Le 4 juin 2012, la députée Anne Brasseur (DP), qui est membre de l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, s’inquiétait dans une question parlementaire adressée au Premier ministre et au ministre des Affaires étrangères de la création d’un poste de représentant spécial de l’UE pour les droits de l’homme. Elle réagissait à une recommandation de la commission des affaires étrangères du Parlement européen appelant le Conseil à désigner à cette fonction "un envoyé de haut niveau qui jouit d'une réputation sur la scène internationale et qui sera chargé de renforcer la visibilité des droits de l'homme de l'Union européenne dans le monde".
Pour Anne Brasseur, cette recommandation semble en effet "en opposition" avec les idées du rapport que Jean-Claude Juncker a adressé en avril 2006 aux chefs d'Etat et de gouvernements des Etats membres du Conseil de l'Europe intitulé "Conseil de l'Europe - Union européenne : Une même ambition pour le continent européen". Anne Brasseur relevait en effet que l’auteur de ce rapport soulignait la nécessité d’éviter les doubles emplois, de reconnaître le Conseil de l'Europe comme référence continentale en matière de droits de l'homme et de reconnaître la primauté du Commissaire Européen aux droits de l'homme.
La députée libérale demandait donc à Jean-Claude Juncker et Jean Asselborn s’ils "soutiennent la démarche de la commission des affaires étrangères du Parlement européen ou s'ils ne jugent pas indispensable de défendre la position du rapport Juncker surtout en temps de crise des finances publiques où il s'agit plus que jamais d'éviter de dupliquer les fonctions". "Messieurs les Ministres n'estiment-ils pas que la référence en matière de droits de l'homme est et doit rester le Conseil de l'Europe ?", demandait enfin la députée.
Dans leur réponse transmise le 2 juillet, Jean-Claude Juncker et Jean Asselborn réaffirment que "le Conseil de l'Europe est et reste la référence continentale en matière de droits de l'Homme", et ils expliquent à la députée qu’il s’agit "d’exploiter son expertise afin de compléter utilement les efforts de l’UE qui, elle, couvre un champ d’action global dans le cadre de sa politique étrangère".
L'appui de longue date du gouvernement luxembourgeois à une adhésion de l'UE à la Convention de sauvegarde des droits de l'Homme et des libertés fondamentales du Conseil de l'Europe (CEJDH) témoigne, relèvent-ils, tant de l’importance attachée par le gouvernement à l’action du Conseil de l'Europe en matière de protection des droits de l'Homme que du souci de cohérence dans le fonctionnement des organisations respectives.
Le gouvernement partage ainsi les préoccupations sur les éventuelles duplications de tâches et de mandats au niveau du Conseil de l'Europe et de l’UE. Ils soulignent donc dans leur réponse les spécificités et complémentarités entre le mandat existant du Commissaire aux droits de l’Homme du Conseil de l’Europe et celui du futur Représentant spécial de l’UE pour les Droits de l’Homme.
Le Commissaire aux droits de l’Homme est une institution indépendante et impartiale. Le Commissaire est chargé de promouvoir les droits de l'Homme au sein des 47 Etats membres du Conseil de l’Europe, entre autres par l’éducation, la sensibilisation, par la coopération et les conseils aux structures chargées des droits de l’Homme. Des visites régulières dans les Etats membres lui permettent d’identifier d'éventuelles insuffisances et d'attirer l'attention, des autorités sur celles-ci. Il adresse également des avis et des recommandations aux autorités afin d'améliorer la situation des droits de l'Homme. Le Commissaire collabore aussi avec le Comité des ministres et l'Assemblée parlementaire du Conseil de l'Europe, auxquels il fournit des rapports. Il coopère avec d’autres institutions internationales pour promouvoir et protéger les droits de l’Homme en évitant le double emploi d'activités.
