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Droits fondamentaux, lutte contre la discrimination
La Commission européenne donne une suite favorable à la première initiative citoyenne réussie, "Right2Water", qui vise à inscrire le droit à l’eau comme un droit universel
19-03-2014


L'initiative citoyenne "L'eau, un droit humain" a recueilli 1 million de signatures le 11 février 2013La toute première initiative citoyenne européenne (ICE) à avoir satisfait aux conditions relatives au nouvel instrument, "Right2Water" ("R2W"), recevra une suite positive de la Commission européenne "dans les aspects relevant de sa compétence" a annoncé l’exécutif européen dans une communication publiée le 19 mars 2014.

Le contexte

Pour mémoire, en juin 2012, une ICE visant à inscrire le droit à l’eau comme un droit universel était lancée. Quelques mois plus tard, elle était la première ICE à passer le cap du million de signatures nécessaires et dès le 9 mai 2013, "Right2Water" avait dépassé le seuil des 7 pays et du million de signatures nécessaires pour que l’ICE puisse être prise en compte. Au Luxembourg, le quorum des 4500 signatures requis avait été atteint début mai 2013.

Forts du soutien de 1,68 million de citoyens et des seuils légaux largement dépassés dans 13 Etats membres, les organisateurs de l’ICE avaient transmis officiellement leur initiative à la Commission européenne en décembre 2013. Validée, l’ICE permet à un million de citoyens provenant d’au moins un quart des Etats membres de l’UE d’inviter la Commission européenne à présenter une proposition législative dans des domaines relevant de la compétence de l'UE.

La Commission disposait d'un délai de trois mois pour exposer la suite qu'elle entendait donner à cette initiative au moyen d'une communication présentant "ses conclusions juridiques et politiques sur l’initiative, l’action qu’elle compte entreprendre, le cas échéant, ainsi que les raisons qu’elle a d’entreprendre ou de ne pas entreprendre cette action".

La communication de la Commission européenne

L’initiative R2W invite la Commission à faire en sorte que tous les citoyens de l’UE jouissent du droit à l’eau et à l’assainissement, à veiller à ce que l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques ne soient pas soumis aux règles du marché intérieur et soient exclus de la libéralisation, et à intensifier ses efforts pour garantir l’accès universel à l’eau et à l’assainissement dans le monde entier.

La réponse de la Commission, publiée dans sa communication du 19 mars, s’attache tout d’abord à décrire "l’énorme volume de travail déjà accompli par l’UE dans le domaine de l’eau et de l’assainissement". Ainsi, l’UE a-t-elle notamment établi "des normes ambitieuses" pour la qualité de l’eau et apporté une aide financière pour le développement et l'amélioration des infrastructures d’approvisionnement en eau dans les États membres.

"Les actions passées et actuelles de l’UE reconnaissent clairement l’importance de l’eau comme bien public essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l'exercice de tous les droits de l’homme. Dans les limites de ses compétences et dans le plein respect du principe de subsidiarité, l’UE a toujours fait en sorte que l’accès à l’eau potable et à un meilleur système d’assainissement devienne une réalité pour tous, tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Europe", précise la Commission.

Les services liés à l'eau dans le marché intérieur "avant tout du ressort national"

Par rapport à la crainte que suscite une privatisation potentielle des services liées à l'eau ou leur mise en concurrence selon les règles du marché intérieur européen, la Commission insiste sur le fait que "dans l’UE, la décision sur l'optimisation des services liés à l’eau reste clairement du ressort des pouvoirs publics des États membres".

Les "autorités publiques sont entièrement libres d’accomplir directement cette mission, par leurs propres moyens, ou de la confier à des entités internes, juridiquement distinctes et totalement publiques", poursuit la Commission. Elles peuvent également décider d'externaliser partiellement ou entièrement ces services auprès d'une structure privée ou mixte, auquel  cas, les autorités publiques sont pleinement habilitées à imposer des obligations claires aux opérateurs privés afin de garantir que les services fournis dans la zone géographique relevant de leurs compétences satisfont aux normes établies.

