et de Portugais. Alors qu'on s'attendait à des millions de personnes migrant dans la riche Europe du Nord, on voyait les Espagnols plutôt rentrer chez eux. Conclusion : "Ceux qui avaient eu besoin de partir étaient déjà partis." Cem Özdemir voit en tout cas dans ces réactions la preuve de la nécessité de débattre des questions de migration.

Il déplore aussi les réactions simplistes qui attribuent à la présence de jeunes d'origine immigrée l'échec de l'Allemagne à l'étude PISA alors que la condition sociale est bien plus déterminante dans les résultats des élèves. Idem pour ce qui est de la stigmatisation de l'islam dont de nombreux partis populistes ont fait leur fonds de commerce : "Il est simpliste d'expliquer tous les problèmes que rencontre la société avec la religion". Pour autant, il souligne aussi que lorsqu'on arrive dans un pays d’accueil, il y a des obligations à remplir, en termes de connaissance de la langue, de respect de la Constitution, de partage des valeurs communes.

Ode au système de points canadien

Pour Cem Özdemir, il n’y a pas de contradiction entre un taux de chômage élevé et le recours à l'immigration légale, notamment pour ce qui est des ingénieurs hautement qualifiés qui font défaut sur le marché du travail allemand notamment. Il ne veut pas entendre parler de migration temporaire. "Il faut inclure le moyen de devenir citoyen." Il regarde avec envie le système de points du Canada, "dont pourrait s'inspirer l'Europe", dans lequel sont pris en compte l'âge, les langues parlées, l'éducation, l'expérience professionnelle. Il est aussi crucial d'agir à travers les universités, comme savent si bien le faire le Canada et les Etats-Unis.

Cem Özdemir évoque encore le régime de visas qui est très important pour la manière dont les gens parlent de l'Europe. Il déplore qu'il ait été allégé pour les pays des Balkans et pas pour la Turquie qui dispose pourtant d'"une population très jeune, qui va de plus en plus à l'université". "On ne leur permet pas de venir en Europe, d'y étudier et de ramener des idées européennes en Turquie."