Le Bureau d'Information du Parlement européen au Luxembourg a organisé le 29 septembre 2012 au Vitarium de la Luxlait au Roost une conférence-débat sur la réforme de la PAC après 2013. L’objectif était de faire le point sur l’état actuel des discussions et « la survie de l‘agriculture luxembourgeoise » avec les professionnels des filières agricole et viticole luxembourgeoises.
La députée européenne Astrid Lulling, membre en pointe de la puissante commission AGRI du Parlement européen, le ministre de l’Agriculture, de la Viticulture et du Développement Rural, Romain Schneider, le président de la Chambre de l’Agriculture, Marco Gaasch ainsi que Léon Wietor, directeur de l'Administration des Services Techniques de l'Agriculture, Pierre Treinen, le nouveau directeur du Service de l’économie rurale et Andreas Schneider, expert agricole du groupe parlementaire PPE au Parlement européen, ont participé au débat.
Astrid Lulling proposa d’emblée que le débat fasse le point sur le débat en cours et se concentre sur les trois questions qui touchent le plus le Luxembourg :
Rien que sur ces trois points, elle-même a formulé au Parlement européen 177 des 6000 amendements qui ont été déposés.
Pour Astrid Lulling, le projet de la Commission sur les aides directes se résume en peu de points : les aides directes ne sont plus liées à la production. L’agriculteur doit, pour avoir le droit de toucher une aide directe, miser à partir de 3 hectares sur trois cultures différentes qui occuperont entre 70 % et 5 % de la surface de son exploitation. Par ailleurs, il doit destiner 7 % de son exploitation à la création d’une zone d’intérêt écologique, bref créer pour l’eurodéputée une « jachère permanente » pour de bonnes terres arables. Un recensement des surfaces éligibles sera achevé d’ici 2014. L’eurodéputée est hostile aux mesures de verdissement, et elle pense qu’il y a des alternatives, comme proposer un catalogue plus large que les mesures proposées jusque là (couverts végétaux, rotation des cultures, pâturages permanents, gel des terres à des fins écologiques) ou bien reconnaître automatiquement certaines pratiques agricoles comme vertes, comme la Commission le propose déjà pour l'agriculture biologique. Les Etats membres, qui sont très différents, pourraient opter pour plusieurs alternatives.
30 % des aides directes sont conditionnées par les mesures de verdissement. Astrid Lulling juge cette proportion excessive et voudrait qu’une partie de ce pourcentage passe du premier pilier de la PAC qui est celui des aides directes, dans le 2e pilier, qui est celui du développement rural. Les mesures de verdissement seraient alors moins contestées dans le milieu agricole. Cela serait d’autant plus judicieux que les pays du Nord de l’Europe ne veulent plus augmenter les aides directes, de sorte qu’il serait important de s’assurer des revenus dans le deuxième pilier. Elle précisera encore au cours du débat que la majorité de la commission AGRI au Parlement européen est contre les 7 % de jachères écologiques, avec les suffrages du PPE et de nombreux sociaux-démocrates, sans les libéraux et les conservateurs qui ne se sont pas encore décidés, sans ceux des sociaux-démocrates qui plaident pour un développement rural pour tous qui n’inclut pas seulement les exploitants agricoles, et sans les Verts qui sont pour les 7 % et contre tout arrangement.
L’écueil est ici autre, met néanmoins en garde Astrid Lulling : comme le développement rural est basé sur le cofinancement, il apparaît que dans un contexte de politiques budgétaires tendues dans les Etats membres, certains pays n’arrivent pas à assurer le cofinancement de telles mesures. Le déplacement d’une partie des 30 % des aides directes destinées au verdissement est donc l’objet d’un litige entre Etats membres qui pourrait selon Astrid Lulling être tempéré si l’on arrive à une répartition « plus juste » des charges entre les Etats et les entreprises agricoles. L’enjeu est donc d’arriver à une convergence entre Etats membres.
Dans la viticulture, le Luxembourg doit décider d’ici 2014 s’il veut opter pour une enveloppe pour un programme national ou s’il veut aller dans la direction d’une prime par hectare. Si une décision est prise en faveur d’un programme national, la prime est perdue, mais d’un autre côté monter un tel programme est très compliqué.
Le ministre Romain Schneider a mis de son côté en exergue toute la difficulté de l’exercice de réforme en cours : arriver pour la première fois à un accord entre 27 sinon 28 Etats membres, qui ont des intérêts divergents, et ce dans une situation budgétaire difficile et alors que plusieurs pays ont annoncé qu’ils veulent réduire la part de la PAC dans le budget de l’Union, une part qui gravite autour de 40 %. Le Luxembourg est pour le statu quo, et contre une diminution de cette part. La discussion avance pas par pas, le ministre mise sur la plus grande transparence possible et est demandeur d’inputs de la Chambre de l’Agriculture.
