Le 11 juin 2013, la Commission européenne a publié un train de mesures qu’elle voudrait voir prises "pour accélérer la réforme du système européen de contrôle de la circulation aérienne".
La Commission craint, vues les prévisions selon lesquelles le nombre de vols devrait augmenter de 50 % au cours des 10 à 20 prochaines années, une pénurie de capacités dans le domaine du contrôle aérien. Selon elle, "la fragmentation de l’espace aérien européen entraîne chaque année des surcoûts de l’ordre de 5 milliards d’euros pour les compagnies aériennes et leurs clients".
En Europe, quelque 440 aéroports de l’Union européenne accueillent environ 800 millions de passagers par an. Chaque jour, 27 000 vols contrôlés se croisent dans le ciel européen, soit 9 millions par an. 80 % de ces vols sont exploités au sein de l’Union européenne. Le trafic aérien devrait, dans des conditions économiques normales, augmenter de 3 % de croissance par an, le nombre de vols augmenter de 50 % au cours des 10 à 20 prochaines années.
Or, les systèmes de gestion du trafic aérien sont selon elle fragmentés et inefficaces, et « si rien n’est fait, ce sera le chaos ». Il y a 27 systèmes nationaux de contrôle de la circulation aérienne, qui fournissent des services à partir de quelque 60 centres de contrôle aérien, tandis que l’espace aérien est divisé en plus de 650 secteurs. L’espace aérien est ainsi organisé autour des frontières nationales et c’est pourquoi il arrive souvent que les vols ne puissent pas emprunter un itinéraire direct. En Europe, un avion parcourt en moyenne 42 km de plus qu’absolument nécessaire à cause de la fragmentation de l’espace aérien, ce qui entraîne un allongement de la durée de vol, des retards, ainsi qu’une consommation de carburant et des émissions de CO2 supplémentaires. De plus, dit la Commission, "les technologies actuelles de gestion du trafic aérien datent des années 1950 et sont aujourd’hui dépassées". C’est tout cela qui cause les surcoûts de 5 milliards d’euros par an qu’elle critique.
La Commission renvoie ensuite, comme elle le fait de plus en plus souvent, à une comparaison avec le système des Etats-Unis, qui "contrôlent un espace aérien de même taille, avec un trafic plus dense, pour un coût presque deux fois moins élevé". La Commission s’explique : "Le système de gestion du trafic aérien des États-Unis est deux fois plus efficace que celui de l’UE; il gère un nombre deux fois plus élevé de vols pour un coût similaire, à partir de centres de contrôle trois fois moins nombreux."
Siim Kallas, le commissaire européen chargé des transports, s’est plaint des retards pris sur le chemin vers "un ciel unique européen". Il veut donc maintenant "resserrer les boulons du système" et "stimuler la compétitivité du secteur européen de l’aviation", mais aussi "créer davantage d’emplois dans les compagnies aériennes et les aéroports."
Pour arriver à ses fins, la Commission propose d’actualiser les quatre règlements créant le ciel unique européen (SES, pour Single European Sky) et de modifier les règles auxquelles est soumise l’Agence européenne de la sécurité aérienne (AESA). Cet ensemble de mesures porte le nom de"paquet SES2+", "ciel unique européen 2+" ou encore "CUE2+".
Les services essentiels de contrôle de la circulation aérienne sont pour la Commission "des monopoles naturels" et elle ne veut pas y toucher. Ce sont les services d’appui qui sont en cause parce qu’ils constituent selon la Commission "le principal facteur de coût de la gestion du trafic aérien" et qu’ils "peuvent être fournis par des opérateurs monopolistiques sans qu’une évaluation appropriée des coûts et des avantages ait été réalisée". Ces services d’appui, ce sont les services météorologiques, les services d’information aéronautique, de communication, de navigation ou de surveillance. Ce sont ces services qui devraient selon la Commission "être séparés pour pouvoir faire l’objet d’appels d’offres ouverts et transparents, conformément aux règles habituellement applicables à la passation de marchés". Résultat escompté d’une telle opération qui se passerait selon les "règles habituellement applicables aux marchés publics" : "des économies de l’ordre de 20 %."
C’est ce point qui a entraîné un mouvement de grève des contrôleurs aériens le jour même en Europe, dont les syndicats ont exprimé des craintes pour leur emploi.