De son côté, le Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l’Homme agira en soutien et sous l’autorité du Haut représentant de l’Union pour les affaires étrangères et la politique de sécurité et le Vice président de la Commission européenne, conformément aux dispositions du traité de Lisbonne (voir notamment l'article 18, alinéas 2 et 4, et l’article 33 du Traité sur l'Union européenne), à l’instar des onze autres Représentants spéciaux en fonction à ce jour. Le mandat du Représentant spécial pour les droits de l’Homme est fondé sur les objectifs en matière de droits de l’Homme tels qu'ils découlent du Traité de Lisbonne et de la Charte des droits fondamentaux. Ce mandat est également fondé sur le cadre stratégique sur les droits de l'Homme et la démocratie et le plan d'action que l'Union européenne a adopté lors du Conseil des Affaires étrangères du 25 juin 2012. Le Représentant spécial contribuera à donner davantage d'efficacité, de cohérence et de visibilité à la politique en matière de droits de l'Homme de l'Union européenne et à sa mise en œuvre dans tous les domaines de la politique étrangère de l'Union dans ses relations avec les pays tiers, qu'il s’agisse de la politique de sécurité ou de défense, du commerce, du développement ou encore de l’élargissement. Le Représentant spécial n'assumera aucune fonction nouvelle et n'aura aucune compétence en ce qui concerne la situation domestique des droits de l'Homme sur le territoire des 27 États membres de l’UE puisque son action sera exclusivement tournée vers les pays tiers.
Jean-Claude Juncker et Jean Asselborn rappellent aussi que la fonction de Représentant spécial de l'Union européenne pour les droits de l’Homme n'a pas été créée ex nihilo. Avant l'entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, le Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune s'était en effet doté d’un Représentant personnel pour les droits de l’Homme que l’on peut considérer à de nombreux égards comme une première incarnation de la fonction actuelle du Représentant spécial pour les droits de l’Homme.
"Les mandats du Commissaire aux droits de l'Homme et du Représentant spécial comportent des missions et des objectifs distincts mais complémentaires et le Représentant spécial ne remet aucunement en question ni la primauté du Commissaire aux droits de l'Homme, ni la position du Conseil de l'Europe comme référence continentale en matière de droits de l'Homme", concluent les deux ministres.
Les relations et interactions entre l'Union européenne et le Conseil de l'Europe n'ont jamais été aussi fructueuses et productives, précisent-ils encore, certains que la mise en place d'un Représentant spécial contribuera à veiller à la cohérence de l'action de l'Union européenne avec celle du Conseil de l'Europe en matière de protection de droits de l'Homme. Dans ce contexte, le Représentant spécial se concertera tout naturellement avec le Commissaire aux droits de l'Homme. Le Représentant spécial sera un interlocuteur de choix non seulement pour le Conseil de l'Europe, mais également pour les autres organisations internationales ou régionales. L'Union européenne suit ainsi l'exemple de nombre de pays qui ont désigné un ambassadeur des droits de l'Homme, des représentants spéciaux ou des personnes de rang similaire, ou de l'ONU qui compte également plusieurs officiels de haut rang disposant de mandats dans le domaine de la protection des droits de l'Homme, comme notamment le Haut commissaire aux droits de l'Homme.
Etant donné que le Secrétaire Général du Conseil de l'Europe, le Commissaire aux droits de l'Homme et d'autres représentants de l'organisation strasbourgeoise rencontrent régulièrement les membres de la Commission européenne et du Conseil de l'Union européenne ayant des compétences en matière de défense des droits de l'Homme, une collaboration étroite avec le Représentant spécial s'impose et contribuera certainement à créer des synergies dans l'esprit du Rapport Juncker. Comme le note ce dernier, les rapports, conclusions et recommandations du Commissaire aux droits de l'Homme "sont autant d'instruments et de vecteurs d'expertise auxquels les institutions et groupe de travail de l'Union européenne se réfèrent quand il est question d'Etats membres du Conseil de l'Europe, qu'ils soient membres du pas de l'Union européenne".
Il en découle, ajoutent Jean-Claude Juncker et Jean Asselborn, qu'en ce qui concerne les Etats membres du Conseil de l'Europe, mais non membres de l'Union européenne avec lesquels cette dernière entretient des relations bilatérales dont fait partie un dialogue sur les droits de l'Homme, le besoin de concertation entre les institutions du Conseil de l'Europe, en particulier le Commissaire aux droits de l’Homme et le Représentant spécial est d'autant plus évident.
"Le gouvernement luxembourgeois s’engage à veiller à cette préoccupation de cohérence tant au sein du Conseil de l'Europe qu'au sein de l'Union européenne", concluent-ils.