Principaux portails publics  |     | 

Economie, finances et monnaie - Emploi et politique sociale
Heiner Flassbeck a essayé de répondre à la question : "Comment venir à l’aide de nos économies en perdition ?"
27-06-2013


Heiner FlassbeckComment venir à l’aide de nos économies en perdition ? C’est la question à laquelle a essayé de répondre l’économiste Heiner Flassbeck, invité le 27 juin 2013 à la Maison de l'Europe par l’Institut d'Etudes européennes et internationales du Luxembourg et la Représentation de la Commission au Luxembourg avant de signer des exemplaires de son nouvel ouvrage, “Handelt jetzt! Das globale Manifest zur Rettung der Wirtschaft”, qu’il a co-signé avec ses collègues Paul Davidson, James K. Galbraith, Richard Koo et Jayati Ghosh.

Dans un premier temps, Heiner Flassbeck, qui avait déjà donné une conférence remarquée en février 2012 a montré devant un parterre où se pressaient un ministre, des députés, des économistes, des statisticiens, des diplomates, des banquiers, des journalistes et des étudiants comment hausse des salaires et hausse du chômage tout comme baisse des salaires et baisse du chômage sont allées de pair depuis les années 70 du 20e siècle, époque à laquelle il situe le début de la "contre-révolution néolibérale". Mais avec la crise de 2008, cette évolution parallèle s’achève brutalement, et surgit alors ce qu’il appelle "le grand paradoxe" : les salaires baissent, et pourtant le chômage augmente massivement. Il y a rupture entre le prix du travail et le taux d’emploi. Le marché du travail révèle ce qu’il est : une partie de l’économie, et pas un marché particulier influencé par certains facteurs économiques seulement.

Tout cela se passe dans un contexte où les fonds disponibles sont d’abord dépensés pour le rachat d’actifs surévalués, qui sont ensuite, avec la crise qui en résulte, sortis du marché des crédits, en parallèle avec des opérations de sauvetage de grandes banques pour stabiliser les marchés. Bref, une situation qui montre selon Heiner Flassbeck que les gouvernements doivent intervenir alors que les rapports de force et de  pouvoir se sont déplacés en faveur d’employeurs qui déstabilisent par leur manière d’agir l’économie.

Mais, constate Heiner Flassbeck, "actuellement, l’UE n’arrive pas à sortir de la crise". Elle pourrait avoir recours à deux moyens traditionnels : la politique budgétaire, avec des budgets de relance, mais cela signifie faire de la dette publique, ce qui est entretemps devenu un tabou, et la politique monétaire, qui, dans un environnement d’union monétaire, essaie désespérément de sortir l’économie réelle de la récession, mais sans y arriver. La même chose vaut pour les USA, où la Federal Bank ne réussit pas non plus à relancer durablement la machine économique.

La crise a mené selon Heiner Flassbeck à un changement dramatique sur le marché du travail. Les citoyens ne s’attendent plus à ce que la situation économique générale et leur situation particulière change, ce qui conduit à des comportements qui ne stimulent pas l’économie. Par ailleurs, miser fortement sur les exportations, comme le croient certains pays, s’avère aussi ne pas être le seul moyen de s’en sortir. Car l’UE est pour Heiner Flassbeck une sorte de remembrement de petites économies ouvertes transformées ainsi en une grande économie close où les exportations ne représentent plus que 6 % de l’activité économique, alors que la consommation intérieure représente 80 % du tout. Or, la consommation a besoin, pour être relancée, d’être basée sur des attentes positives en termes de revenu, et ces attentes positives n’existent pas. Cela, peu de gens l’ont compris, selon le conférencier.

L’antidote serait de créer des attentes de revenu positives. Ce qui veut dire concrètement: augmenter les salaires. Or, constate Heiner Flassbeck, on pratique actuellement exactement le contraire, puisqu’on baisse les salaires et l’on va vers la déflation. La Grèce, "le meilleur ajusteur du moment", tout comme le Portugal et l’Espagne, mais aussi l’Italie, vont avec leurs politiques de réduction des salaires vers une récession profonde, puisque la destruction de la demande intérieure détruit les emplois. La France est aussi en récession, mais nettement moins, parce qu’elle se refuse à pratiquer une politique de réduction salariale. Si la France se mettait maintenant à faire ce que lui demande surtout l’Allemagne, ce serait "la grande dépression", et "François Hollande serait chassé de l’Elysée". Pour Heiner Flassbeck, la seule solution consiste à ce que l’Allemagne change de politique, notamment en matière de salaires.

