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Le premier "rapport anticorruption de l'UE" présente le Luxembourg comme un pays où le problème de la petite corruption ne se pose pas, mais où la taille réduite du monde des affaires crée un risque de conflits d'intérêts
03-02-2014


comm-malmstroem-anti-corruption-report-140203La corruption reste un défi pour l’Europe. Elle n'épargne aucun État membre et coûte près de 120 milliards d’euros par an à l’économie de l’Union européenne. Les États membres ont pris de nombreuses initiatives au cours des dernières années, mais les résultats obtenus sont inégaux et des efforts supplémentaires sont nécessaires pour prévenir et sanctionner la corruption. Telles sont quelques-unes des conclusions du tout premier "rapport anticorruption de l'UE", publié le 3 février 2014 par la Commission européenne et présenté par la commissaire aux affaires intérieures, Cecilia Malmström.

Ce rapport expose la situation dans chaque État membre : les dispositifs anticorruption en vigueur, les mesures ayant fait leurs preuves, les éléments susceptibles d'être améliorés et les moyens pour ce faire.

Le rapport montre que non seulement la nature des actes de corruption, mais aussi le niveau de corruption, et l’efficacité des mesures prises pour lutter contre ce phénomène varient d’un État membre à l’autre. Il en ressort également que la corruption mérite une plus grande attention dans tous les États membres.

C’est d'ailleurs ce qu’illustrent les résultats, également publiés le 3 février 2014, d’une enquête Eurobaromètre portant sur l'attitude des Européens à l’égard de la corruption. L'enquête montre que plus des trois quarts (76 %) des Européens pensent que la corruption est un phénomène très répandu et plus de la moitié (56 %) que le niveau de corruption dans leur pays a augmenté au cours des trois dernières années. Un Européen sur douze (8 %) déclare avoir fait l'objet ou avoir été témoin d'un acte de corruption au cours de l'année qui précède.

La corruption touche tous les États membres mais de façons très différentes

Voici quelques-unes des principales tendances constatées dans l’UE en matière de corruption.

1. Les mécanismes de contrôle

Recours à des politiques de prévention (par exemple, règles d'éthique, mesures de sensibilisation, facilité d’accès aux informations d’intérêt public). Il existe des écarts considérables entre les États membres pour ce qui est de la prévention de la corruption. Dans certains, l'efficacité de la prévention a contribué à construire une solide réputation de pays très peu corrompus ; dans d'autres, les politiques de prévention ont été mises en œuvre de façon inégale, avec des résultats médiocres.

Mécanismes de contrôle internes et externes. Dans de nombreux États membres, les contrôles internes portant sur les procédures au sein des administrations publiques (notamment à l'échelon local) sont insuffisants et non coordonnés.

Conflits d’intérêts. Les règles relatives aux conflits d’intérêt varient d'un État membre à l'autre, et les mécanismes de vérification des déclarations sont souvent insuffisants. Les sanctions en cas de violations de règles sont rarement appliquées et souvent insuffisantes.

2. Les poursuites et les sanctions

Des dispositions de droit pénal incriminant la corruption sont un peu partout en vigueur, conformément aux règles édictées par le Conseil de l’Europe, les Nations unies et l’UE. Il n’en reste pas moins que la décision-cadre 2003/568/JAI relative à la lutte contre la corruption dans le secteur privé a été transposée de manière inégale par les États membres.

L'efficacité de la répression et des poursuites dans les affaires de corruption varie sensiblement d'un État membre à l'autre. Des résultats remarquables sont constatés dans certains États membres. Dans certains autres, les poursuites couronnées de succès sont rares ou bien les enquêtes sont excessivement longues.

La plupart des États membres ne disposent pas de statistiques globales sur les délits de corruption, ce qui rend la comparaison et l’évaluation plus difficiles. Dans certains, des dispositions d'ordre procédural, et notamment des règles sur la levée des immunités du personnel politique, entravent le traitement des affaires de corruption.

3. La dimension politique

Responsabilisation du personnel politique. L'intégrité de la vie politique demeure un problème dans de nombreux États membres. Par exemple, il n'est pas courant que des partis politiques ou des assemblées élues se dotent de codes de conduite, au niveau central ou local, et ceux qui existent manquent souvent d'effets réels.

