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Elections européennes
Le politologue Gérard Grunberg observe que la question européenne est en train de devenir un enjeu politique majeur dans un paysage politique en pleine transformation
18-04-2013


Le 18 avril 2013, Gérard Grunberg, chercheur associé au Centre d’études européennes de Sciences Po et co-fondateur du site Telos, était l’invité de l’asbl Altrimenti Culture pour une conférence portant sur la déstabilisation des systèmes politiques nationaux en Europe.

"Ce qui est en train de changer, c’est que les peuples sont désormais de la partie, et que les élites ne savent plus comment s’y prendre"

Le politologue, qui a été conseiller technique au cabinet de Michel Rocard de 1988 à 1991, lorsque ce dernier était Premier ministre, part du constat que la construction européenne est devenue, depuis quelques années et dans un nombre croissant de pays, un véritable enjeu de politique nationale. "Ce qui est en train de changer, c’est que les peuples sont désormais de la partie, et que les élites ne savent plus comment s’y prendre", explique-t-il en effet.Gérard Grunberg

Longtemps, le fonctionnement politique s’est organisé dans les différents pays européens autour d’une opposition droite / gauche, un paysage dans lequel les principaux partis étaient plutôt favorables à la construction européenne, ce qui l’a d’ailleurs rendue possible.

Cette structuration du paysage se faisait selon des lignes de clivage à la fois idéologiques et sociologiques, en fonction notamment de la relation aux religions, ou de la relation aux classes sociales. Ce qui est resté vrai dans les années 1960-1970’.

A partir des années 1970’, ce paysage a commencé à se transformer avec d’une part l’affaissement des mouvements communistes, et d’autre part une prise de pouvoir des classes moyennes salariées dans les partis socialistes, qui se sont ainsi embourgeoisés.

La fin des années 1980’ et le début des années 1990’ ont, elles, été marquées par la naissance de partis populistes qui se sont développés la plupart du temps sur le thème de la xénophobie, le lien entre hostilité à l’immigration et hostilité à l’Europe s’étant établi rapidement.

Au fil de cette évolution, les systèmes politiques n’ont plus été structurés exclusivement autour du clivage gauche / droite, mais aussi autour d’un clivage haut / bas, autrement dit élites / classes populaires, ces dernières ayant vu leur hostilité aux élites évoluer vers une hostilité à la construction européenne.

Les grands partis de gouvernement, qui ont besoin du soutien des classes populaires, se sont alors trouvés confrontés à une grande difficulté dans la mesure où il est devenu dangereux de revendiquer la cause européenne d’un point de vue de politique intérieur. Ce qu’ont montré les référendums de 1992 et 2005. Or, pendant qu’ils ne parlaient pas de la question européenne, les partis populistes se sont emparés du sujet, faisant tout pour faire de la construction européenne un thème important de leur discours, et, partant, un véritable enjeu politique.

Avec la crise, on en arrive à un moment charnière où la question européenne va devenir une question centrale du débat politique national

Avec la crise, la situation devient très dangereuse, estime Gérard Grunberg. Les partis de gouvernement sont en effet acculés à la mise en œuvre de politiques anti-populaires sur lesquelles ils se sont engagés au niveau européen. Ces politiques de consolidation provoquent une certaine rébellion dans une partie de la population, tandis qu’il est facile d’en arriver à penser que la faute revient à l’Europe. Or, note Gérard Grunberg, les partis de gouvernement n’ont pas forcément le courage de défendre des consolidations parfois nécessaires. Ce qui ne fait que donner du grain à moudre aux partis populistes qui mènent campagne contre la poursuite de la construction européenne et, plus récemment, contre l’euro.

