Principaux portails publics  |     | 

Statistiques - Emploi et politique sociale
Analysant l’emploi à bas salaire dans l’Union européenne, le Statec constate qu’il est bien "plus un indicateur d’inégalité dans la distribution des salaires qu’un indicateur de privation et de précarité"
14-06-2013


STATECDans le numéro 66/2011 de sa série "Economie et statistiques", le Statec présente un article rédigé par Jean Ries sur l'emploi à bas salaire en Europe. La particularité de l’article réside dans le recours aux données harmonisées, pour les salaires notamment, publiées dans le cadre de l’Enquête européenne sur la structure des salaires  qui couvre les entreprises de plus de dix salariés et dont sont exclus les secteurs de l’agriculture, pêche et forêt, de l’administration publique et des organisations extra-territoriales.

Jean Ries constate que quand on parle de coût du travail et de salaire, les employeurs ont tendance à se concentrer sur le coût unitaire de travail et les taux de change effectifs nominaux. En s’intéressant à l’emploi à bas salaires, ainsi qu’aux concepts de salaire suffisant ("adequate wages") et de travailleur pauvre, il adopte une perspective "plus proche de celle des travailleurs".

Jean Ries constate ensuite que l’emploi à bas salaire est un indicateur "pas toujours bien compris". "Il n’est pas clair si une haute part de travailleurs à bas salaires est bénéfique économiquement et socialement", dit-il avant de citer l’économiste américain Richard B. Freeman qui constatait en 1998 : "Nous nous inquiétons de l’emploi à bas salaire parce que cela affecte le bien-être social général. D’une part, comme le souligne la gauche, l’emploi à bas salaire est potentiellement un contributeur majeur à la pauvreté et aux inégalités économiques, qui souvent apporte division sociale et exclusion. D’autre part, comme le souligne la droite, le manque d’emploi à bas salaire est un obstacle potentiel au plein emploi."
Cela rend d’autant plus intéressant d’analyser le lien entre l’emploi à bas salaire et les indicateurs standards du marché du travail, tels les taux d’emploi et de chômage, explique Jean Ries. "Il est parfois dit que l’emploi à bas salaire est un tremplin vers l’emploi à haut salaire. Si c’est vrai, l’emploi à bas salaire n’est pas un problème majeur. Mais si c’est un statut persistant, la réponse politique doit être différente."

Un travailleur sur six concerné

L’emploi à bas salaire peut être défini par le nombre de personnes percevant une somme inférieure à un certain seuil, comme le seuil de pauvreté. Pour faire des comparaisons européennes dans le temps, Jean Ries retient le seuil d’un salaire horaire égal à deux tiers du salaire horaire moyen. Dans les 27 Etats membres, près d’un ouvrier sur six (17 %) perçoit un bas salaire. La part de l’emploi à bas salaire varie toutefois fortement d’un pays à l’autre. En Suède, Finlande, France, Belgique et Danemark, la proportion de travailleurs à bas salaire est inférieure à 10 %. Elle se situe entre 12 et 16 %, en Italie, au Luxembourg, en Espagne, en Autriche et en Grèce. Elle dépasse les 20 % dans les autres pays dont la Romanie (26 %), la Lituanie (27 %) et la Lettonie (28 %).

Entre 2006 et 2010, on observe que ce taux est constant en Grande-Bretagne, à Chypre, en Irlande, au Luxembourg et dans les Pays-Bas. Dans dix pays, il a baissé (dont la  Belgique et la France) pendant qu’il a augmenté dans onze autres pays (la hausse la plus haute est observé à Malte avec + 4 points).

L’influence du niveau des salaires

Jean Ries constate que les pays avec les plus hauts salaires ont la plus faible prévalence sur l’emploi à bas salaire.  "La part d’emploi à bas salaire est parfois interprétée comme un indicateur de précarité et de  privation." "Néanmoins, si le seuil de bas salaire est défini en termes relatifs, cette interprétation n’est pas entièrement correcte", prévient-il. "En effet, une hausse générale des salaires ne se traduit pas automatiquement en une baisse de la part des bas salaires. S’ils augmentent, le salaire moyen augmente et le seuil de bas salaire également. Le résultat est que le nombre et la part de travailleurs à bas salaire ne baissent pas nécessairement." A l’inverse, une baisse de salaire ne se traduit pas nécessairement dans une plus haute incidence de l’emploi à bas salaire.