Garantir la neutralité de la fourniture des services liés à l'eau

La Commission assure dans sa communication qu'elle "continuera de se conformer et de garantir le plein respect des règles du traité exigeant la neutralité de l'UE à l’égard de décisions nationales régissant le régime de propriété des entreprises de distribution d’eau, tout en veillant au respect des principes essentiels du traité, comme la transparence et l’égalité de traitement". "L’UE ne peut, par conséquent, pas adopter d'actes juridiques ayant une incidence sur les règles régissant le régime de la propriété, y compris ceux ayant une incidence sur la propriété des entreprises qui fournissent des services publics, comme l'approvisionnement en eau", détaille la communication.

Les règles du marché intérieur de l’UE "respectent totalement la compétence des pouvoirs publics pour ce qui est de garantir les normes requises en matière de services de qualité, de décider des tarifs à appliquer et d’imposer les obligations de service public nécessaires, notamment la protection des usagers défavorisés. Ces règles visent à accroître la transparence, à garantir l'absence de discrimination et à permettre aux citoyens d'obtenir des services de qualité grâce aux redevances et aux taxes dont ils s'acquittent", assure encore la Commission.

Ainsi, les règles de l'UE relatives aux marchés publics garantissent un processus de sélection du prestataire transparent et le choix de l'offre la plus profitable aux utilisateurs, si les autorités publiques décident de faire appel à une société extérieure pour la gestion de l'eau. En revanche, si les pouvoirs publics optent pour une coopération entre entités publiques, la législation de l’UE dans le domaine des marchés publics fournit également un cadre juridique sûr et souple pour cette coopération.

L’UE a toujours tenu compte de la spécificité des services liés à l’eau

Ainsi en ce qui concerne les préoccupations exprimées par l’initiative citoyenne, à savoir que l’approvisionnement en eau et la gestion des ressources hydriques ne devraient pas être soumis aux "règles du marché intérieur" et que "les services des eaux devraient être exclus de la libéralisation", la Commission confirme que la législation sur les marchés publics ne s’applique pas lorsque les autorités locales décident de fournir les services elles-mêmes, par l’intermédiaire d’une entreprise commune ou d’une entreprise liée.

"La législation de l’UE a toujours tenu compte de la spécificité des services liés à l’eau et à l’assainissement et du rôle important qu'ils jouent dans la satisfaction des besoins essentiels de la population", assure d'ailleurs la communication. Les concessions dans le secteur de l’eau potable, ainsi que certaines concessions pour le traitement et l'évacuation des eaux résiduaires sont donc exclues du champ d’application de la nouvelle réglementation de l’UE y relative, conséquence directe des préoccupations exprimées par les citoyens. En outre, les services de distribution et de fourniture d’eau et les services de traitement des eaux usées sont expressément exclus du champ d’application de la libre prestation de services transfrontières établie par la directive sur les services.

"De même, dans les négociations commerciales internationales, la Commission continuera de veiller à ce que les choix faits à l'échelon national, régional et local en matière de gestion des services liés à l’eau soient respectés et garantis", ajoute la communication.

Garantir une meilleure qualité de l'eau et un meilleur accès

Au sujet de la qualité de l'eau et de son accés, la Commission estime que "la mise en œuvre intégrale par les États membres de la législation de l’UE dans le domaine de l'eau est essentielle pour garantir un accès à l’eau potable à tous les citoyens de l’UE". Malgré les progrès considérables réalisés au fil des années, l’accès à une eau et à un système d’assainissement de qualité peut encore être amélioré, notamment pour les personnes vivant dans des régions desservies par des systèmes de distribution d’eau à petite échelle poursuit la Commission, qui "intensifiera ses efforts en vue de la mise en œuvre intégrale par les États membres de la législation de l’UE relative à l'eau".