Financement des partis politiques. Bien que de nombreux États membres se soient dotés de règles plus strictes en matière de financement des partis, d'importantes lacunes subsistent. Il est rare de voir imposer des sanctions dissuasives contre le financement illégal des partis dans l’UE.

4. Les domaines à risque

Les risques de corruption sont généralement plus élevés aux niveaux régional et local, où les garde-fous et les contrôles internes tendent à être moins stricts qu’au niveau central.

La promotion et la construction immobilières en zone urbaine, ainsi que les soins de santé, sont des secteurs exposés à la corruption dans un certain nombre d’États membres.

La surveillance des entreprises publiques est déficitaire, ce qui accroît leur vulnérabilité face à la corruption.

Les actes de corruption mineurs demeurent un problème dans quelques États membres seulement.

Les marchés publics : un secteur exposé à la corruption

Le rapport comprend également un chapitre spécifique sur les marchés publics, lesquels constituent un secteur d’une grande importance pour l'économie des États membres, puisqu'environ un cinquième du PIB de l’UE est dépensé chaque année par des entités de droit public pour l'acquisition de biens, de travaux et de services. C'est également un domaine exposé à la corruption.

Le rapport préconise un renforcement des normes d’intégrité dans le domaine des marchés publics et suggère des améliorations à apporter aux mécanismes de contrôle dans un certain nombre d'États membres. Les chapitres relatifs aux pays fournissent des informations détaillées et signalent des éléments méritant une plus grande attention.

Perception du Luxembourg sous l’angle de la corruption et recommandations politiques de la Commission européenne

Dans la partie du rapport consacrée spécifiquement au Grand-Duché, la Commission écrit que "le Luxembourg est perçu comme un pays où le problème de la petite corruption ne se pose pas et où des systèmes efficaces ont été mis en place pour prévenir la corruption dans les services publics. La taille réduite du monde des affaires luxembourgeois et le manque de règles en matière de lobbying et d'accès à l'information créent cependant un risque de conflits d'intérêts."

La Commission parle également de "l'absence de dispositions régissant les pratiques de pantouflage".

Elle propose donc "que le Grand-Duché précise ses normes comptables nationales, ainsi que les obligations comptables des partis politiques, et mette en place un mécanisme de contrôle des comptes de campagne électorale. Elle propose également que le Luxembourg renforce ses règles en matière de conflit d'intérêts des agents publics et adopte une législation sur l'accès public à l'information. Les ressources consacrées à la lutte contre la criminalité financière et économique devraient être augmentées."

Selon la Commission européenne, les points suivants méritent, dès lors, une attention accrue:

  • Clarifier les obligations comptables applicables et la portée des devoirs comptables des partis politiques de manière à y inclure l'ensemble des structures directement ou indirectement rattachées aux partis. Introduire un mécanisme de surveillance spécifiquement applicable aux comptes de campagne et au financement de chaque candidat ; ce mécanisme rendrait les règles sur les dons consentis par des personnes morales aux candidats cohérentes avec celles applicables aux partis.
  • Garantir la vérification, par un mécanisme indépendant, des conflits d'intérêts des agents élus et des fonctionnaires aux niveaux national et local.
  • Adopter une législation en matière d'accès aux informations publiques établissant clairement l'obligation des autorités publiques d'accorder un accès aux informations et aux documents d'intérêt général et définissant les conditions d'un éventuel refus d'accès.
  • Augmenter les ressources affectées à la lutte contre la délinquance financière et économique, y compris les ressources du pouvoir judiciaire et de la police, afin d'assurer une réponse proportionnée aux risques, qui soit à la hauteur de l'importance du Luxembourg en tant que place financière.

Le sondage d’opinion sur la corruption au Luxembourg

En plus d'une analyse de la situation dans chaque État membre de l’UE, la Commission européenne présente les résultats de deux vastes sondages d’opinion, l’un auprès des citoyens, l’autre auprès des entreprises.

