Le 7 novembre 2013, la CJUE a publié un arrêt important dans lequel elle juge que les demandeurs d’asile homosexuels peuvent constituer un groupe social spécifique de personnes susceptibles d’être persécutées en raison de leur orientation sexuelle. L’existence, dans le pays d’origine, d’une peine d’emprisonnement qui pénalise des actes homosexuels est susceptible, à elle seule, de constituer un acte de persécution à condition qu’elle soit effectivement appliquée.
En référence à la convention de Genève, une directive européenne – en l’occurrence la Directive 2004/83/CE du Conseil, du 29 avril 2004, concernant les normes minimales relatives aux conditions que doivent remplir les ressortissants des pays tiers ou les apatrides pour pouvoir prétendre au statut de réfugié ou les personnes qui, pour d’autres raisons, ont besoin d’une protection internationale, et relatives au contenu de ces statuts - prévoit que tout ressortissant d’un pays tiers, parce qu’il craint avec raison d’être persécuté du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de ses opinions politiques ou de son appartenance à un certain "groupe social", et se trouve hors du pays dont il a la nationalité et qui ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays peut invoquer le statut de réfugié. Dans ce contexte, les actes de persécution doivent être suffisamment graves du fait de leur nature ou leur caractère répété pour constituer une violation grave des droits fondamentaux de l’homme.
X, Y et Z sont des ressortissants respectivement de Sierra Leone, d’Ouganda et du Sénégal. Ils souhaitent obtenir le statut de réfugié aux Pays-Bas, en faisant valoir qu’ils craignent, avec raison, d’être persécutés dans leurs pays d’origine sur le fondement de leur orientation sexuelle. En effet, les actes homosexuels constituent des infractions pénales dans les trois pays et peuvent conduire à des sanctions graves, allant de lourdes amendes à la réclusion à perpétuité, dans certains cas.
Le Raad van State néerlandais (Conseil d’État, Pays-Bas), saisi des affaires en dernier ressort, a interrogé la Cour de justice sur l’évaluation des demandes visant à obtenir le statut de réfugié en vertu des dispositions de la directive.
La juridiction nationale demande à la Cour si les ressortissants de pays tiers qui sont homosexuels peuvent être considérés comme formant un "certain groupe social" au sens de la directive.
En outre, elle souhaite savoir comment les autorités nationales doivent évaluer ce qui constitue un acte de persécution à l’encontre des activités homosexuelles dans ce contexte et si la pénalisation de ces activités dans le pays d’origine du demandeur, laquelle peut mener à la réclusion, constitue une persécution.
Dans son arrêt du 7 novembre 2013 dans les affaires jointes C-199/12, C-200/12, C-201/12, la Cour considère tout d’abord qu’il est constant que l’orientation sexuelle d’une personne constitue une caractéristique à ce point essentielle pour son identité qu’il ne devrait pas être exigé qu’elle y renonce. À cet égard, la Cour admet que l’existence d’une législation pénale qui vise spécifiquement les personnes homosexuelles permet de constater que ces personnes constituent un groupe à part, perçu par la société environnante comme étant différent.
Cependant, pour qu’une violation des droits fondamentaux constitue une persécution au sens de la convention de Genève, elle doit atteindre un certain niveau de gravité. Toute violation des droits fondamentaux d’un demandeur d’asile homosexuel n’atteindra donc pas nécessairement ce niveau de gravité. Dans ce contexte, la seule existence d’une législation pénalisant des actes homosexuels ne saurait être considérée comme une atteinte à ce point grave pour considérer qu’elle constitue une persécution au sens de la directive. En revanche, une peine d’emprisonnement qui pénalise des actes homosexuels est susceptible, à elle seule, de constituer un acte de persécution pourvu qu’elle soit effectivement appliquée.
Dans ces conditions, lorsqu’un demandeur d’asile se prévaut de l’existence dans son pays d’origine d’une législation pénalisant des actes homosexuels, il appartient aux autorités nationales de procéder à un examen de tous les faits pertinents concernant ce pays d’origine, y compris ses lois et règlements et la manière dont ils sont appliqués. Dans le cadre de cet examen, il appartient, notamment, auxdites autorités de déterminer si, dans le pays d’origine du demandeur, la peine d’emprisonnement est appliquée en pratique.
Quant à la question de savoir s’il n’est pas raisonnable de s’attendre à ce que, pour éviter d’être persécuté, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine ou fasse preuve d’une réserve dans l’expression de cette orientation sexuelle, la Cour répond par la négative. Elle estime que le fait d’exiger des membres d’un groupe social partageant la même orientation sexuelle qu’ils dissimulent cette orientation est contraire à la reconnaissance même d’une caractéristique à ce point essentielle pour l’identité qu’il ne devrait pas être exigé des intéressés qu’ils y renoncent. Selon la Cour, il n’est donc pas permis de s’attendre à ce que, pour éviter d’être persécuté, un demandeur d’asile dissimule son homosexualité dans son pays d’origine.
Le renvoi préjudiciel permet aux juridictions des États membres, dans le cadre d'un litige dont elles sont saisies, d'interroger la Cour sur l'interprétation du droit de l’Union ou sur la validité d'un acte de l’Union. La Cour ne tranche pas le litige national. Il appartient à la juridiction nationale de résoudre l'affaire conformément à la décision de la Cour. Cette décision lie, de la même manière, les autres juridictions nationales qui seraient saisies d’un problème similaire.