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Pour l’Avocat général de la CJUE, un fournisseur d'accès à Internet est bien à considérer comme intermédiaire et peut donc se voir ordonner de bloquer l’accès à un site portant atteinte au droit d’auteur
26-11-2013


CJUESelon l’Avocat général Pedro Cruz Villalon, un fournisseur d'accès à Internet, et non pas seulement le fournisseur d’accès dudit site, peut être considéré comme un intermédiaire et, à ce titre, se voir ordonner de bloquer l'accès de ses clients à un site portant atteinte au droit d'auteur. C’est l’interprétation de la directive (2001/29/CE) sur l’harmonisation de certains aspects des droits d'auteur et des droits voisins dans la société de l'information formulée par la Cour suprême autrichienne que l’Avocat général défend dans ses conclusions rendues le mardi 26 novembre 2013 pour répondre à une demande d'interprétation présentée par la Cour suprême autrichienne dans un litige opposant deux sociétés de production cinématograpghique, la Constantin Film Verleih et la Wega Filmproduktionsgesellschaft, au fournisseur d'accès autrichien UPC Telekabel.

En vertu de cette directive, les États membres doivent veiller à ce que les titulaires de droits d’auteur ou de droits voisins puissent demander qu’une ordonnance sur requête soit rendue à l’encontre des intermédiaires dont les services sont utilisés par un tiers pour porter atteinte à leurs droits définis dans la directive.  

"Dans la pratique, les exploitants de sites Internet illicites ainsi que les fournisseurs d’accès qui mettent ces sites en ligne (autrement appelés hébergeurs) opèrent souvent depuis l’extérieur de l’Union européenne ou bien dissimulent leur identité, de sorte qu’ils ne peuvent pas être poursuivis", explique le communiqué de presse diffusé par la CJUE. La justice autrichienne, confrontée à ce cas, avait décidé de viser le fournisseur d’accès à internet.

Le site Internet à l’origine du litige, baptisé kino.to et fermé en juin 2011 à la suite de l’intervention des autorités répressives allemandes, permettait aux utilisateurs de visionner en streaming ou de télécharger des films dont les droits appartenaient notamment à Constantin Film et Wega, et ce, sans l’autorisation de ces dernières.

À la demande de Constantin Film et de Wega, les juges du fond avaient interdit, par ordonnance de requête à UPC de fournir à ses clients un accès au site kino.to, sans indication des mesures concrètes à prendre à cet effet. Certes, "UPC n’a aucun lien juridique avec les exploitants du site Internet en cause et ne leur a fourni ni un accès à Internet ni de la mémoire de stockage, mais on pouvait supposer avec une quasi-certitude que certains clients d’UPC ont exploité l’offre de kino.to", explique le communiqué.

La Cour autrichienne demandait l’interprétation de la Cour de justice de l’Union européenne sur deux points. D’abord, elle voulait savoir si le fournisseur d'accès qui permet aux utilisateurs d’un site illicite d’accéder à Internet doit être considéré comme un intermédiaire, c’est-à-dire en tant qu’intermédiaire dont les services sont utilisés par un tiers – tel que l’exploitant d’un site Internet illicite – pour porter  atteinte à un droit d’auteur, faisant de lui le destinataire potentiel d’une ordonnance sur requête.

Or, dans la jurisprudence de l’UE, il a déjà été affirmé que le fournisseur d’accès à internet peut être considéré comme intermédiaire, comme le rappelle la CJUE qui renvoie, entre autres, à l’arrêt dans l'affaire C-70/10 opposant le belge Scarlet à la Société belge des auteurs, compositeurs et éditeurs (SABAM). La CJUE avait néanmoins rappelé dans ce cas  que la directive sur le commerce électronique interdit aux autorités nationales l’adoption de mesures qui obligeraient un fournisseur d'accès à Internet à procéder à une surveillance générale des informations qu'il transmet sur son réseau.

En réponse à la première question de la Cour suprême, l’Avocat général confirme que le fournisseur d’accès à internet peut être considéré comme intermédiaire mais il souligne aussi qu’il "convient de tenir compte du fait que, dans le futur, de nombreuses affaires similaires, contre des fournisseurs d’accès, pourraient être traitées devant les juridictions nationales", souligne le communiqué de presse de la CJUE. L’Avocat général rappelle, dans ce contexte, que "le titulaire du droit est tenu de poursuivre directement, pour autant que cela est possible, les exploitants du site Internet illicite ou leur fournisseur d’accès".

Il n’est pas conforme d’interdire au fournisseur d’accès dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes d’accorder à ses clients l’accès à un site Internet

Le second point sur lequel la Cour supérieure autrichienne demandait l’éclairage de la CJUE concernait les exigences du droit de l’Union pour ce qui concerne le contenu et la procédure conduisant à une telle ordonnance. Elle voulait ainsi savoir si le fournisseur d'accès peut se voir imposer des mesures concrètes visant à rendre plus difficile à ses clients l'accès au site en question, "lorsque de telles mesures, qui requièrent des moyens non négligeables, peuvent facilement être contournées sans connaissances techniques spécifiques", lit-on dans le communiqué de presse.

Ni les moyens requis ni le fait qu’ils puissent être contournés facilement ne sauraient permettre de qualifier de "disproportionnée" une telle requête, estime l’Avocat général. Néanmoins, il ajoute qu’il "n'est pas conforme à la nécessaire mise en balance des intérêts des parties concernées d'interdire au fournisseur d'accès dans des termes très généraux et sans prescription de mesures concrètes d'accorder à ses clients l'accès à un site Internet précis qui porterait atteinte aux droits d'auteur". Une telle ordonnance sur requête devrait ainsi "comporter l’indication de mesures de blocage concrètes et assurer un juste équilibre entre les intérêts en présence, protégés par les droits fondamentaux".