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Emploi et politique sociale - Justice, liberté, sécurité et immigration
La Chambre des députés transpose à l’unanimité une directive européenne qui sanctionne les employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier
Les travailleurs de pays tiers en situation d'emploi irrégulière depuis plus de 9 mois pourront voir leur situation régularisée entre le 2 janvier et le 28 février 2013 si leur employeur les engage sur base d'un CDI
18-12-2012


Le 18 décembre 2012, la Chambre des députés a adopté le projet de loi n° 6404 qui transpose la directive 2009/52/CE prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

Cette directive s’inscrit dans le cadre des efforts consentis par l’Union européenne pour réaliser une politique cohérente dans le domaine des migrations. Il est admis qu’un facteur déterminant encourageant l’immigration clandestine dans l’Union européenne est la perspective d’un emploi. Quelques employeurs peu scrupuleux sont tentés d’exploiter cette situation en ayant recours à cette main-d’œuvre docile, condamnée à vivre dans la clandestinité. Cette situation est inacceptable dans un Etat de droit. Elle constitue également un facteur de concurrence déloyale portant préjudice aux employeurs respectueux de la légalité.

La directive vise dès lors à réduire ce phénomène en proposant de réprimer plus sévèrement l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier.

La loi transposant la directive intervient sur plusieurs plans en responsabilisant plus efficacement l’ensemble des acteurs économiques par la mise en œuvre d’un arsenal de sanctions financières, administratives et pénales.

Le recours à une main d’œuvre séjournant illégalement sur le territoire était d’ores et déjà sanctionné en droit luxembourgeois, notamment par les articles 144 à 146 de la loi modifiée du 29 août 2008 sur la libre circulation des personnes et l’immigration. Mais le projet de loi introduit des sanctions plus ciblées.

L’objet de la directive, tel qu’il résulte par ailleurs de son énoncé, n’est pas de sanctionner les travailleurs en séjour irrégulier, tient à préciser le rapporteur, Roger Negri (LSAP). Toute disposition en sens contraire serait clairement en opposition avec l’esprit de la norme européenne. Ces personnes sont considérées avant tout comme étant les victimes des manœuvres illégales de leurs employeurs. C’est pourquoi la nouvelle loi dispose que le salarié en séjour irrégulier bénéficie d’une présomption d’emploi de trois mois. Cela renforce sa protection et sa position par rapport à son employeur, bien qu’il puisse pour autant tirer de sa situation de victime un quelconque droit au maintien de son séjour.

Dans son rapport, le député Roger Negri souligne l'importance, d'une part, de contrôles renforcés pour faire respecter les nouvelles normes et, d'autre part, de l'application effective de sanctions dissuasives à l'endroit des employeurs se rendant coupables d'infractions, étant entendu que le problème se pose surtout dans les secteurs de la construction et de la restauration.

Dans ses amendements à une première mouture du texte, le gouvernement a aussi dû tenir compte d’un arrêt de la Cour administrative du 15 mars 2012. Cet arrêt confirmait un jugement du tribunal administratif du 28 septembre 2011 ayant annulé au profit d’un ressortissant de pays tiers une décision de refus d’autorisation de séjour du ministre du Travail, de l'Emploi et de l'Immigration au motif qu’il n’existe aucune base légale européenne ou nationale consacrant la priorité d’embauche en faveur des demandeurs d’emploi luxembourgeois, de l’Union européenne et de l’Espace économique européen.

La nouvelle loi stipule, comme l’a rapporté Roger Negri, que les patrons doivent s’assurer que leur nouveau salarié, s’il est originaire d’un pays tiers, est en possession d’un permis de séjour et il doit informer le Ministère de l’Immigration de la signature du contrat de travail. Cette procédure devrait aussi permettre de détecter l’usage de documents falsifiés.