En ce qui concerne "l'aspect essentiel du caractère abordable de l’eau", une action au niveau national demeure indispensable, juge la Commission. Cette action est indissociable des politiques élaborées par les États membres en vue de réduire la pauvreté et de lutter contre l’exclusion sociale, qui sont également soutenues et complétées au niveau de l’UE. La Commission invite donc les États membres, agissant dans les limites de leurs compétences, à garantir l’accès à une quantité minimale d’eau à tous les citoyens, conformément aux recommandations de l’Organisation mondiale de la santé, et à appliquer correctement la directive-cadre sur l’eau.

Au niveau mondial, l’UE et ses États membres financent actuellement des programmes en faveur de l'approvisionnement en eau, de l'assainissement et de l'hygiène dans les pays en développement, pour un montant de près de 1,5 milliard d’euros par an, ce qui fait de l’Union le principal donateur au monde dans ce domaine. "La Commission est déterminée à faire en sorte que la dimension 'droits de l'homme' de l'accès à l’eau potable et à l’assainissement reste au centre de sa politique de développement. L’UE entend poursuivre ses efforts pour faire de la réalisation de l’accès universel à l’eau et à l’assainissement un élément essentiel de sa politique de développement", ajoute la communication de la Commission.

Les nouveaux engagements de la Commission européenne

À la lumière de l’initiative citoyenne européenne, la Commission a essayé de déceler les lacunes qui subsistent et les domaines dans lesquels des efforts supplémentaires doivent être déployés – à l'échelon de l’UE ou au niveau national – afin de répondre aux préoccupations à l'origine de cette mobilisation des citoyens. La Commission s’est dès lors "engagée à prendre les mesures concrètes et nouvelles actions suivantes" dans les domaines qui présentent un intérêt direct pour l’initiative et ses objectifs:

  • intensifier les efforts en vue de la mise en œuvre intégrale par les États membres de la législation de l’UE sur l'eau;
  • lancer une consultation publique au niveau de l'UE concernant la directive sur l’eau potable pour déterminer les améliorations à apporter et la manière de procéder;
  • améliorer l'information aux citoyens grâce à une gestion et à une diffusion des données simplifiées et plus transparentes dans le domaine des eaux urbaines résiduaires et de l’eau potable;
  • étudier la possibilité de la mise en place d’une évaluation comparative de la qualité de l’eau;
  • instaurer un dialogue plus structuré entre les parties prenantes sur la transparence dans le secteur de l’eau;
  • coopérer avec des initiatives existantes dans le but de définir un ensemble de critères de référence plus large pour les services liés à l’eau, améliorant ainsi la transparence et responsabilisant davantage les prestataires dans ce domaine en mettant à la disposition des citoyens des données sur les principaux indicateurs économiques et qualitatifs;
  • encourager les approches innovantes pour l’aide au développement (par exemple, soutien aux partenariats entre les compagnies de distribution d’eau et aux partenariats public-public), promouvoir les bonnes pratiques entre les États membres (portant, par exemple, sur les instruments de solidarité) et rencenser de nouvelles possibilités de coopération;
  • promouvoir l’accès universel à l’eau potable et à l’assainissement en tant que domaine prioritaire dans les objectifs de développement durable pour l'après-2015;
  • enfin, inviter les États membres, agissant dans le cadre de leurs compétences, à tenir compte des préoccupations exprimées par les citoyens au moyen de cette initiative et les encourager à intensifier leurs efforts pour garantir la fourniture d’eau potable à un prix abordable pour tous.

Les réactions

"Les citoyens européens se sont exprimés et aujourd’hui, la Commission a donné une réponse positive. Ce tout premier exercice paneuropéen de démocratie citoyenne aura pour conséquence directe d'améliorer la qualité de l’eau, les infrastructures, l’assainissement et la transparence pour tous – tant en Europe que dans les pays en développement. Je félicite les organisateurs pour le résultat qu'ils ont obtenu», a commenté Maroš Šefčovič, vice-président de la Commission européenne.