Les syndicats et les conventions collectives

Jean Ries inspecte ensuite l’influence des dispositifs institutionnels du marché du travail sur le taux d’emploi à bas salaire. Il souligne que "le travail à bas salaire est influencé par le pouvoir des syndicats, la force de couverture des conventions collectives et le degré de coordination et de centralisation dans les négociations salariales". "Des syndicats plus forts sont capables de négocier des accords salariaux plus solidaires. La solidarité joue alors entre les différents secteurs. Des gains de productivité peuvent être redistribués des secteurs les plus productifs vers les moins productifs", écrit-il. Quand les négociations sont menées avec des syndicats sectoriels, une haute couverture des conventions collectives est aussi capable de réduire l’étendue de la discrimination et de l’inégalité pour les bas salaires.

Le pouvoir ou l’influence des syndicats peut être mesuré par le taux de syndicalisation, à savoir la part de salariés membres d’un syndicat. Dans le cas des Etats membres de l’UE, un faible taux de syndicalisation est généralement associé à une plus grande prévalence d’emploi à bas salaire. Néanmoins, la France fait figure d’exception, en affichant à la fois le plus bas taux de syndicalisation après l’Estonie, mais aussi une des plus faibles parts d’emploi à bas salaire (6 %). A l’inverse, Chypre, a une majorité de salariés syndiqués (54 %) mais un des plus hauts taux en Europe.

Jean Ries dit qu’il est nécessaire de compléter le taux de syndicalisation par d’autres indicateurs, tels la couverture des conventions collectives, le nombre de salariés bénéficiant de ces accords salariaux. La convention collective est un instrument qui permet de réduire la prévalence de l’emploi à bas salaire et réduit donc les inégalités salariales. Le degré de coordination des négociations salariales a un effet sur la prévalence de l’emploi à bas salaire. Cette prévalence décroît avec le niveau de coordination.

L’impact d’un salaire minimum

L’existence d’un salaire minimum, comme son niveau, peuvent avoir une influence sur la prévalence du travail à bas salaire. Un premier effet d’un salaire minimum est d’élever le niveau général en bas de la distribution. Les plus bas salaires sont déplacés vers le milieu de la distribution. Cela engendre une baisse de la prévalence. Mais il peut y avoir un effet inverse. Si un salaire minimum est introduit, les salaires situés au-dessus dans la distribution peuvent aussi augmenter. Ce serait fait pour garder le lien les rémunérations avec l’ancienneté et les compétences.

20 des 27 Etats membres de l’UE disposent d’un salaire minimum légal. Or, Jean Ries constate par ses calculs "une plus haute part de travailleurs à bas salaire dans les pays avec un salaire minimum que dans les autres". "Cela ne signifie pas qu’un salaire minimum favorise les inégalités et l’emploi à bas salaire" mais en regardant de plus près, il apparaît que les pays sans salaire minimum ont un plus haut degré de couverture des conventions collectives, avec une moyenne de 81 % (contre 63 % dans les pays avec un salaire minimum). De surcroît, la coordination des conventions collectives tend à être plus élevée dans les pays sans salaire minimum.

Mobilité sur l’échelle des salaires

L’emploi à bas salaire est problématique si c’est un statut permanent, mais pas s’il est un tremplin vers plus hauts salaires, répète Jean Ries avant d’étudier le lien entre emploi à bas salaire et mobilité sur l’échelle salariale. Il est possible de calculer la part de travailleurs qui partent du premier décile vers un décile plus élevé en l’espace d’un an. Comme dix pays ont un taux d’emploi bas salaire supérieur à 20 %, Jean Ries s’intéresse aussi à la répartition par quintile.

Dans les Etats membres, le taux de mobilité vers le haut, au départ du premier décile est de 32 %, constate Jean Ries. Ainsi, "fprès d’un travailleur sur trois qui était dans le premier décile une année donnée avait évolué vers un décile plus élevé l’année suivante". Les distributions de salaires les plus figées sont observables en Pologne et aux Pays-Bas avec respectivement 15 % et 17 %. La plus grande mobilité est enregistrée en Lituanie (51 %) et en Suède (46 %). Le Luxembourg est juste en dessous de la moyenne, avec près de 31 %.

Un travailleur sur quatre dans l’UE qui a un revenu dans le premier quintile est capable de s’élever l’année suivante. La plus faible mobilité dans ce cas là est observé en Roumanie (12 %) et aux Pays Bas (13 %). Les travailleurs en Suède (37 %) et en Lituanie (43 %) ont le plus de chances de progresser. De ces chiffres, l’auteur déduit que les pays avec les plus faibles taux d’emploi à bas salaire ont plus de mobilité", tout en signalant toutefois que "le lien est fragile".

