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La commissaire européenne Cecilia Malmström ne voit pas encore de raison de suspendre l’accord SWIFT, ce qui creuse désormais un fossé entre elle et une partie des eurodéputés
09-10-2013


Cecilia MalmströmLe 9 octobre 2013, en début de soirée, le Parlement européen a discuté des suites à donner aux révélations de l’informaticien américain, Edward Snowden, reprises dans la presse le 10 septembre 2013, selon lesquelles les USA auraient puisé secrètement dans la base de données SWIFT des données européennes, y compris à des fins qui n’ont rien à voir avec la lutte contre le financement du terrorisme. Soit une double violation du Traité sur le programme de surveillance du financement du terrorisme (TFTP).

La commissaire européenne en charge des Affaires intérieures, Cecilia Malmstrom est venue rendre compte des premiers résultats des consultations prévues dans le cadre du TFTP. Le 23 septembre 2013, lors d’une réunion avec les membres de la Commission LIBE, la commissaire avait fait savoir qu’elle envisageait une suspension du traité TFTP si les allégations relayées par la presse se confirmaient. Elle s’était alors dite franchement déçue des premières réponses fournies, en réponse à sa missive, par le sous-secrétaire d’Etat au Trésor, David Cohen.

Pour cette seconde rencontre sur le sujet avec les eurodéputés, Cecilia Malmström était cette fois rassurée. Sa première consultation, qui s’est tenue le 7 octobre 2013 à Bruxelles avec sous-secrétaire d’Etat  au Trésor américain, David Cohen, l’a convaincue. A l’issue d’"une discussion très longue et ouverte", elle a reçu oralement puis par écrit, la confirmation par David Cohen que depuis l’entrée en vigueur de l’accord TFTP, le gouvernement américain n’a pas collecté de données financières européennes dans le programme SWIFT. Elle s’est aussi assurée que les canaux par lesquels les Américains obtiennent des informations SWIFT sur des institutions bancaires extérieures à l’UE n’entrent pas en conflit avec l’accord TFTP.

"Nos contacts avec SWIFT et le gouvernement américain n’ont pas révélé de preuve que l’accord TFTP a été violé", de telle sorte qu’il n’y aurait pas lieu de suspendre l’accord, a déclaré Cecilia Malmström. Néanmoins, il reste des questions auxquelles apporter des réponses et "conclure les consultations reste au sommet de mon agenda", a déclaré la commissaire européenne, en introduction aux débats.

Les membres du Parti populaire européen se sont montrés d’accord avec la vision de la commissaire européenne. Pour l’Espagnol, Agustin Diaz de Mera, "on ne peut pas suspendre un accord seulement sur la base d'un doute" quand bien même celui-ci serait-il "raisonnable". "Il y a des préoccupations légitimes mais on ne lutte pas contre un risque en en créant un autre", a-t-il dit.  L’Allemand, Axel Voss, a pour sa part estimé qu’il ne serait de toute façon pas possible de suspendre l’accord SWIFT, tant que l’UE n’est pas en mesure de mener elle-même la lutte contre le financement du terrorisme.

Membre du groupe Conservateurs et réformistes européens (ECR), Timothy Kirkhope a ajouté sa voix à celle du PPE. Rappelant que des responsables de la Sûreté ont qualifié la publication de documents de la NSA par Edward Snowden de "la plus grande menace pour la sécurité de l’Occident dans l’histoire", il a estimé que la suspension de l’accord ne serait qu’un « nouveau cadeau" aux terroristes, ce qui serait "complètement ridicule".

"Nous n’avons plus aucune raison de faire confiance aux Américains", a déclaré l'eurodéputé libérale, Sophia in't Veld

Par contre, les groupes ADLE, Verts/ ALE, S&D et GUE/NGL, se sont montrés convaincus qu’il y avait lieu de suspendre l’accord SWIFT maintenant, ou au moins de lancer une enquête qui permette d’avoir des certitudes sur l’attitude des Etats-Unis.