Gérard Grunberg a fait un tour rapide de ces partis populistes en plein essor, que ce soit en Autriche, où le FPÖ est crédité dans les sondages de 27 % d’intention de vote pour les prochaines élections, ou au Danemark ou le parti du peuple marque des points et pourrait atteindre 18 %, tandis que les Vrais finlandais ont obtenu 19 % aux dernières élections, ou que le FN a obtenu près de 20 % aux dernières élections françaises, les partis de l’extrême gauche française affichant par ailleurs une radicalisation anti-européenne. En Allemagne, Die Linke a fait un score non négligeable, et pour ce qui est du tout nouveau parti anti-euro, il risquerait de changer la donne s’il devait entrer au parlement. En Grèce, l’extrême gauche a atteint 17 %, tandis que le parti néo-nazi Aube dorée a connu une poussée fulgurante. En Hongrie, le parti d’extrêm droite Jobbik a recueilli 17 % des voix aux dernières élections, tandis qu’au Royaume-Uni, le parti Ukip frise les 30 % d’après les sondages.

On en arrive donc à un moment charnière où la question européenne va devenir une question centrale du débat politique national, et Gérard Grunberg est de ce point de vue très curieux de voir comment va se dérouler la campagne pour les élections européennes de 2014. Car beaucoup de ces partis populistes vont se saisir de l’occasion pour en faire une sorte de référendum populaire pour ou contre l’Europe ou l’euro. Face à eux, les partis pro-européens n’arrivent pas à trouver de thématiques susceptibles de mobiliser pour faire face à ces adversaires de la construction européenne.

Le fonctionnement des systèmes nationaux fragilisé par le double clivage gauche / droite et Nation / Europe

Le politologue observe désormais un double clivage : d’une part l’opposition gauche / droite traditionnelle persiste et, certes affaiblie, reste structurante, tandis que d’autre part un nouveau clivage Europe / Nation oppose les partis de gouvernement aux partis non gouvernementaux. A ses yeux, c’est ce double clivage qui fragilise le fonctionnement des systèmes nationaux.

En témoigne le fait que la montée des partis populistes a été liée dans certains pays à des alliances gauche / droite pour constituer des gouvernements, ce qu’il a observé en Autriche ou en Finlande par exemple, le cas italien étant par ailleurs symptomatique de la crise du politique qui touche l’Europe, puisqu’on en arrive à ne plus savoir qui peut gouverner avec qui.

Les partis pro-européens se retrouvent pris dans cette contradiction qui voit le clivage gauche / droite être structurant et permettre de faire le lien entre élites et classes populaires et d’autre part la question européenne séparer les élites des classes populaires. Gérard Grunberg s’appuie sur l’exemple français, où le président oscille entre assumer une politique d’austérité et défendre son contraire, le risque étant qu’il en reste à une politique de demi-mesure en pensant ne pas avoir le soutien de la base pour assumer une politique européenne, tout en rejetant, par facilité, la faute sur l’Allemagne…

Ainsi, face aux "partis pro-européens qui ont peur de leur propre peur", les partis anti-européens appellent tous au référendum, et les premiers, qui tentent à tout prix d’éviter des référendums sur la question européenne qu’ils risqueraient de perdre, sont donc sur la défensive.

Comme il n’y aucune certitude sur une sortie rapide de crise, Gérard Grunberg juge ce moment de tournant inquiétant. "Le projet européen s’en sortira, mais avec une marge d’incertitude : on ne pas totalement exclure que l’aventure de l’euro se solde par un échec", estime-t-il en effet. Car il observe que les partis gouvernementaux n’ont ni la base – ou tout au moins pensent ne pas l’avoir -, ni le courage pour défendre le projet européen, tandis que la crise est un terrain fertile pour que fleurisse encore l’impression que c’est la faute de l’Europe. Ce que craint le politologue, c’est que les gouvernements cèdent, manquent de courage et ne tiennent plus leurs engagements européens. Auquel cas, beaucoup reposerait sur l’Allemagne, juge-t-il, ne sachant pas jusqu’où elle l’accepterait de la part de ses partenaires.

Il est ressorti de la discussion qui a suivi que les élections européennes de 2014, contrairement aux précédentes, qui n’ont jamais traité d’Europe, vont avoir la question européenne comme enjeu majeur. Le débat qui en résultera va obliger les partis pro-européens à étayer leurs arguments de défense du projet européen, notamment sur le plan économique. Mais ce ne sera pas chose facile, car, déplore Gérard Grunberg, les hommes politiques européens n’ont pas de projet politique européen sur lequel ils pourraient expliquer, proposer et mobiliser les populations.