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La Commission européenne se satisfait des engagements pris par Google en matière d’abus de position dominante, mais les concurrents du géant américain de l’Internet dénoncent des propositions pires que le statu quo
05-02-2014


google-eu-imca (source: http://mediaeurope.imca.fr)Après une enquête de plus de trois ans sur un abus supposé de position dominante, Google devrait finalement éviter des sanctions financières de près de 4 milliards d'euros suite à de nouvelles propositions du géant américain pour remédier aux entraves à la concurrence dont il est accusé en Europe.

La Commission européenne s’est en effet félicitée, le 5 février 2014, d’avoir "obtenu de Google une proposition d’engagements améliorée dans le cadre de l’enquête en cours sur un abus de position dominante dans les domaines de la recherche en ligne et des annonces publicitaires liées aux recherches en ligne", peut-on lire dans un communiqué de presse publié sur le site de la Commission.

Selon la Commission, le géant de la recherche en ligne sur Internet accepterait en effet désormais de garantir que, lorsque l’entreprise promeut ses propres services de recherche spécialisés sur sa page web (il s'agit des services permettant aux utilisateurs de rechercher des catégories spécifiques d'informations comme des restaurants, des hôtels ou des produits), les services de trois concurrents, sélectionnés au moyen d’une méthode objective, apparaissent de manière clairement visible pour les utilisateurs et selon une présentation comparable à celle utilisée pour ses propres services. Ce principe s’appliquera aux services de recherche spécialisés existants, ainsi qu’à tout changement de présentation de ces services et aux services futurs.

Le contexte de la procédure

En novembre 2010, la Commission avait ouvert une procédure d’enquête, suite à 18 plaintes formelles déposées contre les pratiques commerciales de Google. En mars 2013, la Commission avait officiellement transmis à Google ses conclusions préliminaires selon lesquelles quatre types de pratiques commerciales adoptées par l'entreprise pourraient enfreindre les règles de l'UE relatives à l'abus de position dominante.

  1. l'affichage plus visible, dans les résultats de recherche sur le web via Google, des services de recherche web spécialisés de Google par rapport aux mêmes services de ses concurrents (il s'agit des services permettant aux utilisateurs de rechercher des catégories spécifiques d'informations comme des restaurants, des hôtels ou des produits). Dans ce contexte, la Commission craignait que cette pratique réduise la possibilité pour les consommateurs de disposer d'un choix potentiellement plus pertinent de services de recherche spécialisés, en détournant indument une partie du trafic vers les services de recherche spécialisés de Google au détriment de ceux de ses concurrents;
  2. l'utilisation par Google, sans autorisation, de contenus originaux provenant de sites web de tiers dans ses propres services de recherche web spécialisés;
  3. les accords qui obligent les sites web de tiers (les «éditeurs») à se procurer via Google la totalité ou la majeure partie de leurs publicités contextuelles en ligne;
  4. les restrictions contractuelles imposées à la portabilité, sur les plateformes publicitaires de moteurs de recherche concurrents, des campagnes de publicité contextuelle en ligne et à la gestion de ces campagnes sur la plateforme Adwords de Google et sur les plateformes publicitaires de moteurs de recherche concurrents.

Selon la Commission, ces pratiques pouvaient porter préjudice aux consommateurs en diminuant le choix disponible et en étouffant l'innovation dans les domaines des services de recherche spécialisés et de la publicité contextuelle en ligne. Pour mémoire, l'article 102 du TFUE interdit, dans la mesure où les échanges entre États membres sont susceptibles d'en être affectés, le fait pour une ou plusieurs entreprises d'exploiter de façon abusive une position dominante sur le marché intérieur ou dans une partie substantielle de celui-ci.

Le 3 avril 2013, Google a proposé un ensemble détaillé d'engagements visant à remédier à ces problèmes, à la suite de quoi la Commission avait lancé, le 25 avril 2013, une consultation des acteurs du marché afin d'obtenir un retour d'informations sur ces engagements, qui n’ont finalement pas été jugés satisfaisants. En octobre 2013, Google a présenté des engagements modifiés. La Commission a une nouvelle fois consulté les plaignants et d'autres acteurs du marché concernés et a finalement considéré que la proposition d'octobre 2013 n'était toujours pas suffisante pour dissiper totalement ses craintes en matière de concurrence. Une seconde proposition modifiée a donc été soumise à la Commission.

Les engagements de Google

"Ma conviction est que la nouvelle proposition obtenue de Google au terme de négociations longues et difficiles est de nature à répondre aux préoccupations de la Commission. Sans empêcher Google d’améliorer ses propres services, cette proposition offre aux utilisateurs un véritable choix entre des services concurrents présentés de manière comparable; c'est ensuite à eux de choisir la meilleure option. Ainsi, aussi bien Google que ses concurrents seront en mesure d’innover et d’améliorer leur offre et incités à le faire", a commenté le commissaire en charge de la politique de concurrence, Joaquín Almunia.