Un patron qui sait que la personne qu’il engage est en situation irrégulière encourt des sanctions. Il se verra infliger une amende de 2500 euros pour chaque employé engagé qui est en situation irrégulière.

La loi prévoit aussi des sanctions pénales allant de 8 jours à un an de prison assorties de l’interdiction d’exercer le rôle de chef d’entreprise dans cinq cas qui sont tous considérés comme des infractions graves : la récidive, l’engagement d’un nombre significatif de personnes en situation irrégulière, l’imposition de conditions de travail indignes, si les personnes engagées sont victimes du trafic d’êtres humains ou si elles sont mineures.

Les patrons condamnés devront également s’acquitter d’amendes, payer les impôts et les cotisations de leurs employés en situation irrégulière, les frais juridiques de ces derniers et finalement leur frais de retour dans leur pays. La protection des droits des immigrés illégaux se fera entre autres à travers des informations qui leur seront fournies avant leur retour dans leur pays d’origine.

Une autre obligation qui découle de la loi est que l’Inspection du Travail et des Mines (ITM) sera tenue de faire des analyses des risques dans le secteur, d’y faire des contrôles réguliers et de rapporter à la Commission la manière dont la loi est appliqué au Luxembourg.

Les avis des chambres professionnelles

Dans un premier avis, la Chambre des Salariés (CSL) avait salué, "de manière générale, que le projet de loi (…) renforce la répression contre les employeurs qui occupent des ressortissants de pays tiers sans autorisation ou titre de séjour".

La Chambre de Commerce se félicite elle "de l’intensification de la lutte contre l’emploi de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dans les Etats membres de l’Union européenne au motif que le travail illégal constitue un mal non seulement économique, en créant une concurrence déloyale préjudiciable aux entreprises respectueuses de la législation, mais également social, en privant de toute protection sociale les travailleurs étrangers en séjour irrégulier." Mais, en constatant que les sanctions prévues par le projet de transposition de la directive à l’égard des employeurs sont plus sévères que la Directive 2009/52/CE ne l’exige, elle demande au législateur d’appliquer le principe "toute la directive, rien que la directive".

La Chambre des Métiers regrette comme la Chambre de Commerce que les obligations imposées par l’article L. 572-3 du Code du travail aux employeurs de ressortissants de pays tiers accroissent considérablement la charge administrative de l’employeur. Elle déplore aussi "qu’aucune sanction ne soit prévue à l’encontre des travailleurs illégaux. Elle se prononce pour une responsabilisation des ressortissants de pays tiers concernés".

Le débat à la Chambre : quelques interrogations, mais l’unanimité pour approuver la loi

Au nom du CSV, la députée Sylvie Andrich a évoqué les 4,5 à 8 millions de personnes concernées par le phénomène de l’immigration illégale dans l’UE, des personnes que l’on retrouve employées de manière irrégulière surtout dans les secteurs de la construction, de l’agriculture, du nettoyage et de l’hôtellerie-restauration. La directive et ses transpositions dans les Etats membres est la riposte de l’UE a une immigration illégale qui constitue un des plus grands défis de l’UE. Ces personnes quittent leur pays pour fuir une situation très difficile, mais "leur rêve d’Europe se transforme en une prolongation du cauchemar d’avant", a déclaré la députée, qui a fustigé le corollaire de ce phénomène, le trafic des êtres humains. Il est donc juste pour elle de sanctionner ceux qui exploitent ces personnes. Mais les reconductions de ces dernières dans leurs pays d’origine restent néanmoins un drame, regrette-t-elle.

Au nom du DP, le député Alexandre Krieps a apporté le soutien à la loi de son groupe politique. Comme l’ITM va engager cinq nouveaux employés. dont un juriste, le gouvernement n’aura pas d’excuse si des problèmes d’application de la loi devaient surgir, a-t-il mis en garde.