Le taux de syndicalisation entraverait la mobilité

Le taux de syndicalisation et la couverture des conventions collectives, sont des facteurs importants d’emploi à bas salaire. A priori, leur impact sur la mobilité n’est pas clair, dit Jean Ries. D’une part, on peut arguer qu’une forte présence de syndicats, et une haute couverture des conventions collectives est susceptible de favoriser les conditions de travail et de donner de bonnes perspectives de carrières. Mais, d’autre part, les syndicats tendent à préférer les politiques et accords qui favorisent leurs membres.

L’auteur Jean Ries rappelle ses travaux sur la syndicalisation au Luxembourg parus en 2011 qui ont montré que dans le cas du Luxembourg, la syndicalisation est faible dans les premier et second déciles, en raison de l’effet dissuasif des frais à payer pour entrer dans le syndicat.
Donc, il n’est pas clair si une large couverture des conventions collectives a un impact positif ou négatif sur la mobilité sur l’échelle salariale. Il paraît y avoir une relation négative entre le taux de syndicalisation et la mobilité. Plus haut est le taux de syndicalisation, plus faible est la transition des premiers déciles et quintiles. La Suède a toutefois une position exceptionnelle en la matière avec un des plus forts taux de syndicalisation et en même temps un des plus hauts taux de transition.

La notion de salaire suffisant

Dans une deuxième partie de son article, Jean Ries prolonge son étude en intégrant la notion de "salaire suffisant". Pour ce faire, il utilise l’opinion des salariés sondé dans l’European Working Conditions Survey (EWCS).

En 2010, 41 % des salariés des Etats membres étaient d’accord pour dire qu’ils sont bien payés pour le travail qu’ils font. Le taux de satisfaction varie considérablement par pays, les plus hauts étant mesurés au Danemark (63 %), au Luxembourg (61 %), aux Pays-Bas (60 %), en Belgique (58 %), les plus faibles en Hongrie (17 %), en Lituanie (23 %) et au Portugal (24 %). Les quatre premiers sont ceux où le niveau de salaire général est élevé.  "Il semble qu’il y ait une corrélation fortement positive entre le niveau général des salaires et le taux de satisfaction", constate-t-il.

L’équité, mesurée par la prévalence de l’emploi à bas salaire, joue néanmoins aussi un rôle quand les travailleurs doivent décider s’ils sont bien payés. "Le niveau de satisfaction est généralement plus bas dans les pays au niveau plus élevé d’inégalités."

Les dispositifs institutionnels du marché du travail sont susceptibles d’influencer cette satisfaction. Le taux de syndicalisation et la couverture des conventions collectives ont un effet positif sur la satisfaction.

Par contre, dans les pays avec un salaire minimum, la part des salariés satisfaits est plus basse que dans les pays qui en sont dépourvus. "Ce constat pourrait paraître paradoxal au premier abord", dit Jean Ries. "Néanmoins, il a été démontré que les pays sans salaire minimum ont une plus grande couverture des conventions collectives. De plus, il y a un plus haut degré de coordination que dans les pays avec un salaire minimum."
Toutefois, plus le salaire minimum est proche du salaire moyen, plus les travailleurs se sentent satisfaits de leur salaire.

Une importante proportion de personnes percevant un bas salaire correspond à un risqué élevé de travailleurs pauvres

Jean Ries finit son travail par une recherche sur la corrélation entre travailleurs pauvres et emploi à bas salaire. Il commence par mettre en garde sur la différence qui sépare le travailleur pauvre et le détenteur d’un emploi à bas salaire. La définition du travailleur pauvre implique une dimension familiale puisque le risque de pauvreté est calculé en fonction des revenus et charges du ménage. Ainsi, les bas salaires ne sont pas le seul facteur du statut de travailleur pauvre. La précarité de l’emploi et la structure du ménage s’ajoutent à la faiblesse du salaire. Au niveau de l’UE, 8.9 % des travailleurs étaient exposés au risque de pauvreté en 2010, qui pouvaient donc être rangés dans la catégorie des travailleurs pauvres. Les plus bas niveaux furent observés en République tchèque  (3.9 %), Finlande (4 %) et Belgique (4.2 %), les plus hauts en Roumanie (19 %), Espagne (12.3 %) et Grèce (11.9 %). Jean Ries observe qu’une haute part de salariés à bas salaire correspond à un risqué élevé de travailleurs pauvres.