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Emploi et politique sociale
Pour la Cour de Justice européenne, la réglementation luxembourgeoise en matière d'aide à l'embauche apparaît contraire à la libre circulation des travailleurs
13-12-2012


La Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) a rendu le 13 décembre 2013 un arrêt dans l'affaire C-379/11 Caves Krier Frères Sàrl / Directeur de l'Administration de l'emploi (ADEM) qui aura des conséquences pour le régime luxembourgeois de l’aide à l’embauche dans le contexte particulier du marché du travail luxembourgeois où les frontaliers représentent plus de 43 % du travail salarié.    

La CJUE explique au début de son communiqué sur l’arrêt quelques règles générales du droit européen : "Le droit de l'Union européenne relatif à la libre circulation des travailleurs vise à faciliter, pour les ressortissants des États membres, l'exercice d'activités professionnelles de toute nature sur le territoire de l'Union. À cet égard, le droit de l'Union s'oppose aux mesures nationales qui pourraient défavoriser ces ressortissants lorsqu'ils souhaitent exercer une activité économique sur le territoire d'un autre État membre."

Elle constate ensuite : "Selon la réglementation luxembourgeoise, le fonds pour l’emploi rembourse aux employeurs du secteur privé les cotisations de sécurité sociale versées pour les chômeurs embauchés à condition qu’ils soient âgés de 45 ans et qu’ils soient inscrits, au Luxembourg, comme demandeurs d’emploi auprès du bureau de placement de l'Administration de l'emploi (ADEM), depuis au moins un mois. Tout demandeur d’emploi est tenu de s’inscrire à l’ADEM."

Le cas de Mme Schmidt-Krier et la question préjudicielle de la Cour administrative de Luxembourg

Mme Schmidt-Krier est une ressortissante luxembourgeoise qui réside en Allemagne, à proximité de la frontière luxembourgeoise. Elle a accompli l'ensemble de sa carrière professionnelle au Luxembourg. En 2008, Mme Schmidt-Krier, alors âgée de 52 ans, a été engagée par la société luxembourgeoise Caves Krier dans le cadre d’un contrat de travail à durée indéterminée.

En septembre 2008, les Caves Krier ont introduit auprès de l’ADEM une demande d’aide à l’embauche à la suite de leur décision d’engager Mme Schmidt-Krier. Par décision du 4 septembre 2008, l’ADEM a rejeté cette demande au motif que Mme Schmidt-Krier n’y était pas inscrite en qualité de demandeur d’emploi comme l’exige la législation luxembourgeoise.

Le recours introduit par les Caves Krier devant le tribunal administratif afin d'obtenir l'annulation de cette décision a été rejeté.

Ayant été saisie en appel de ce jugement, la Cour administrative de Luxembourg considère que les conditions d’octroi de l’aide à l’embauche et plus particulièrement, la condition d’inscription, soulève une question de droit de l’Union.

Selon la Cour administrative, il est constant que seuls les résidents luxembourgeois peuvent s’inscrire auprès de l’ADEM, de sorte que l’aide est en fait réservée aux employeurs qui embauchent des chômeurs résidant sur le territoire luxembourgeois. Cette disposition pourrait donc constituer une entrave à la libre circulation des citoyens de l’Union, l’employeur potentiel d’un chômeur âgé de plus de 45 ans étant amené à préférer l’engagement d’un résident luxembourgeois dès lors que seul l’engagement de celui-ci lui permettra d'obtenir l’aide en cause. Dans ces conditions, la Cour administrative a décidé d'interroger la Cour de justice.

L’arrêt de la CJUE

La CJUE ou Cour rappelle, tout d'abord, que les dispositions relatives à la libre circulation des travailleurs s'appliquent à tout ressortissant d’un État membre, indépendamment de son lieu de résidence et de sa nationalité, qui a fait usage du droit à la libre circulation des travailleurs et qui a exercé une activité professionnelle dans un État membre autre que celui de sa résidence.

La Cour constate premièrement que, la situation de Mme Schmidt-Krier, en tant que travailleur frontalier à la recherche d'un emploi, relève des dispositions régissant la libre circulation des travailleurs. La Cour précise que même si les droits de libre circulation bénéficient aux travailleurs, un employeur, en l'occurrence Caves Krier, peut également se prévaloir des règles applicables aux travailleurs.

Deuxièmement, la Cour relève que le droit luxembourgeois reste silencieux quant à l’existence d’une condition de résidence pour s’inscrire à l’ADEM. Cependant, la Cour observe que les juridictions au Luxembourg ont interprété leur droit national en se fondant sur l’idée qu’une condition de résidence de ce type était effectivement applicable. Se basant sur l’hypothèse selon laquelle l’inscription à l’ADEM est subordonnée à une condition de résidence au Luxembourg – ce qu’il appartient à la juridiction nationale de vérifier – la Cour constate dès lors que la réglementation luxembourgeoise introduit une différence de traitement entre, d’une part, les ressortissants des États membres à la recherche d'un emploi résidant au Luxembourg et, d’autre part, les mêmes ressortissants qui résident dans un autre État membre. Cette réglementation nationale désavantage ainsi certains travailleurs du seul fait qu’ils ont établi leur résidence dans un autre État membre.

Ainsi, une telle réglementation est susceptible de dissuader un employeur établi au Luxembourg d’engager un demandeur d’emploi qui n’a pas sa résidence dans cet État membre, dès lors qu’un tel engagement ne permet pas à cet employeur de bénéficier de l’aide à l’embauche. Par conséquent, cette réglementation est susceptible de rendre plus difficile l’accès à l’emploi au Luxembourg d’un travailleur frontalier. Partant, une telle réglementation nationale qui défavorise les non-résidents restreint la libre circulation des travailleurs à l’intérieur de l’Union européenne.

Selon le droit de l'Union, une mesure nationale qui restreint la libre circulation des travailleurs peut être justifiée si elle poursuit un objectif légitime compatible avec le traité. Or, en l’espèce, une telle justification n'a pas été alléguée par le gouvernement luxembourgeois. En tout état de cause, la Cour rappelle qu’une condition de résidence est, en principe, inappropriée s’agissant des travailleurs migrants et frontaliers. En effet, ceux-ci ayant accédé au marché du travail d’un État membre, ont, en principe, créé un lien d’intégration suffisant dans la société de cet État qui leur permet d’y bénéficier du principe d’égalité de traitement. Ce lien d’intégration résulte notamment du fait que les travailleurs migrants et frontaliers payent dans l’État membre d’accueil des contributions fiscales.

Par conséquent, la Cour répond que le droit de l'Union européenne s’oppose à une réglementation d’un État membre qui subordonne l’octroi aux employeurs d’une aide à l’embauche des chômeurs, âgés de plus de 45 ans, à la condition que le chômeur engagé soit inscrit comme demandeur d’emploi dans ce même État membre, dès lors qu’une telle inscription – ce qu’il appartient à la juridiction de renvoi de vérifier – est subordonnée à une condition de résidence sur le territoire national.