Trois défis s’imposent pour Romain Schneider :
Le premier défi lui semble le moins problématique, car le Luxembourg se situe pour ce qui est des aides directes aux surfaces dans la moyenne communautaire.
La convergence dans les Etats membres est importante, car les règles proposées défavorisent les producteurs laitiers qui ont recours à des méthodes intensives. Le Luxembourg cherche des alliés, et il pourrait les trouver avec le Danemark et l’Irlande qui plaident pour une flat-rate qui n’implique que peu de gains ou peu de pertes.
Quant au greening, le ministre met en avant le fait que le Luxembourg a fait de bonnes expériences avec des mesures environnementales, de sorte qu’il faudrait plaider pour un 2e pilier de la PAC qui accorde de "bonnes flexibilités". Car au Luxembourg, les agriculteurs sont d’ores et déjà des coresponsables de l’environnement, et ils subissent des contraintes réelles et nombreuses sur leurs parcelles avec l’application des législations sur la protection de la nature, des eaux, etc.
Mais, doit admettre le ministre, et c’est aussi sa conclusion et son message à la profession, le Luxembourg est plutôt isolé dans sa position, de sorte qu’il ne lui reste que l’issue de soutenir ceux qui veulent faire baisser la proportion des mesures de verdissement dans le pilier des aides directes et compter parmi les mesures de verdissement des surfaces à plantations protéiniques, pour lesquelles l’Europe accuse un fort déficit. Car en fin de compte, il convient de rappeler que le plus grand défi de la politique agricole de l’UE est de garantir la sécurité alimentaire d’un point de vue qualitatif, mais aussi quantitatif.
L’expert agricole Andreas Schneider pense que l’approche de la Commission est erronée et rigide sur le verdissement, et ce dans un contexte où le budget agricole risque de surcroît de subir des coupes. Il est pour lui inacceptable d’harmoniser la démarche du verdissement en lui attribuant 30 % des aides directes et d’y conditionner le paiement des autres aides directes, de sorte qu’un agriculteur qui ne s’exécute pas pourrait perdre jusqu’à 90 % de ses aides. Il devrait plutôt s’agir d’intervenir sur les déficits en matière environnementale, qui sont moindres dans des pays comme le Luxembourg qui travaillent depuis des années sur la question. Et il faut vendre autrement le verdissement auprès des professionnels, car l’approche est encore grevée par un tas de paradoxes. Il dira encore au cours de la discussion que ce qui importe, comme le prône aussi Astrid Lulling, c’est de consolider les revenus acquis dans un contexte où la PAC est en train de devenir un souci de moins en moins important au sein de l’UE.
Une autre question est l’année de référence pour déterminer les aides et leur pondération dans un pilier. Prendre 2001 est à rejeter, les distorsions étant trop importantes. Une autre difficulté, souligne l’expert, est le refus de certains Etats membres de réduire les distorsions dans leur propre pays, des distorsions qui peuvent aller de 90 à 500 euros par hectare. Les prochaines étapes sont maintenant le Conseil européen du 22 et 23 novembre 2012, où les chiffres du budget européen 2014-2020 vont être avancés qui devront être confirmés avant la fin de l’année par le Conseil ECOFIN. S’engagera ensuite une période de trilogue entre le Conseil, la Commission et le Parlement européen jusqu’en mars 2013. Un premier vote interviendra ensuite à la commission AGRI du Parlement européen en mai 2012. Mais il y a de nombreux acteurs qui pensent dans la direction "No deal, best deal", ce qui impliquerait qu’une mise en œuvre de la réforme de la PAC pourrait aussi n’intervenir qu’en 2015.
Marco Gaasch, le président de la Chambre de l’Agriculture a mis en avant la tâche qui est pour lui primordiale de l’agriculture : produire chez soi les aliments dont on a besoin, même si l’on peut tout acquérir. Il a mis en garde contre les dépendances qui peuvent un jour devenir pesantes si l’on va dans une autre direction. Les ressortissants de sa Chambre, a-t-il expliqué, perçoivent les réformes envisagées dans le domaine du verdissement comme un surplus de paperasseries, alors que l’on croyait cette phase de la PAC dépassée. "Plus de bureaucratie n’équivaut pas à un plus de prospérité", a-t-il conclu sur ce volet. Produire moins d’aliments dans ce cadre peut aussi s’avérer fatal en cas de pénurie alimentaire. Les exploitants agricoles ont plutôt tendance à vouloir garder leur potentiel de production alimentaire, voire de l’agrandir, ce qui se traduit entretemps par une hausse des prix des terrains.