La France et l’Allemagne se sont montrées peu enthousiastes vis-à-vis de la réforme. Frédéric Cuvillier, le ministre français des Transports, a déclaré sur RTL qu’avec son homologue allemand, Peter Ramsauer, il avait remis un mémorandum au commissaire Siim Kallas "pour lui demander de surseoir à ce type de libéralisation". "Il y a un projet de la Commission de séparation des fonctions de régulation et de contrôle (...) qui est de nature à remettre en cause ce qui fait notre particularisme et notre efficacité, et qui est vivement contesté par les syndicats", a-t-il poursuivi, cité par l’AFP. Et dans un communiqué, il a déclaré de façon plus directe que "la France ne soutient pas cette nouvelle initiative de la Commission européenne". Dans ce communiqué, on lit la cause de ce refus : "Il s’agit en effet d’un projet conduisant à éclater les fonctions qui sont assurées en France par un seul et même service de l’Etat, la Direction générale de l’aviation civile (fonctions de régulation, de surveillance et de prestations de service navigation aérienne) et à mettre en concurrence les fonctions support du contrôle aérien". Frédéric Cuvillier souligne que "l’aviation civile est en train d’appliquer un règlement créant un ciel unique à l’échelle européenne et instituant une coordination entre les différents services d’aviation civile, règlement qui date seulement de 2009, et qui n’a pas encore porté tous ses fruits en terme d'efficacité du système pour les usagers."
Le commissaire Siim Kallas a minimisé ces critiques: "Les ministres sont d'accord sur l'objectif. Ils ne font pas objection au CUE, mais sur la manière de le faire, parfois à cause de différences historiques. » Il a aussi déclaré à l’attention des grévistes qu’il « ne s'agit pas de privatiser". Pour lui, il s’agit beaucoup plus de nouvelles opportunités d'affaires et de recours à de nouvelles technologies.
La Commission a expliqué que "les audits réalisés par l’AESA ont mis au jour d’importantes faiblesses dans la supervision des organisations de contrôle de la circulation aérienne dans les États membres". C’est pourquoi, la Commission "propose de séparer complètement, sur les plans organisationnel et budgétaire, les autorités nationales de surveillance des organisations de contrôle de la circulation aérienne qu’elles supervisent, tout en garantissant que les premières disposent de ressources suffisantes pour mener leurs tâches à bien". Elle remarque à ce sujet qu’actuellement, "de nombreuses autorités de surveillance manquent de ressources et sont tributaires du soutien des entités qu’elles sont censées superviser".
La Commission veut ensuite attribuer aux compagnies aériennes un nouveau rôle, qui consisterait à ce qu’elles marquent leur accord sur les plans d’investissement des organisations de contrôle de la circulation aérienne, l’idée étant que cela aurait pour effet que "ces plans soient mieux ciblés sur la satisfaction des besoins des clients".
La réforme du système européen de gestion du trafic aérien est motivée par des objectifs de performance dans quatre grands domaines: la sécurité, l’efficacité économique, la capacité et l’environnement. Ces objectifs sont au cœur du processus de réforme, car ils exigent des organisations de contrôle de la circulation aérienne qu’elles procèdent à des changements et fournissent des services de meilleure qualité à un moindre coût.
Ces dernières années, les résultats obtenus au regard des objectifs de performance sont restés bien en deçà du niveau global d’ambition. Cette situation s’explique par le fait que, dans le système actuel, les États membres ont le dernier mot sur les objectifs et l’adoption de mesures correctives dans les cas où les objectifs ne sont pas atteints.
La proposition de la Commission veut renforcer le système de performance, en rendant la fixation des objectifs plus indépendante et plus transparente et en augmentant les possibilités de faire respecter les objectifs fixés. Elle veut ainsi permettre à la Commission de jouer un rôle accru dans la définition d’objectifs ambitieux. Parallèlement, elle envisage de renforcer l’indépendance de l’organe d’évaluation des performances – en tant que principal conseiller technique – et permettra d’infliger des sanctions lorsque les objectifs ne sont pas atteints.
Un autre aspect important est que la Commission veut remplacer "l’actuelle mosaïque de 27 blocs nationaux par un réseau de blocs régionaux plus vastes", des blocs dits d’espace aérien fonctionnels ou FAB, afin de gagner en efficience, de diminuer les coûts et de réduire les émissions.
Les États membres auraient dû créer ces FAB jusqu’en décembre 2012, mais, constate la Commission, "aucun des neuf FAB qui ont été établis n’est totalement opérationnel". Elle envisage donc "d’ouvrir des procédures d’infraction à l’encontre de tous les États membres en ce qui concerne les FAB, notamment dans les cas où les réformes ne progresseraient pas dans les prochains mois".
Elle admet toutefois que ces FAB "manquaient de souplesse" et propose donc "de faire en sorte que la coopération entre les prestataires de services dans le cadre des FAB puisse s’établir de manière plus flexible, pour leur permettre de créer des partenariats industriels et de collaborer avec un éventail élargi de partenaires en vue d’être plus performants".
En outre, le rôle du gestionnaire de réseau (Eurocontrol) sera renforcé, afin qu’il puisse fournir des services centralisés en Europe de manière plus efficiente. Ce renforcement permettra notamment de raccourcir les trajets, ce qui, à son tour, entraînera une diminution de la consommation de carburant et des émissions globales de polluants dans l’air.
Les propositions de la Commission doivent être approuvées par les États membres et le Parlement pour acquérir force de loi.