L’économiste a ensuite montré que l’écart comparé entre les salaires nominaux et la productivité nominale était plus ou moins identique entre la France et l’Allemagne. La différence par contre est qu’en Allemagne, les salaires ont évolué de manière nettement moins rapide que la productivité, alors qu’en France le développement des salaires nominaux et de la productivité nominale a été plus ou moins parallèle.

Quant à la phobie de la dette, il a lancé la phrase suivante : "Il n’y a pas trop de dette dans le monde, mais trop d’épargne." Et il a retourné l’argument de la mauvaise dette dans le sens que, là où il y a de la mauvaise dette, il y a aussi de la mauvaise épargne, car à la fin, la somme globale entre dettes et épargnes est équivalente à zéro. Et c’est à cette intersection que se situe pour Heiner Flassbeck la "contradiction allemande". Dans les années 50 à 70, les entreprises allemandes, en train de se (re)construire, étaient les plus grands débiteurs, alors qu’en 2013, elles sont les plus grands créditeurs. L’Allemagne exporte entretemps 180 milliards d’euros d’épargnes, pas pour que cet argent soit investi, mais pour qu’il permette, à travers des crédits à la consommation, l’achat de produits, entre autres allemands. Mais l’exemple allemand montre selon l’économiste que l’on ne peut pas exporter ses propres problèmes en exportant son épargne. Et cela est encore moins le cas quand on en vient par après à qualifier le débiteur de fautif alors que c’est lui qui a sauvé le créditeur, et qu’on lui demande ensuite de ne plus faire de dettes.

Tous ces paradoxes montrent selon Heiner Flassbeck qu’il est temps de penser à un autre modèle économique. Un premier pas serait de taxer plus fortement les entreprises, car cela les obligerait à investir. Il faudrait ensuite, pour stimuler la croissance, réorganiser la redistribution et mettre à disposition de la population assez d’argent pour consommer. Cela passerait aussi par une augmentation des salaires. Par ailleurs, les taux d’intérêts doivent être plus bas que les taux de croissance, ce qui devrait permettre de réduire de façon moins dramatique la dette.  

Au cours de la discussion, Heiner Flassbeck a expliqué que la Chine avait mieux compris ces mécanismes que l’UE, dans la mesure où elle investit intensément en même temps qu’elle augmente les salaires. Par ailleurs, il est d’avis que les banques centrales ont échoué à faire comprendre qu’il y a trop d’épargne en rechignant à imposer une politique du taux zéro. Avec d’un côté des salaires en baisse et de l’autre côté d’immenses liquidités sur lesquelles les entreprises restent assises, il y a trop d’argent non investi. En même temps, l’on réévalue certains risques sous l’angle de la nouvelle phobie de la dette publique, de sorte qu’un pays en difficultés voit très vite les taux d’intérêts de ses obligations augmenter de façon telle qu’il s’en trouve handicapé. Et quand il s’agit de sortir de l’impasse, le FMI apparaît et propose immédiatement ses solutions de type néolibéral habituelles. Tout cela montre pour Heiner Flassbeck qu’un autre système global est devenu nécessaire. Dans ce système, les entreprises devraient redevenir les meilleurs débiteurs, ce qui maintiendrait la machine économique en marche. Bref, il s’agit avant tout de "ne pas jouer avec des actifs existants aux jeux de casino boursiers, mais d’en créer des nouveaux".

Heiner Flassbeck sur le Luxembourg

tageblattEn marge de la conférence, Heiner Flassbeck a donné une interview au journaliste Christian Muller du Tageblatt. Il y parle aussi du Luxembourg. Il estime ainsi que les salaires au Luxembourg sont trop élevés, notamment le coût salarial unitaire, dont il dit qu’il "a augmenté plus rapidement au Luxembourg qu’en Grèce". Si le Luxembourg a survécu, cela est dû "à sa situation économique particulière", notamment "au poids des banques". Mais cela ne veut pas dire pour lui qu’il faudrait baisser les salaires : "Je suis par principe contre des baisses de salaires. Cela ne fonctionne pas. Cela ne fait que créer du chômage. Les salaires en Allemagne doivent augmenter plus rapidement que les salaires au Luxembourg", conclut-il. Comme la balance des paiements du Luxembourg est excédentaire, il pourrait par ailleurs pratiquer des investissements dans des pays qui ont des problèmes, ce qu’il assortit d’une proposition originale : "Le Luxembourg pourrait par exemple financer tout seul un TGV entre sa capitale et Bruxelles." Quant à la gouvernance européenne et mondiale, Heiner Flassbeck penche en faveur de gouvernements nationaux qui utilisent à fond le potentiel de coordination globale dans une économie globale.