Le conditionnement des aides directes aux mesures de verdissement est pour Marco Gaasch problématique. Ainsi, les viticulteurs pourraient de par la structure de leurs revenus renoncer aux 30 % d’aides directes liées au verdissement. Mais comme l’autre part des aides est conditionnelle et liée à ces mesures, ils renonceraient de fait à 90 % de ces aides. "Les exploitants commencent à comprendre la perversité du greening qui peut conduire pour eux à une annulation pure et simple des aides directes", a-t-il lancé, reprochant à la Commission de "pénaliser des entreprises dynamiques". Le chef de file des exploitants a aussi mis en garde contre les effets d’une convergence au sein des Etats membres qui pourrait impliquer qu’un exploitant qui perçoit 500 euros par hectare se retrouve en peu de temps avec seulement 200 euros par hectare d’aides directes.
Le président de la Centrale paysanne, Marc Fisch, a lui aussi abordé la crainte de nombreux exploitants de perdre un tiers de leur revenu à cause de la diminution de l’aide par hectare. Pour lui, dédier 7 % des surfaces agricoles à des mesures écologiques est absurde, quand l’UE risque de se retrouver un jour dans une période de pénurie alimentaire et que l’UE accuse des déficits importants en production de protéines végétales.
La seule organisation commune des marchés unique qui pose vraiment des problèmes est le secteur laitier, pense l’expert Andreas Schneider. Dans son intervention, il a rappelé que l’argent pour les interventions vient des budgets consacrés aux aides directes. Ce serait mieux selon lui de neutraliser ce genre de dépense budgétaire dans des réserves qui passeraient de budget annuel en budget annuel, sinon les deniers non dépensés risquent d’être alloués à d’autres projets, comme le projet spatial Galileo.
Pour le ministre Romain Schneider, il y a aussi un problème politique, parce que la Commission veut dorénavant régir les interventions par actes délégués, ce qui exclut le Parlement européen et le Conseil du processus de décision. Pour le secteur laitier, le ministre s’est montré rassurant, dans la mesure où le Luxembourg paraît bien préparé pour affronter la levée des quotas laitiers en 2015, tant en ce qui concerne ses exportations que sa structure coopérative avec Luxlait. De l’autre côté, le ministre a réitéré ce qu’il avait déjà déclaré au Conseil Agriculture, que les interventions sur le marché sur une base de plus ou moins 500 millions d’euros ne peuvent pas devenir la règle, dans la mesure où elles sont décomptées des aides directes.
Astrid Lulling a rappelé que le grand problème du Luxembourg en termes de développement rural était le maintien du classement de la plus grande partie de son territoire en zones défavorisées. Selon la nouvelle méthode, le calcul s’appuie moins sur des critères sociodémographiques, que le Luxembourg voudrait aussi voir pris en considération, que sur des critères biophysiques. La Commission prétend que cette méthode "est plus juste". Mais elle a eu des conséquences négatives pour le Luxembourg, met en avant l’eurodéputée. La simulation pratiquée par le Luxembourg, un peu plus favorable que celle de la Commission, n’a pas été acceptée par cette dernière qui pense qu’au moins de 40 % des surfaces classées avant en zones défavorisées ne le seront plus avec la nouvelle méthode. Astrid Lulling pense que le Luxembourg a intérêt dans ce dossier à jouer sur le temps – ce que le ministre Schneider fait déjà, souligne-t-elle - et à se chercher des alliés, comme l’Autriche et l’Italie. L’objectif est de maintenir le Luxembourg dans les zones défavorisées. Un autre problème qu’elle a soulevé est que le gouvernement est empêché de fournir encore des aides à l’investissement dans le cadre du développement rural.
Pour le ministre, ce qui est dit par Bruxelles est plutôt que le Luxembourg doit mieux cibler ses aides à l’investissement. Il doit donc développer un ciblage cohérent : les jeunes agriculteurs, les surfaces verts, l’environnement, … Mais cela est encore à définir.
A quoi Astrid Lulling réplique pour conclure : ce que le Luxembourg pourra faire en guise de soutien à l’agriculture se fera en fonction du cadre européen. Et c’est donc là qu’il faudra veiller au grain et se défendre contre encore plus de bureaucratie. « Mais », conclut-elle, « la bureaucratie ne vient pas que de Bruxelles » et de lancer une pique finale contre le Ministère de l’Environnement.