Plus des trois quarts des citoyens européens, et 42 % des Luxembourgeois, estiment que la corruption est très répandue dans leur propre pays. Mais seulement 1 % des Luxembourgeois déclarent avoir été explicitement ou implicitement invités à payer un pot-de-vin au cours de l’année écoulée, alors que la moyenne européenne se situe à 4 %, ce qui conduit la Commission à conclure que « la petite corruption semble inexistante ». Par ailleurs, les personnes interrogées n'ont, dans leur grande majorité, pas été témoin de corruption (94 %), et 92 % d’entre elles ont déclaré ne pas se sentir personnellement victimes de la corruption dans leur vie quotidienne (moyenne pour l’UE: 70 %).

En ce qui concerne les partis politiques, les Luxembourgeois sont très partagés. Dans des proportions semblables aux Polonais (39 %), aux Bulgares (41 %), aux Lituaniens et aux Finnois (43 %), aux Roumains (46 %) et aux Néerlandais (47 %), les Luxembourgeois sont 45 % à croire que la corruption est largement répandue dans leurs partis politiques. Mais l’autre moitié, ou 45 % des sondés du Luxembourg, ont une perception très positive des politiciens du pays, devancés seulement par la Suède (46 %), et suivis en cela par Chypre (38 %), la Lituanie (40 %), la Lettonie (41 %), la Bulgarie, Malte et la Pologne (42 %).

Dans les entreprises luxembourgeoises, la corruption est considérée comme un obstacle à l’activité économique par 30 % des personnes interrogées, alors que la moyenne pour l'UE est de 46 %. Les personnes interrogées s’en prennent avant tout au népotisme et au favoritisme, qu’elles sont 47 % à dénoncer, alors que la moyenne pour l'UE est de seulement 41 %, ce qui conduit la Commission à conclure que cet aspect "semble donc susciter davantage de préoccupations".

Selon le même sondage, 22 % des sondés ayant participé à des appels d'offres de marchés publics au cours des trois dernières années ont déclaré avoir été empêchés de les remporter à cause de la corruption, contre une moyenne de 32 % pour l’UE. Dans 44 % des cas, les personnes interrogées au Luxembourg ont signalé l'existence d'un cahier des charges taillé sur mesure pour certaines entreprises. Les soumissions concertées sont considérées comme une pratique courante par 40 % des personnes interrogées, tandis que 42 % d'entre elles signalent des conflits d’intérêts dans l’évaluation des offres et 36 % ont déploré l'insuffisante clarté des critères de sélection ou d'évaluation. Ces pourcentages se situent en deçà de la moyenne de l’UE.

Reste que le Luxembourg fait partie, lorsque la question est posée sur la corruption et l’abus de pouvoir en vue d’un gain personnel qui pourrait régner parmi les agents publics qui attribuent les marchés des pays, des Etats membres "dans lesquels la perception des agents publics est systématiquement la plus positive", même si elle a perdu 14 points de pourcent depuis 2011, une des augmentations de défiance parmi les plus fortes dans l’UE. Seulement 22 % des Danois, 31 % des Finlandais, 32 % des Irlandais et 32 % des résidents du Luxembourg – ils n’étaient même que 18 % en 2011 - pensent ici qu’il y a anguille sous roche, alors que 64 % des Néerlandais pensent que leur agents publics poursuivent un intérêt personnel avec l’attribution de marchés publics.  

Bonnes pratiques au Luxembourg: la participation active du secteur civil dans la protection des donneurs d'alerte

Dans son rapport, la Commission met en exergue une bonne pratique au Luxembourg: Une ligne téléphonique spéciale permettant au public de signaler des faits à titre anonyme est gérée par Transparency International Luxembourg. Elle est subventionnée par l'État. Conformément à la législation luxembourgeoise, les associations enregistrées qui représentent des intérêts publics ont le droit de participer aux poursuites pénales dans les cas de prise illégale d'intérêts, de corruption ou de trafic d'influence. Toute association qui souhaite exercer ce droit dans le cadre d'une procédure pénale doit être agréée par le ministère de la justice. Transparency International Luxembourg ayant obtenu ce statut, il peut traiter les cas qui lui sont soumis par d'éventuels donneurs d'alerte puis représenter l'intérêt public dans le cadre de la procédure pénale, tout en préservant l'anonymat du donneur d'alerte.