"La transformation de cette proposition en une obligation juridiquement contraignante pour Google permettrait de rétablir rapidement des conditions de saine concurrence et assurerait leur préservation pour les années à venir", a-t-il poursuivi.

L’article 9 du règlement de l'UE sur les ententes et les abus de position dominante permet en effet à la Commission de mettre fin à la procédure en rendant les engagements offerts par une entreprise juridiquement contraignants. Une telle décision ne conclut pas à la violation des règles de l’UE en matière de concurrence, mais contraint juridiquement l'entreprise à respecter les engagements offerts. Si elle ne les respecte pas, la Commission peut lui infliger une amende pouvant aller jusqu'à 10 % de son chiffre d'affaires annuel mondial, sans avoir à prouver l’existence d’une violation des Articles 101 ou 102 du TFUE.

Le géant américain devrait donc échapper à des sanctions financières record: son chiffre d’affaires a atteint 59,8 milliards de dollars en 2013, l’amende aurait donc pu aller jusqu'à près de 6 milliards de dollars, soit plus de 4 milliards d'euros.

"Nous allons faire des changements importants dans la manière dont Google opère en Europe", a estimé dans un communiqué rapporté par l’AFP le senior vice-president du groupe, Kent Walker. "Nous travaillons avec la Commission européenne pour résoudre les problèmes qu'elle a soulevés et sommes impatients de résoudre cette affaire", a-t-il ajouté.

La dernière proposition de Google semble donc satisfaire la Commission européenne, qui a rappelé les autres engagements pris par l’entreprise pour remédier aux autres problèmes soulevés:

Google offrira aux fournisseurs de contenu la possibilité, s’ils le souhaitent, de refuser l’utilisation de leur contenu dans les services de recherche spécialisés de l’entreprise, et ce sans les pénaliser; Google supprimera les exigences d’exclusivité dans ses contrats avec les éditeurs pour ce qui concerne la publicité liée aux recherches; et l’entreprise américaine supprimera les restrictions à la possibilité de mener des campagnes de publicité liée aux recherches sur des plateformes idoines concurrentes.

La Commission souligne par ailleurs qu’un "élément important de la proposition est que le respect, par Google, de ses engagements serait contrôlé par un mandataire indépendant. Ces engagements couvriraient l’Espace économique européen pendant cinq ans".

La Commission informera prochainement les plaignants dans cette affaire des raisons pour lesquelles elle estime que la proposition de Google est de nature à remédier aux problèmes qu’elle a identifiés. Les plaignants auront ensuite la possibilité de faire connaître leur point de vue à la Commission avant que cette dernière prenne une décision finale sur la nécessité ou non de rendre les engagements pris par Google juridiquement contraignants.

Les réactions "amères" des plaignants

Du côté des plaignants, en revanche, la satisfaction de la Commission est loin d’être partagée. Ainsi l'organisation Icomp, qui regroupe plusieurs plaignants et concurrents de Google, dont Microsoft, a accueilli très froidement la nouvelle, regrettant que la Commission ait "choisi d'ignorer l'avis d'experts", relate l’AFP.

Dans un communiqué, Icomp appuie qu’"en ne consultant pas les parties prenantes, le Commissaire Almunia prend le risque de se faire duper par Google. Alors qu’il avait initialement accueilli favorablement de précédentes propositions, les tests de marché ont démontré leur inefficacité totale et la Commission les a finalement, à juste titre, rejetés. Pourquoi [Joaquin] Almunia a-t-il choisi, désormais, de se passer de l’avis des experts du marché?"

Une autre organisation de plaignants, FairSearch, a jugé que la Commission avait "accepté une proposition pire que le statu quo", selon les propos de Thomas Vinje, conseiller juridique de FairSearch Europe. 

L'association européenne des éditeurs de presse ENPA n’a pas été plus tendre. Elle a ainsi jugé que les propositions de Google "ne mettaient pas fin à la promotion de ses propres services, mais auraient pour résultat de les rendre légaux".

Joaquin Almunia a de son côté rétorqué que les enquêtes de la Commission en matière de position dominante visaient "les abus, pas la position dominante" en tant que telle. "Ma mission est de protéger la concurrence au bénéfice des consommateurs, pas de protéger les entreprises concurrentes", a-t-il insisté, notant encore qu'"aucune autre autorité de concurrence n'avait obtenu cela" de Google, pas même les autorités américaines.

Néanmoins, l'association européenne de défense des consommateurs Beuc a estimé dans un communiqué que la Commission avait "raté, de loin, l'objectif d'assurer un choix juste pour les consommateurs".