Le sommet du Partenariat oriental organisé à Vilnius les 28 et 29 novembre 2013 qui aurait dû acter un rapprochement entre l’Union européenne et l’Ukraine, n’a pas atteint cet objectif, puisque le président ukrainien, Viktor Ianoukovitch, a, comme annoncé quelques jours plus tôt, refusé de signer l’accord d’association pourtant longuement négocié avec l’UE.
A la surprise des Européens, le gouvernement de l’Ukraine avait suspendu, le 21 novembre, la préparation de cet accord. Un décret promulgué par le Premier ministre ukrainien, Mykola Azarov, précisait qu'il fallait "suspendre le processus de préparation de l'accord d'association entre l'Ukraine et l'UE afin d'assurer la sécurité nationale, relancer les relations économiques avec la Russie et préparer le marché intérieur à des relations d'égal à égal avec l'UE". Il proposait la mise en place d’une commission tripartite Ukraine/Russie/UE sur le commerce. Tout en justifiant une décision économique et non politique, le Premier ministre avait reconnu que la suspension des négociations était le résultat d’une demande de la Russie, qui presse Kiev d'adhérer à l'Union douanière créée par la Russie avec d'autres ex-républiques soviétiques.
Plus tôt le 21 novembre, le parlement ukrainien avait rejeté plusieurs projets de loi qui devaient permettre à l'ex-Premier ministre et opposante ukrainienne Ioulia Timochenko d’être transférée à l'étranger pour soins. Le transfert de Ioulia Timochenko, rivale malheureuse de Viktor Ianoukovitch à la présidentielle de 2010 et condamnée en 2011 à sept ans de prison pour "abus de pouvoir", était réclamé par l'Union européenne avant la signature d'un accord d'association, les capitales européennes soupçonnant des poursuites aux motivations politiques.
Au cours du sommet du Partenariat oriental à Vilnius, les deux parties ont néanmoins réitéré leur détermination à signer l'accord d'association. "L'UE et l'Ukraine réaffirment leur engagement à la signature de cet accord sur la base de l'action déterminée et des progrès tangibles dans les trois domaines soulignés lors du sommet UE-Ukraine en 2013", lit-on dans la déclaration finale du sommet.
Celle-ci souligne aussi le "soutien public sans précédent à l'association politique et l'intégration économique de l'Ukraine avec l'UE". Depuis l’annonce du refus de signature, l’opposition ukrainienne pro-européenne est descendue massivement dans la rue. Le 1er décembre, près de 100 000 manifestants s’étaient rassemblés à Kiev pour dénoncer l’attitude du président Ianoukovitch.
Selon un communiqué diffusé sur le site de la présidence ukrainienne le 29 octobre 2013, Viktor Ianoukovitch a assuré qu’il "confirm[ait] l'intention de l'Ukraine de signer l'accord d'association dans un avenir proche", rapporte l’Agence Europe. "La pause forcée dans le processus de signature de l'accord ne signifie pas un arrêt des réformes nécessaires en Ukraine en vue de poursuivre l'intégration européenne", avait-t-il ajouté.
Dans ce communiqué, le président ukrainien a expliqué qu'avant de pouvoir signer un accord d'association, Kiev avait besoin d'une aide économique et financière de l'UE. "Nous avons besoin que nos collègues européens prennent des mesures résolues envers l'Ukraine concernant le développement et la réalisation d'un programme d'aide financière et économique", a-t-il dit.
Jusqu'au dernier moment, les Européens ont essayé de convaincre le président ukrainien de revenir sur sa décision. Les présidents du Conseil européen, Herman Van Rompuy, et de la Commission européenne, José-Manuel Barroso, ont rencontré, le 28 novembre, avant le dîner informel, le président ukrainien et les discussions se sont poursuivies au dîner. "Il n'y a pas eu de négociation sur la signature car M. Ianoukovitch est venu avec une décision très claire de ne pas signer", a expliqué la présidente de la Lituanie, Dalia Grybauskaité, qui assume actuellement la présidence tournante de l’UE, selon des propos rapportés par l'Agence Europe.