"Si nous avions des preuves, nous ne devrions pas suspendre le traité mais le dénoncer", a déclaré l’eurodéputée S & D, Birgit Sippel, laquelle a notamment souligné l’ambiguïté du passage de la réponse fournie le 18 septembre 2013 par David Cohen à Cecilia Malmström dans lequel il avoue que "le gouvernement américain utilise le TFTP pour obtenir des données SWIFT que nous n’obtenons pas d’autres sources".

Les députés, Sophia in't Veld (ADLE, néerlandaise), et Jan Philip Albrecht, qui avaient provoqué les débats au lendemain des révélations de la presse, ont été particulièrement virulents.

Sophia in't VeldAlors qu’elle avait salué le 23 septembre 2013 "l’attitude très ferme de la Commission", Sophia in't Veld (ADLE, néerlandaise) s’est cette fois interrogée sur l’attentisme de la Commission, se contentant des réponses du seul sous-secrétaire d’Etat américain. Or, "nous n’avons plus aucune raison de faire confiance aux Américains pour leurs beaux yeux", estime-t-elle. Sophia in’t Veld s’est étonnée qu’ "aucun Etat membre n'a demandé d'enquête à Europol", même pas le gouvernement néerlandais qui héberge pourtant la plupart des serveurs SWIFT sur son territoire. L’eurodéputée a d’ailleurs déploré que la Commission n’ait pas insisté pour que le gouvernement néerlandais entreprenne une enquête. Elle a par ailleurs rappelé que les allégations de la presse n’étaient pas de simples reportages journalistiques mais reposaient sur "des documents récupérés par M. Snowden". Et le fait que les Américains n’aient jamais nié l’accusation devrait déjà former un soupçon suffisant.

Le rapporteur allemand sur la réforme de la protection des données, Jan Philipp Albrecht (Verts/ALE), s'est lui dit "choqué" que Cecilia Malmström "se contente de ces réponses". Il est d'après lui "évident que les Américains essaient d’éviter de rendre des comptes sur ce qu’ils font et de dire s’ils respectent l’accord Swift – évidemment ils ne le font pas". Il faut "une vraie enquête" et "dénoncer cet accord", a-t-il plaidé.

"Vous affirmez aujourd’hui pleine de sérieux, Madame Malmström, qu’il n’y a pas de violations. Quelle est donc votre preuve ? Est-ce une lettre que vous avez reçue ? Est-ce là la base sur laquelle fut menée une enquête ? Quelles enquêtes avez-vous lancé ? Quels faits avez-vous collecté ?", a questionné, agacée, Cornelia Ernst (GUE/NGL).

Prenant de nouveau la parole à la fin des interventions, la commissaire européenne a pointé du doigt les eurodéputés qui "n’aiment pas" l'accord SWIFT et ceux qui ont voté en sa faveur "avec des réticences". "Vous serez d’accord pour dire que, même si vous n’aimez pas cet accord, nous ne pouvons pas le suspendre, juste sur des allégations de journalistes", a-t-elle lancé à l’hémicycle. Par ailleurs, elle a expliqué que ses services diffuseraient bientôt un rapport sur l’utilité de l’accord qui "apporte la preuve très claire que cet accord a aidé les USA mais aussi l’UE à poursuivre le financement des terroristes".

Le débat, dont c’était ici le second volet, doit donner lieu à un vote en plénière prévu le 23 octobre 2013. En vue de cette date, l’eurodéputée libérale Sophia in’t Veld a prévenu que l’enjeu était également "la démocratie en Europe". "Si cette assemblée adopte une résolution appelant à la suspension ou à la fin de l’accord et que la Commission et le Conseil ne réagissent pas en conséquence, cela signifie que cette maison n’est pas considérée avec sérieux et qu’elle ne donnera plus son consentement à des accords futurs", a-t-elle prévenu.