Gast Gibéryen, de la sensibilité politique ADR, a lui aussi apporté son soutien au projet de loi, car l’exploitation illégale est un fait inacceptable. Mais, a-t-il remarqué, il y a une catégorie de gens qui sont employés par des entreprises, qui reçoivent un salaire correct et sont inscrits à la sécurité sociale, et pourtant elles n’ont pas de permis de séjour. Il a donc évoqué la question du sort des individus qui engagent par exemple une personne d’un pays tiers pour des travaux domestiques et respectent les formalités, mais ne demandent pas comme les entreprises de voir le permis de séjour. Pour le député ADR, il faut donc informer la population pour éviter que des gens de bonne foi se mettent dans de mauvais draps.

Nicolas Schmit annonce en guise de mesure transitoire une campagne de régularisation début 2013

Le ministre du Travail, de l’Emploi et de l’Immigration, Nicolas Schmit, a pris la parole en dernier. La directive 2009/52/CE est une conséquence du pacte sur l’immigration et l’asile au sein de l’UE qui mise sur la solidarité entre les Etats membres pour mettre fin à l’expansion de l’immigration illégale. Les immigrés illégaux viennent avec l’espoir de trouver un travail en Europe et finissent dans l’exploitation. Employer quelqu’un de manière illégale n’est pas une bagatelle, a insisté le ministre, mais un vrai délit, même si la personne en situation irrégulière employée est inscrite à la Sécurité sociale. Pour lui, cela ne coûte pas grand chose de demander son permis de séjour à un  postulant venant d’un pays tiers, et de se dire que s’il ne le peut pas, le doute à l’égard de sa situation est légitime.

Le Luxembourg applique correctement la directive qui est un moyen de lutter contre une immigration illégale qui est source de dumping social. Il a rappelé les obligations de rapporter à la Commission et la création de cinq nouveaux postes à l’ITM.

Il a ensuite annoncé quelque chose qu’il estime important. Pendant une période transitoire, qui ira du 2 janvier au 28 février 2013, possibilité sera donnée aux chefs d’entreprise de se mettre en règle s’ils ont engagé des employés sur une base irrégulière. Ils auront la possibilité d’embaucher normalement ceux qui travaillent pour eux depuis 9 mois, peu importe qu’ils soient inscrits ou non à la Sécurité sociale. De l’autre côté, leurs employés pourront régulariser leur séjour et s’installer en toute légalité dans le pays si leurs employeurs leur donnent un CDI. Car si ces personnes travaillent depuis plus de 9 mois dans une entreprise, cela prouve pour le ministre qu’on a besoin d’elles. Par ailleurs, a-t-il enchaîné, le Luxembourg n’a aucun intérêt à ce que le nombre de ceux qui vivent en marge de la légalité augmente.

La loi a été approuvée avec 59 voix sur 60.

L’ASTI se réjouit de l’annonce d’une régularisation pour début 2013 mais estime qu’il s’agit d’une avancée "à vérifier dans le détail"

Pour l’ASTI, l’annonce faite par le ministre Schmit est "un signe d’ouverture envers ceux qui constituent souvent les victimes d’employeurs qui abusent de leur précarité".

L’ASTI salue le délai d’engagement de 9 mois seulement, qui constitue un progrès pour elle par rapport à la loi en vigueur qui demande à ce qu’une personne doive, à des fins de régularisation, rapporter la preuve qu’elle a séjourné de façon continue sur le territoire et qu’elle y a habituellement travaillé depuis au moins huit ans.

Mais l’ASTI reste dubitative sur l’exigence que le patron propose au travailleur un CDI. L’association de soutien aux travailleurs immigrés a des doutes "sur le fait qu’un patron, jusqu'à maintenant peu scrupuleux, choisisse d’engager quelqu’un à durée indéterminée, quand il a à sa disposition une manne de main d’œuvre malheureusement habituée à la précarité." L’ASTI est aussi d’avis que la durée de la fenêtre de régularisation est trop courte et attend les détails de la procédure à suivre par les intéressés.