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Une question préjudicielle posée par la Cour administrative luxembourgeoise dans une affaire de regroupement familial est l’occasion pour la CJUE de préciser l’interprétation de l’article 20 du TFUE qui porte sur la citoyenneté européenne
08-05-2013


M. Kreshnik Ymeraga, originaire du Kosovo, est arrivé au Luxembourg à l’âge de 15 ans pour habiter chez son oncle de nationalité luxembourgeoise, qui devint son tuteur légal. M. Kreshnik a obtenu la nationalité luxembourgeoise en 2009. Il travaille au Luxembourg et n’a jamais fait usage de son droit à la libre circulation en tant que citoyen de l’Union. Ses parents et ses frères sont arrivés successivement au Luxembourg (entre 2006 et 2008) et ont demandé à y séjourner au titre du regroupement familial. Leurs demandes ayant été rejetées par les autorités luxembourgeoises, ils ont saisi la justice luxembourgeoise.CJUE

La Cour administrative luxembourgeoise, saisie de ce litige, considère que la question qui se pose en l’espèce est celle de savoir si la citoyenneté de l’Union, telle que définie dans l’article 20 TFUE, et, éventuellement, certaines dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne, peuvent permettre d’octroyer aux membres de la famille de M. Kreshnik Ymeraga un droit au regroupement familial au Luxembourg.

La juridiction nationale considère en effet que la directive 2003/86/CE sur le regroupement familial et la directive 2004/38/CE relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres ne sont pas applicables au cas de M. Kreshnik Ymeraga.

La Cour administrative estimait que la question était de savoir si l’article 20 TFUE et, éventuellement, certaines dispositions de la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne peuvent permettre d’octroyer aux membres de la famille de M. Kreshnik Ymeraga un droit au regroupement familial au Luxembourg.

La question préjudicielle qui a été adressée à la CJUE était donc la suivante :

"Dans quelle mesure la qualité de citoyen de l’Union et le droit de séjour afférent dans le pays dont il a la nationalité tels que prévus par l’article 20 TFUE ensemble [avec] les droits, garanties et obligations prévus dans la Charte [...], dont notamment et au besoin […] les articles 20, 21, 24, 33, et 34 [de celle-ci], octroient-ils un droit au regroupement familial dans le chef du regroupant, citoyen [de l’Union], entendant voir opérer autour de lui dans son pays de résidence dont il a la nationalité, le regroupement de ses père et mère et de deux de ses frères, tous ressortissants d’un pays tiers, dans le cas de non-circulation et de non-séjour du regroupant dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité?"

Les grandes lignes de l’arrêt de la Cour

Dans son arrêt rendu le 8 mai 2013, la CJUE confirme tout d’abord que les directives 2003/86 et 2004/38 ne s’appliquent pas dans cette affaire.

En effet la directive de 2003 sur le regroupement familial stipule bien qu’elle ne s’applique pas aux membres de la famille d’un citoyen de l’UE.

Quant à la directive de 2004 relative à la liberté de circuler et de séjourner sur le territoire des Etats membres, la CJUE rappelle qu’elle s’applique "à tout citoyen de l’Union qui se rend ou séjourne dans un État membre autre que celui dont il a la nationalité, ainsi qu’aux membres de sa famille, tels que définis à l’article 2, point 2, de la même directive, qui l’accompagnent ou le rejoignent". Or, comme elle l’a déjà jugé notamment dans l’affaire Dereci (C-256/11), un citoyen de l’UE n’ayant jamais fait usage de son droit de libre circulation et qui a toujours séjourné dans un État membre dont il possède la nationalité ne relève pas de la notion de "bénéficiaire", de sorte que la directive 2004/38 ne lui est pas applicable. En conséquence, la directive n’est pas non plus applicable aux membres de sa famille puisqu’il s’agit d’un droit dérivé.

Ensuite, la CJUE observe que les dispositions du traité concernant la citoyenneté l’UE, précisées dans l’article 20 TFUE, ne confèrent aucun droit autonome aux ressortissants de pays tiers, ainsi qu’elle l’a déjà jugé dans l’affaire Iida (C‑40/11). Les éventuels droits conférés à des ressortissants de pays tiers au titre de cet article sont en effet des droits dérivés de l’exercice de la liberté de circulation par un citoyen de l’UE, ainsi, ces droits dérivés sont fondés sur le constat qu’en ne les reconnaissant pas, on porte atteinte à la liberté de circulation du citoyen de l’Union en le dissuadant d’exercer ses droits de circuler et ou de séjourner dans un autre pays de l’UE. Or, dans le cas sur lequel elle a été saisie, le seul élément qui justifierait l’octroi d’un droit de séjour aux membres de la famille du citoyen concerné est la volonté de M. Kreshnik Ymeraga de voir opérer, dans son État membre de résidence dont il a la nationalité, le regroupement avec lesdits membres, ce qui, du point de vue de la CJUE, est insuffisant pour considérer que le refus d’un tel droit de séjour pourra avoir pour effet de priver M. Kreshnik Ymeraga de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union.

Pour ce qui est de la Charte des droits fondamentaux, la CJUE observe aussi qu’elle s’adresse aux Etats membres lorsqu’ils mettent en œuvre le droit de l’Union. Et la Cour ne peut donc interpréter le droit de l’Union à la lumière de la Charte que dans les limites de ces compétences. Dans le cas de M. Ymeraga et de sa famille, la Cour a donc dû déterminer si le refus opposé par les autorités luxembourgeoises à leurs demandes relevait bien de la mise en œuvre du droit de l’Union. Or, si la CJUE reconnaît que la loi sur laquelle ce refus est fondée vise bien à mettre en œuvre le droit de l’Union, elle considère que la situation de M. Ymeraga et de sa famille n’est pas régie par le droit de l’Union dans la mesure où ne s’appliquent ni la directive 2004/38, ni la directive 2003/86. En effet, le refus d’accorder un droit de séjour aux membres de la famille de M. Kreshnik Ymeraga n’aurait pas pour effet de priver ce dernier de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union, note la Cour. Dans ces conditions, le refus des autorités luxembourgeoises d’accorder aux membres de la famille de M. Kreshnik Ymeraga un droit de séjour en tant que membres de la famille d’un citoyen de l’Union ne relève pas de la mise en œuvre du droit de l’Union au sens de l’article 51 de la Charte, de sorte que la conformité de ce refus aux droits fondamentaux ne saurait être examinée au regard des droits institués par cette dernière.

La CJUE précise toutefois que cette constatation ne préjuge pas de la question de savoir si, sur le fondement d’un examen à la lumière des dispositions de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales, dont tous les États membres sont parties, un droit de séjour ne saurait être refusé aux ressortissants de pays tiers concernés dans le cadre du litige.

En conclusion, la Cour arrête que l’article 20 TFUE doit être interprété en ce sens qu’il ne s’oppose pas à ce qu’un État membre refuse à un ressortissant d’un pays tiers le séjour sur son territoire, alors que ce ressortissant veut résider avec un membre de sa famille qui est citoyen de l’Union européenne demeurant dans cet État membre dont il possède la nationalité et qui n’a jamais fait usage de son droit de libre circulation en tant que citoyen de l’Union, pour autant qu’un tel refus ne comporte pas, pour le citoyen de l’Union concerné, la privation de la jouissance effective de l’essentiel des droits conférés par le statut de citoyen de l’Union.