Réaction de Transparency International Luxembourg

Transparency International Luxembourg déclare dans un communiqué qu'elle "continue de
réclamer entre autres un ou plusieurs codes de déontologie liant les députés, les membres du gouvernement, les élus locaux, les fonctionnaires étatiques et municipaux ainsi que les personnes travaillant pour compte des établissements publics."
L'ONG "œuvre également en vue d’un élargissement de la protection du "whistleblower" ou "lanceur d’alerte" institué suivant la loi du 13 février 2011 et ce notamment en vue d’accorder une protection à des personnes qui tirent l’alerte à l’égard d’une institution tierce."
Association pour la Promotion de la Transparence a.s.b.l."
"De surcroît, dans le cadre de sa lutte pour plus de transparence, Transparency International
Luxembourg appelle toujours de ses vœux l’introduction d’une véritable loi d’accès aux
informations telle qu’elle existe déjà dans de nombreux pays."

Les voisins du Luxembourg

La Belgique dispose du cadre nécessaire pour lutter contre la corruption, mais il est possible de faire mieux encore. Aujourd’hui, le risque existe que la corruption ne soit pas traitée de la même manière partout en Belgique, en raison de la répartition des compétences entre les niveaux régional et fédéral. Dans son rapport, la Commission européenne propose donc que des règles d'éthique soient appliquées à l'ensemble du personnel politique et administratif aux niveaux fédéral, régional et local. De plus, la Belgique est invitée à renforcer les capacités des systèmes judiciaire et répressif, de telle sorte que tout acte de corruption donne lieu à des poursuites avant l'expiration du délai de prescription. La Commission propose également que le champ d'application de la législation anticorruption visant le financement des partis soit étendu aux partis qui ne reçoivent pas de subventions fédérales.

Dans le sondage d’opinion, 67 % des Belges estiment que la corruption est très répandue dans leur propre pays. 3 % des Belges déclarent avoir été explicitement ou implicitement invités à payer un pot-de-vin au cours de l’année écoulée. Quatre entreprises européennes et belges sur dix considèrent la corruption comme un obstacle aux affaires.

La France a pris récemment, en matière de conflits d’intérêts, des mesures législatives applicables au personnel politique et aux agents publics. En revanche, les risques de corruption dans le secteur des marchés publics et dans les transactions commerciales internationales n’ont pas été traités. Dans son rapport, la Commission européenne propose donc que la France procède à une évaluation globale visant à détecter les risques au niveau local et fixe des priorités pour des mesures de lutte contre la corruption dans le secteur des marchés publics.

La Commission propose également que la France renforce sa législation sur la corruption étrangère, donne suite aux recommandations sur le financement des partis formulées par le Conseil de l’Europe et s'efforce d'accroître l’indépendance opérationnelle des parquets.

68 % des Français estiment que la corruption est très répandue dans leur propre pays et 2 % des Français déclarent avoir été explicitement ou implicitement invités à payer un pot-de-vin au cours de l’année écoulée. Au niveau européen, quatre entreprises sur dix considèrent la corruption comme un obstacle aux affaires. En France, le chiffre est plus élevé, puisque cet avis est partagé par six entreprises françaises sur dix.

L’Allemagne est considérée comme un des Etats membres où la lutte contre la corruption a pu engranger le plus de succès. Toutefois, la Commission européenne estime qu’elle peut faire mieux. Elle recommande que l’Allemagne légifère pour instaurer des sanctions plus sévères contre les mandataires politiques élus convaincus d’actes de corruption. La Commission recommande également à l’Allemagne de fixer des règles pour gérer les conflits d‘intérêts touchant des mandataires politiques qui quittent leurs fonctions pour rejoindre des entreprises qu’ils ont soutenues avant. Autre recommandation : une campagne de sensibilisation auprès des PME pour ce qui est des phénomènes de corruption à l’étranger. Certains efforts pourraient également être livrés pour dissiper les doutes au sujet du financement des campagnes électorales.