La Cour de justice de l’UE a publié le 16 janvier 2014 deux arrêts par lesquels elle répond à deux questions préjudicielles posées par l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber), London (Royaume-Uni).
Dans sa première question, cette juridiction demande à la Cour de justice si les périodes carcérales et les périodes d’une durée de moins de cinq ans qui précèdent et qui suivent l’emprisonnement d’un demandeur peuvent être prises en compte aux fins de l’acquisition d’un titre de séjour permanent.
Dans sa deuxième question, l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber), London, veut savoir dans le cas d’une citoyenne portugaise qui a été condamnée à 21 mois de prison pour avoir maltraité un de ses enfants si celle-ci, qui fait notamment valoir que, ayant séjourné plus de dix ans au Royaume-Uni, elle devait bénéficier du niveau de protection le plus élevé que le droit de l’Union réserve aux citoyens européens en matière d’éloignement, eut effectivement, malgré son incarcération, bénéficier de cette protection renforcée contre l’éloignement.
La directive sur le droit de libre circulation et de séjour permet aux citoyens de l’Union, sans autres conditions ou formalités que l'exigence d'être en possession d’un document de voyage, de se rendre et de séjourner sur le territoire d’un État membre autre que celui dont ils ont la nationalité pour une durée maximale de trois mois. Néanmoins, lorsqu’ils exercent une activité professionnelle ou disposent de ressources suffisantes pour subvenir à leurs besoins ainsi que d’une assurance maladie complète (par exemple en tant qu’étudiants ou retraités), ils peuvent rester dans cet autre État membre pour une période plus longue. Dans un tel cas, les membres de leur famille, qu’ils soient citoyens de l’Union ou non, peuvent également rester avec eux dans cet État à condition que leur présence ne constitue pas une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil et qu’ils soient couverts par une assurance maladie complète.
Les citoyens de l’Union ayant séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans sur le territoire de l’État membre d’accueil acquièrent le droit de séjour permanent sur ce territoire. Ce droit n’est pas soumis aux conditions exigées pour pouvoir rester dans l’État membre d’accueil pour une durée de plus de trois mois (exercice d’une activité professionnelle, poursuite d’études, etc.). Les membres de leur famille qui n’ont pas la nationalité d’un État membre et qui ont séjourné légalement pendant une période ininterrompue de cinq ans avec eux dans l’État membre d’accueil acquièrent également le droit de séjour permanent.
Dans ce contexte, l’État membre d’accueil ne peut pas prendre une décision d’éloignement du territoire à l’encontre d’un citoyen de l’Union ou des membres de sa famille, quelle que soit leur nationalité, qui ont acquis un droit de séjour permanent sur son territoire sauf pour des motifs graves d’ordre public ou de sécurité publique.
De même, une décision d’éloignement ne peut pas être prise à l’encontre d’un citoyen de l’Union qui a séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix années précédentes, à moins que des raisons impérieuses de sécurité publique définies par cet État membre ne le justifient.
Par son mariage avec une citoyenne irlandaise ayant exercé son droit de libre circulation et de séjour au Royaume-Uni, M. Onuekwere, ressortissant nigérian, a obtenu un permis de séjour d’une validité de cinq ans dans cet État membre. Pendant son séjour au Royaume-Uni en tant que membre de la famille d’un citoyen de l’Union, M. Onuekwere a été condamné à plusieurs reprises par les juridictions britanniques pour divers délits et incarcéré pendant une durée totale de trois ans et trois mois.
M. Onuekwere a ensuite demandé une carte de séjour permanent, invoquant notamment que, puisque son épouse avait acquis le droit de séjour permanent, il devait lui aussi se voir octroyer ce droit. Par ailleurs, il fait valoir que la durée totale de son séjour au Royaume-Uni (périodes carcérales incluses) dépasse largement la durée de cinq ans requise pour l’octroi de ce droit. De surcroît, il souligne que, même si les périodes passées en prison ne sont pas comptabilisées à cette fin, le total des périodes hors séjours carcéraux est d’une durée supérieure à cinq ans.
Sa demande de carte de séjour permanent ayant été rejetée, M. Onuekwere a saisi l’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber), London (Royaume-Uni). Cette juridiction demande à la Cour de justice si les périodes carcérales et les périodes d’une durée de moins de cinq ans qui précèdent et qui suivent l’emprisonnement d’un demandeur peuvent être prises en compte aux fins de l’acquisition d’un titre de séjour permanent.
