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La Commission européenne recommande à cinq Etats membres de modifier leur législation afin de ne plus priver leurs expatriés du droit de vote aux élections nationales
29-01-2014


reding-vote-national (source: Commission européenne)Alors que pour les citoyens de certains Etats membres de l'UE, le fait de résider à l’étranger signifie la perte de leur droit de vote aux élections nationales, la commissaire européenne en charge de la Justice, des Droits fondamentaux et de la Citoyenneté, Viviane Reding, s’est émue de ce qu’elle considère comme une restriction à l’exercice des droits attachés à la citoyenneté de l’Union, en particulier celui de la libre circulation.

Dans une communication publiée le 29 janvier 2014 à destination des Etats membres et assortie d’une série de recommandations non-contraignantes, la Commission européenne s’est inquiétée du fait que cinq Etats membres privent dans les faits leurs expatriés du droit de vote dans leur pays d’origine. Elle souligne ainsi que "la possibilité donnée aux citoyens d’exprimer leur volonté politique en exerçant leur droit de vote, l’un des droits politiques fondamentaux attachés à la citoyenneté, est à la base même de la démocratie" et que "tout citoyen européen a le droit de participer à la vie démocratique de l'Union".

Or, "l'un des obstacles que certains citoyens européens rencontrent en tant qu’acteurs politiques est la perte du droit de participer aux élections nationales (privation du droit de vote) dans l'Etat membre dont ils sont ressortissants s’ils résident à l'étranger, y compris dans un autre État membre, pendant une certaine durée".  Dès lors, ces citoyens ne peuvent plus participer à aucune élection nationale, ni dans l’État membre d’origine, ni dans celui de résidence.

Pas d’ingérence dans les compétences des Etats membres assure la Commission

La Commission assure pourtant qu’elle n’entend pas s’immiscer dans les systèmes électoraux des Etats membres, dont chacun est libre de "décider souverainement, dans le respect de la démocratie, valeur commune à tous les Etats membres, de la composition du corps électoral pour les scrutins nationaux". Mais elle souligne que de telles politiques nationales privant les citoyens de leur droit de vote peuvent être vues comme restreignant la jouissance des droits attachés à la citoyenneté de l’Union, et notamment celui de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, droit fondamental de tout citoyen de l’Union.

"Cette situation est contraire au postulat de base de la citoyenneté de l’Union, à savoir que celle-ci s’ajoute à la citoyenneté nationale et est censée conférer aux citoyens de l’Union des droits supplémentaires, alors qu'en l'occurrence l’exercice du droit de libre circulation peut entraîner la perte d’un droit de participation à la vie politique", détaille la communication.

La Commission juge en outre que ces politiques sont en décalage avec la tendance générale actuelle en faveur du vote des ressortissants non-résidents. La question du maintien, tout au long de leur vie, de liens étroits avec le pays d’origine, ne serait pas davantage un obstacle selon la Commission, qui note qu’avec "la généralisation de l’accès aux programmes de télévision des autres pays et la disponibilité de l’internet et d'autres technologies de communication mobiles, il est plus facile que jamais de suivre de l'étranger l'actualité politique du pays d’origine et de prendre part à sa vie politique et sociale".

Le Danemark, l’Irlande, le Royaume-Uni, Chypre et Malte dans le viseur

Si la Commission ne pose aucune objection au fait que la plupart des Etats membres prévoient la privation du droit de vote en raison d'une condamnation pénale pour infraction grave ou d'une incapacité juridique liée à des problèmes de santé mentale et de déficit intellectuel, elle s’inquiète des régimes juridiques appliqués dans cinq Etats membres car ils sont "susceptibles d'aboutir à la perte du droit de vote pour leurs ressortissants résidant dans d’autres Etats membres, uniquement parce qu'ils vivent à l’étranger depuis un certain temps".

Ainsi, les citoyens danois qui quittent le Danemark sont autorisés à maintenir leur inscription sur les listes électorales s’ils manifestent leur intention de revenir dans un délai de deux ans. De la même manière, les citoyens irlandais qui quittent l'Irlande ne peuvent rester inscrits sur les listes électorales que s'ils manifestent leur intention de revenir dans un délai de 18 mois. Les citoyens chypriotes perdent le droit de voter aux élections nationales s'ils n’ont pas résidé à Chypre au cours des six mois précédant immédiatement un scrutin, à moins qu’ils ne  résident à l’étranger pour y étudier ou y travailler temporairement, ou pour des raisons de santé. En vertu de la constitution maltaise, les citoyens maltais perdent leur droit de vote s’ils n’ont pas résidé dans le pays pendant une durée d’au moins six mois au cours des dix-huit mois précédant immédiatement leur inscription sur les listes électorales nationales. Les citoyens britanniques perdent le droit de participer aux élections parlementaires nationales s’ils n’ont pas été inscrits dans une section de vote au Royaume-Uni au cours des 15 dernières années. En d'autres termes, un citoyen britannique perd ses droits de vote après 15 ans de résidence à l'étranger.

En outre, la Commission relève que deux Etats membres imposent d'autres conditions précises pour le maintien du droit de vote lors des élections nationales. Les citoyens allemands résidant à l'étranger y sont autorisés pour autant qu'ils remplissent l'une des conditions suivantes: avoir résidé en Allemagne pendant une durée ininterrompue d’au moins trois mois après avoir atteint l’âge de 14 ans, et ce au cours des 25 dernières années et/ou s'être familiarisés, personnellement et directement, avec la situation politique en Allemagne et être concernés par cette situation. La loi autrichienne exige qu'avant de quitter le pays, les citoyens autrichiens demandent à rester inscrits sur les listes électorales et renouvellent cette demande tous les dix ans.

