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Emploi et politique sociale
CJUE - Selon l’avocat général Melchior Wathelet, l’Allemagne peut, s’il n’y a pas de lien réel avec l’État membre d’accueil, refuser des "prestations sociales pour demandeurs d’emploi indigents" à des ressortissants d’autres États membres
L’Allemagne peut ainsi exclure de telles prestations les personnes qui viennent dans le seul but de chercher un emploi ou de bénéficier de l’aide sociale
20-05-2014


CJUEEn Allemagne, les demandeurs d’emploi indigents peuvent demander le bénéfice de l’assurance de base afin, notamment, de pourvoir à leur subsistance. Les prestations ainsi octroyées visent à permettre une vie conforme à la dignité humaine et sont censées couvrir les besoins de base, les besoins supplémentaires ainsi que les besoins d’hébergement et de chauffage. Toutefois, les personnes qui se rendent en Allemagne dans le seul but de bénéficier de ces prestations ou de rechercher un emploi sont, selon le droit allemand, exclues du bénéfice de ces prestations. L’objectif de cette exclusion est d’éviter une prise en charge déraisonnable des prestations sociales en Allemagne.

Le Sozialgericht Leipzig (tribunal social de Leipzig) cherche à savoir si le droit de l’Union s’oppose à une telle exclusion. Cette juridiction doit trancher un litige qui oppose Mme Dano et son fils mineur, tous deux ressortissants roumains, au Jobcenter Leizig (une administration locale compétente). Invoquant l’exclusion prévue par le droit allemand, le Jobcenter Leipzig a refusé d’allouer à ces deux personnes les prestations de l’assurance de base. Mme Dano et son fils (né en Allemagne) vivent depuis plusieurs années à Leipzig dans l’appartement d’une sœur de Mme Dano, laquelle pourvoit à leur alimentation. Mme Dano n’a pas de qualification professionnelle et n’a jusqu’ici exercé aucune activité professionnelle, que ce soit en Allemagne ou en Roumanie. Il semble qu’elle n’est pas entrée en Allemagne pour chercher du travail et qu’elle ne s’efforce pas de trouver un emploi dans ce pays.

Dans ses conclusions du 20 mai 2014, l’avocat général Melchior Wathelet estime que le droit de l’Union ne s’oppose pas à ce que les ressortissants d’autres États membres se voient refuser, sur la base d’un critère général, le bénéfice d’une "prestation spéciale en espèces à caractère non contributif" (telle que les prestations de l’assurance de base allemande pour demandeurs d’emploi indigents), à condition que le critère retenu (comme par exemple le motif de l’entrée du demandeur sur le territoire de l’État membre) soit susceptible de démontrer l’absence de lien réel avec l’État membre d’accueil et vise ainsi à éviter une charge déraisonnable pour le système national d’assistance sociale.

L’avocat général rappelle que le droit de l’Union autorise les citoyens de l’Union et les membres de leur famille à séjourner dans un État membre autre que celui dont ils sont ressortissants pendant une durée de trois mois, tant qu’ils ne deviennent pas une charge déraisonnable pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. Lorsque de telles personnes souhaitent rester plus de trois mois, elles doivent disposer de ressources suffisantes afin de ne pas devenir une charge pour le système d’assistance sociale de l’État membre d’accueil. Il s’ensuit nécessairement qu’il peut y avoir une inégalité de traitement dans l’octroi des prestations d’assistance sociale entre les ressortissants de l’État membre d’accueil et les autres citoyens de l’Union.

Une législation qui refuse le bénéfice des prestations de l’assurance de base aux personnes qui, loin de chercher à s’intégrer sur le marché de l’emploi, viennent en Allemagne dans le seul but de bénéficier du régime allemand d’assistance sociale est conforme, selon l’avocat général Wathelet, à la volonté du législateur de l’Union. Une telle exclusion permet d’éviter que les personnes qui exercent leur liberté de circulation sans volonté d’intégration ne deviennent une charge pour le système d’assistance sociale. Elle est en outre conforme à la marge de manœuvre laissée aux États membres en la matière. En d’autres termes, elle permet d’éviter les abus et une certaine forme de "tourisme social".

L’avocat général observe en outre que le critère retenu par l’Allemagne (à savoir une arrivée sur le territoire allemand uniquement motivée par la recherche d’un emploi ou par l’obtention de l’aide sociale) est de nature à démontrer l’absence de lien réel avec le territoire de l’État membre d’accueil ainsi que le défaut d’intégration dans celui-ci. Ce critère permet d’assurer la viabilité économique du régime sans mettre en danger son équilibre financier. La législation allemande poursuit donc un objectif légitime, comme cela est requis par la Cour de justice. Par ailleurs, l’avocat général estime que le critère choisi semble proportionné à l’objectif poursuivi. En effet, pour déterminer si le demandeur relève de l’exclusion en cause et doit ainsi se voir refuser l’octroi des prestations de l’assurance de base, les autorités allemandes doivent nécessairement examiner sa situation personnelle.

Pour rappel

Les conclusions de l'avocat général ne lient pas la Cour de justice. La mission des avocats généraux consiste à proposer à la Cour, en toute indépendance, une solution juridique dans l'affaire dont ils sont chargés. Les juges de la Cour commencent, à présent, à délibérer dans cette affaire. L'arrêt sera rendu à une date ultérieure.

Dans 80 % les affaires, les juges de la CJUE suivent néanmoins les conclusions de l’avocat général. Une exception remarquée a cependant été l’arrêt des juges du 8 mai 2014 dans l’affaire Google Espagne sur le droit à l’oubli numérique, où la CJUE est allée bien au-delà des conclusions de l’avocat général.