Dans son arrêt rendu ce jour, la Cour rappelle, en premier lieu, qu’un ressortissant d’un pays tiers, membre de la famille d’un citoyen de l’Union ayant exercé son droit de libre circulation et de séjour, ne peut comptabiliser, aux fins de l’acquisition d’un droit de séjour permanent, que les périodes qu’il a passées avec ce citoyen.
Par conséquent, les périodes au cours desquelles il n’a pas séjourné avec ce citoyen en raison de son incarcération dans l’État membre d’accueil ne peuvent pas être prises en compte à cette fin.
Par ailleurs, la Cour constate que le législateur de l’Union a subordonné l’obtention du droit de séjour permanent à l’intégration de la personne concernée dans l’État membre d’accueil. Or, une telle intégration est fondée non seulement sur des facteurs spatiaux et temporels, mais également sur des facteurs qualitatifs relatifs au degré d’intégration dans l’État membre d’accueil. À cet égard, la Cour relève que l’imposition par le juge national d’une peine d’emprisonnement ferme est de nature à démontrer le non-respect par la personne concernée des valeurs exprimées par la société de l’État membre d’accueil dans le droit pénal de ce dernier. Ainsi, la prise en considération des périodes d’emprisonnement aux fins de l’acquisition du droit de séjour permanent irait manifestement à l’encontre du but poursuivi par la directive avec l’instauration de ce droit de séjour.
Enfin, pour les mêmes raisons, la Cour juge que la continuité du séjour de cinq ans est interrompue par les périodes d’emprisonnement dans l’État membre d’accueil. Par conséquent, les périodes qui précèdent et qui suivent les périodes d’emprisonnement ne peuvent être additionnées pour atteindre la durée minimale de cinq ans requise pour l’obtention d’un titre de séjour permanent.
Mme G. est une ressortissante portugaise séjournant depuis 1998 au Royaume-Uni où elle a acquis un droit de séjour permanent en 2003. En 2009, elle a été condamnée par les juridictions britanniques à 21 mois de prison pour avoir maltraité l’un de ses enfants. De plus, pendant son séjour en prison, les autorités britanniques ont ordonné son expulsion du territoire du Royaume-Uni pour des raisons d’ordre public et de sécurité publique.
Mme G. a attaqué la décision d’expulsion devant les juridictions britanniques en faisant notamment valoir que, ayant séjourné plus de dix ans au Royaume-Uni, elle devait bénéficier du niveau de protection le plus élevé que le droit de l’Union réserve aux citoyens européens en matière d’éloignement. L’Upper Tribunal (Immigration and Asylum Chamber), London, saisi du litige, demande à la Cour si, malgré son incarcération, Mme G. peut bénéficier de cette protection renforcée contre l’éloignement.
Dans son arrêt, la Cour constate, en premier lieu, que, contrairement à la période exigée pour l’acquisition du droit de séjour permanent, qui commence avec le séjour légal dans l’État membre d’accueil de la personne concernée, la période de séjour de dix ans exigée pour l’octroi de la protection renforcée contre l’éloignement doit être calculée à rebours, à partir de la date de la décision d’éloignement de cette personne. De surcroît, la Cour relève que cette période de séjour doit, en principe, être continue.
En deuxième lieu, s’agissant du rapport entre l’intégration d’une personne dans la société de l’État membre d’accueil et son incarcération, la Cour juge que, pour les mêmes raisons que celles invoquées dans l’arrêt rendu dans l’affaire C-378/12, les périodes d’emprisonnement ne peuvent pas être prises en considération aux fins du calcul de la période de séjour de dix ans.
En dernier lieu, la Cour constate que les périodes carcérales interrompent, en principe, la continuité du séjour nécessaire pour l’octroi de la protection renforcée. Néanmoins, la Cour rappelle que, en vue de déterminer dans quelle mesure la discontinuité du séjour empêche l’intéressé de bénéficier de la protection renforcée, il y a lieu d’effectuer une appréciation globale de sa situation. Lors de cette appréciation globale exigée pour déterminer si les liens d’intégration entre l´intéressé et l’État membre d’accueil ont été rompus, les autorités nationales peuvent prendre en compte les aspects pertinents de son emprisonnement. De même, dans le cadre de cette appréciation globale, les autorités nationales peuvent prendre en considération la circonstance que la personne concernée, telle que Mme G., a séjourné dans l’État membre d’accueil pendant les dix ans précédant son emprisonnement.