Le critère lié à la résidence n’est pas inapproprié tant qu’il ne viole pas les principes généraux du droit de l’UE

"Le principal motif avancé par ces pays pour priver leurs ressortissants résidant à l'étranger de leur droit de vote, à savoir des liens insuffisants avec leur pays d'origine, semble dépassé dans le monde interconnecté qui est le nôtre", lit-on dans un communiqué publié par la Commission. En outre, "priver des citoyens de leur droit de vote, une fois qu’ils résident dans un autre pays de l’UE, revient effectivement à les sanctionner pour avoir exercé leur droit de libre circulation. De telles pratiques risquent d'en faire des citoyens de seconde zone", poursuit Viviane Reding.

La Commission souligne encore que la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH) a constaté que "l’apparition de nouvelles  technologies et de transports moins onéreux a permis aux migrants de rester plus étroitement  en lien avec leur État de nationalité que cela n’aurait été possible pour la plupart d'entre eux quarante, et même trente ans auparavant. Cette évolution a amené plusieurs Etats [...] à modifier leur législation afin d'autoriser, pour la première fois, des ressortissants non-résidents à voter lors de scrutins nationaux". La Cour a ainsi conclu à une nette tendance en faveur du vote des ressortissants non-résidents, même s'il n’existe encore aucune approche européenne commune en la matière.

La Cour de justice de l'Union européenne a pour sa part relevé que, si une question relève de la compétence des Etats membres - et c'est le cas de la définition de la composition du corps électoral pour les scrutins nationaux -, il n’en reste pas moins que ces derniers doivent exercer celle-ci dans le respect du droit de l'UE, en particulier les dispositions du traité relatives à la liberté reconnue à tout citoyen de l’Union de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres, et, par conséquent, s'abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité. "Dans le même esprit, la Cour a, par exemple, admis que le critère lié à la résidence n'était pas, en principe, inapproprié pour déterminer quels étaient les bénéficiaires du droit de vote et d’éligibilité aux élections au Parlement européen, tout en précisant qu’un tel critère ne devrait pas aboutir à une violation des principes généraux du droit de l’UE, et notamment du principe de non-discrimination", appuie la communication de la Commission. 

Cette privation du droit de vote aux élections nationales peut donc devenir un obstacle à la pleine jouissance des droits et des avantages que la citoyenneté de l’Union confère, juge la Commission: "Premièrement, la situation actuelle peut être perçue comme ne cadrant pas avec le postulat de base de la citoyenneté de l’Union ; deuxièmement, les politiques nationales de privation du droit de vote peuvent influencer la manière dont les citoyens de l’Union exercent leur droit de circuler et de séjourner librement sur le territoire des Etats membres ; troisièmement, les politiques nationales de privation du droit de vote ouvrent une brèche dans les droits politiques des citoyens de l’Union, ce qui va à l'encontre des efforts visant à encourager la participation des citoyens à la vie démocratique de l’Union".

Si l’une des solutions avancées ces dernières années par certains Etats membres pour remédier à la perte des droits politiques dans le pays d’origine est la naturalisation dans le pays de résidence, ce qui conduirait à l’acquisition de droits politiques dans ce pays, la Commission la juge inadaptée.

L’exécutif européen estime qu’encourager la naturalisation dans le pays d’accueil pour acquérir davantage de droits politiques irait à l'encontre du rôle joué par la citoyenneté de l’Union en tant que principal moyen de favoriser le respect de l’identité nationale et de la diversité, et de garantir l’égalité de traitement quelle que soit la nationalité.

La Commission européenne propose ses recommandations

  • Les Etats membres qui subordonnent le droit de vote de leurs ressortissants aux élections nationales à la seule condition de la résidence devraient autoriser leurs ressortissants qui exercent leur droit de circuler et de séjourner librement dans d'autres Etats membres à conserver leur droit de vote s'ils font la preuve d'un intérêt persistant pour la vie politique nationale, notamment en demandant à rester inscrits sur les listes électorales.
  • Les Etats membres qui autorisent leurs ressortissants résidant dans d'autres Etats membres à conserver leur droit de vote aux élections nationales, à la condition d'introduire une demande afin de rester inscrits sur les listes électorales, peuvent mettre en place des mesures d’accompagnement proportionnées, telles que la réintroduction d'une demande à intervalles appropriés.
  • Les Etats membres qui autorisent leurs ressortissants résidant dans d'autres Etats membres à conserver leur droit de vote lors des élections nationales, à la condition d'introduire ou de réintroduire une demande afin de rester inscrits sur les listes électorales, devraient faire en sorte que toutes les demandes en ce sens puissent être soumises par voie électronique.
  • Les Etats membres qui prévoient que leurs ressortissants résidant dans d'autres Etats membres perdent leur droit de vote aux élections nationales devraient les informer par des moyens appropriés et en temps utile des conditions et des modalités pratiques pour conserver leur droit de vote lors des scrutins nationaux

La Commission souligne encore qu’elle évaluera les progrès réalisés pour remédier aux conséquences de la privation du droit de vote pour les citoyens de l’Union européenne exerçant leur droit de libre circulation dans le cadre de son rapport concernant les progrès réalisés sur la voie de l'exercice effectif de la citoyenneté de l'Union.