Selon Euractiv.com, qui rapporte des échanges avec des diplomates européens, José-Manuel Barroso et Herman Van Rompuy auraient même été jusqu’à proposer au président ukrainien de signer l’accord d’association lors du sommet de Vilnius malgré le fait que Kiev ne remplisse pas toutes les conditions, en particulier la fin de la justice sélective. En clair l’accord aurait ainsi pu être signé malgré l’emprisonnement de Ioulia Timochenko, qui elle-même avait appelé à ce que son sort ne soit plus une condition pour que l’accord soit signé. La proposition d’un report au prochain sommet du Partenariat aurait également été déclinée par Viktor Ianoukovitch.
Le président ukrainien a pour sa part relevé à de multiples reprises le coût pour l’Ukraine d’un tel accord, notamment en termes de mesures de rétorsion commerciales de la part de la Russie, mais aussi de la mise à niveau des standards et normes ukrainiens au niveau européen. Et d’en appeler dès lors à une compensation de l’UE, fermement rejetée par l’UE, qui met au contraire en avant les bénéfices d’un tel accord.
"Il n'y a pas de doute que ce serait bénéfique pour l'Ukraine, l'économie ukrainienne et la population ukrainienne", a déclaré en marge du sommet José Manuel Barroso qui a rappelé que l'accord permettrait aux entreprises ukrainiennes "d'économiser 500 millions d'euros par an uniquement en droits d'importation" et "d’augmenter le PIB ukrainien de l’ordre de 6 %".
Les Européens ont malgré tout affirmé une nouvelle fois que la "porte reste ouverte" pour l’Ukraine. "La signature a été repoussée, j'espère que tôt ou tard l'Ukraine sera prête à signer", a expliqué Herman Van Rompuy, notant que le dialogue avec Kiev allait se poursuivre tout en rejetant catégoriquement la proposition d’un dialogue tripartite avec la Russie.
"Nous ne pouvons accepter de veto d'un autre pays", a poursuivi José Manuel Barroso, ajoutant que "le temps de la souveraineté limitée était révolu en Europe".
Le président de la Commission européenne a rappelé que le processus de rapprochement avec l'UE est en faveur de "quelque chose: de la démocratie, de la stabilité et de la prospérité". "Il n'est pas contre quelqu'un, parce que je ne crois pas que quelqu'un doit être contre la démocratie, contre la stabilité ou contre la prospérité", a-t-il encore ajouté.
Herman Van Rompuy a pour sa part appelé l'Ukraine à "écarter les considérations à court terme et les pressions venues de l'extérieur". "Le temps du courage et de la décision est venu. Nous ne devons pas renoncer face aux pressions extérieures, même de la Russie", a insisté le président du Conseil européen. Mais pour la présidente lituanienne, les pressions extérieures ne justifient en rien la décision ukrainienne. "Si vous avez la volonté politique, la pression ne fonctionne pas, vous n'abandonnez pas", a-t-elle précisé. Herman Van Rompuy a encore ajouté que le sujet serait abordé lors du sommet UE-Russie qui devrait avoir lieu fin janvier 2014.
Le sommet du Partenariat oriental a néanmoins été l’occasion de parapher deux accords d'association, avec des zones de libre-échange complet et approfondi, entre l’UE et la Moldavie comme entre l’UE et la Géorgie. En plus du commerce, ces accords comprennent aussi une coopération sectorielle, avec une participation accrue aux programmes et agences de l'UE, et une coopération dans des secteurs tels que la protection civile, l'énergie ou encore l'environnement. Les accords de plus de 1 000 pages devront être traduits dans toutes les langues de l’UE avant une probable signature définitive fin 2014.
Suite à la volte-face ukrainienne, la Moldavie et la Géorgie sont désormais les seuls pays des six pays du Partenariat a véritablement se rapprocher de l’UE. Ils sont aussi les deux pays qui ont les litiges territoriaux et politiques les plus graves avec la Russie. Le Belarus, l’Azerbaïdjan et l’Arménie tout récemment se sont déjà éloignés du processus lancé en 2009, et l’Arménie s’apprête à rejoindre l’union douanière avec la Russie, le Kazakhstan et le Belarus.