Le député européen Sven Giegold (Verts/ALE) ne partage pas cet avis. Il regrette que la Commission n’ait pas émis des propositions législatives. La Commission "refuse de donner une réponse claire à des revendications claires, en s’apprêtant à poser des mois durant de nouvelles questions", lui reproche-t-il dans un communiqué. Il voit dans la consultation  annoncée dans la communication de la Commission "une tentative de repousser le débat au-delà des élections européennes".

Son homologue vert, le Luxembourgeois Claude Turmes, est tout aussi sceptique : s’il salue dans un communiqué comme "positif"  le fait que la Commission européenne a souligné dans sa réponse "que l'approvisionnement en eau n'est pas soumis aux règles du marché intérieur, mais relève de la compétence des États membres qui peuvent décider indépendamment s’ils organisent leur approvisionnement en eau au travers d’établissements privés ou publics", l'eurodéputé relève néanmoins que la Commission européenne ne répond pas à des "questions cruciales".

"Elle ne s'engage ni à inscrire l’eau comme un droit fondamental, ni n’exclut que l'approvisionnement en eau puisse être libéralisé à l'avenir", appuie-t-il, soulignant que le secteur de l'eau a été exclu du champ d'application de la directive sur les marchés publics "sous la pression de l'initiative des citoyens".

Selon le député européen, "le danger de la libéralisation" continue de menacer le secteur de l’eau, d’autant plus que l'attitude de la Commission européenne par rapport à l’accords de libre-échange transatlantique (TTIP) en cours de négociation ne serait "pas claire". "La Commission européenne n'exclut pas que certains aspects de l'approvisionnement en eau puissent être privatisés par l'accord", poursuit Claude Turmes.

Et de conclure : "Dans l'ensemble, il reste beaucoup de questions floues. Il est donc important de maintenir la pression sur le prochain président de la Commission européenne".

Du côté du groupe S&D, qui disait espérer que la Commission présente une proposition législative visant à promouvoir l'approvisionnement en eau et à l'assainissement comme un service public essentiel pour tous, les socialistes regrettent par voie de communiqué "le manque d'engagement de la Commission en ce qui concerne la demande des Européens pour garantir l'accès à l'eau et à l'assainissement et à arrêter la libéralisation des services de l'eau, car l'eau est un droit public". Si l'annonce de la révision de la directive cadre sur l'eau et de la directive sur l'eau potable est un développement positif selon les S&D, elle ne va pas assez loin.

"C'est une honte que la Commission ne réponde pas aux attentes des citoyens européens qui avaient signé la toute première ICE et ne parvienne pas à reconnaître le droit à l'eau et à l'assainissement comme un droit humain. Cela donne un mauvais signal aux citoyens qui veulent participer dans la construction du projet européen", s’est notamment indignée la députée européenne portugaise Edite Estrela.

Son homologue socialiste grec, Kriton Arsenis, a de son côté dénoncé une réponse "faible et évasive". Selon l’eurodéputé, la Commission "a échoué à proposer une législation reconnaissant le droit humain à l'eau", a "refusé de s’engager à ne présenter aucune autre proposition de libéralisation de l'eau et de l'assainissement", et elle n’a pris "aucun engagement d'exclure ces services de négociations commerciales du TTIP avec les Etats-Unis".

L’eurodéputé juge par ailleurs que "les citoyens ont peu de raisons de faire confiance à l'actuelle Commission sur cette question, alors qu’au travers de la Troïka, elle a activement promu la privatisation de l'eau dans les pays de l'UE soumis à des programmes d’ajustement".

"Il s'agit d'une réponse tristement sans ambition à la première ICE, qui était un moyen prévu par le traité de Lisbonne pour être un grand pas vers une Union européenne plus démocratique", regrette-t-il. Et de conclure : "Elle nous montre l'urgence de faire un changement radical dans la façon dont l'Europe est gérée".