Professeur de droit public européen et transnational à l'université du Luxembourg, Herwig Hofmann rappelle, dans une interview accordée au Luxemburger Wort publiée le 27 juin 2012, un fait historique qui pourrait inspirer l'Union européenne en quête de solution à la crise budgétaire. En 1777, suite à la guerre d'indépendance des Etats-Unis, le premier secrétaire au Trésor de l'histoire des Etats-Unis, Alexander Hamilton décida de faire un marché avec les anciennes colonies britanniques afin de régler les graves problèmes d'endettement qu'avait laissés la guerre dans leurs trésoreries. Le parallélisme avec la situation actuelle se retrouve également dans la réaction de certaines autres anciennes colonies britanniques, lesquelles avaient déjà réglé une partie de leur dette et n'étaient pas disposées à prendre en charge les dettes de ceux qui n'avaient au contraire rien fait. Alexander Hamilton leur proposa avec succès de transférer leurs dettes à l'Etat fédéral, en échange de l'abandon de recettes fiscales.
L'intérêt bien compris était que les Etats, ainsi allégés de leurs dettes, puissent disposer de nouvelles marges de manœuvre financières qu'ils n'auraient su retrouver autrement. Pour le Professeur Hofmann, la morale de l'histoire est que "les Américains ont su, à travers un accord sur des règles claires et sages, se libérer des difficultés et devenir une Union capable d'agir".
Selon Herwig Hofmann, la situation actuelle de l'Union européenne nécessiterait un semblable pragmatisme. Elle souffre du manque de marge de manœuvre financière de certains pays. Dans la situation actuelle de l'UE, "chaque Etat se débrouille tout seul". En effet, les traités de l'UE interdisent à un Etat membre et même à l'Union de prendre en charge la dette d'un autre Etat membre.
En plus, si quelques pays profitent de la situation dans laquelle "les marchés définissent selon leur propre évaluation du risque, les taux d'intérêt", la situation "peut vite changer". "Dès lors que la situation économique complète dans la zone euro sera vue comme critique, il se pourrait que les intérêts de l'Allemagne augmentent également", avance le professeur de droit en rappelant que cette dernière a dépassé la barre des 2 000 milliards d'endettement.
Herwig Hofmann estime donc qu'il faut passer à une union politique qui est en fait une adaptation aux exigences de l'Union monétaire bien plus avancée qu'elle. En effet, au lancement de cette dernière, on pensait que "l'union politique se développerait pas à pas, quasiment par un effet d’entraînement". Ce ne fut pas le cas.
Le professeur énumère différentes possibilités : "le développement d'une union bancaire avec une surveillance bancaire commune, éventuellement combinée avec la possibilité qu'un Etat membre ne puisse plus être rendu responsable pour la défaillance bancaire, mais que les sauvetages de banques nécessaires soient financés en commun". La protection contre une autre aggravation de la crise serait à trouver dans une union bancaire avec une surveillance commune, des dépôts de garantie communs et un fonds de sauvetage des banques commun.
Du côté des "réflexions pour une union politique plus forte", il y a différentes possibilités, note-t-il, "l'introduction d'eurobonds pour le financement de projets ou pour l'endettement commun des Etats membres". Toutes deux nécessiteraient toutefois un changement de traité.
Toutefois, en attente de cette union politique, il serait possible de suivre l'exemple d’Alexander Hamilton "mutualiser leur vieilles dettes communes". "Avec ce pas clair de désendettement, les Etats membres pourraient se présenter plus forts sur les marchés et relancer leur économie." Dans sa tribune publiée le 15 juin 2012 dans le Luxemburger Wort, consacrée particulièrement à l'exemple de Hamilton, Herwig Hofmann soulignait d'ailleurs l'intérêt pour les petits Etats qui se verraient ainsi libérer du "fléau" de devoir sauver des banques trop grandes pour eux "par l'endettement des citoyens, de leurs enfants et petits-enfants".
Comme aux Etats-Unis au XVIIIe siècle, l'UE devrait en contrepartie de cette prise en charge des dettes recevoir ses ressources fiscales, celles qui sont déjà mentionnées dans ses traités sous le concept de "sources de financement propres". Il serait ainsi possible de créer de nouveaux impôts comme la taxe sur les transactions financières actuellement discutée. Mais on pourrait aussi rediriger une partie des impôts existants dans les Etats membres. Le professeur évoque la possibilité de consacrer directement à l'Union européenne une partie de la TVA.
"Un comportement réactif à la pression des marchés n'est plus le bon. On devrait trouver le courage de faire un grand pas décisif en direction du renforcement de l'union politique. Alors, la politique pourrait retrouver sa capacité d'action", lance-t-il dans ce contexte. Et à ces nouvelles compétences données à la Commission européenne doit répondre une nouvelle légitimation démocratique. "Si on donne plus de compétences à l'UE en termes d'impôts, le président de la Commission européenne devrait se soumettre à un vote direct ou être porté plus fortement par une majorité parlementaire."
Herwig Hofmann évoque aussi la nécessité d'édicter des règles claires pour obtenir un succès : "Plus le modèle est simple, plus clairement sont réparties les compétences à la fin, et plus clair encore le pas qui peut faire sortir les Etats de l'actuel endettement, mieux ce sera. Des domaines qui sont liés comme le financement des dépenses sociales, les revenus de l'impôt, la régulation des banques ou les compétences de l'Union européenne peuvent être réglés dans la clarté, s'il existe un fondement simple et constitutionnel. "
En cas de succès, ce serait aussi aux prochaines générations de tirer des enseignements de cette crise comme Herwig Hofmann propose d'en tirer une de celle de 1777 aux Etats-Unis.
"Le plus important serait qu'avec cela, un élément essentiel pour le bien être futur en Europe serait posé – au moins aussi longtemps que la jeune génération ne reproduit pas les erreurs de la précédente."