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Lors d’une table ronde organisée par le magazine "forum", les représentants d’ONG évoquent la difficulté de suivre et d’influencer le processus de décision européen
05-05-2014


elec-forumLe 5 mai 2014, au Carré Rotondes, le magazine "forum" a organisé une table ronde au sujet des rapports entre la société civile et l’UE, s’inscrivant dans le cadre de la campagne pour les élections européennes du 25 mai 2014.

Alors qu’un nombre toujours plus grand de directives et de règlements de l’UE influencent les décisions nationales, dans les domaines aussi divers que l’environnement, de la consommation, de l’aide au développement ou encore des droits de l’homme, le débat animé par Laurent Schmit, du magazine "forum", devait permettre de comprendre par quels moyens les ONG luxembourgeoises  parvenaient à se faire les intermédiaires entre l’UE et les citoyens luxembourgeois, à l’heure où le déficit démocratique de l’UE est souvent dénoncé.

De nombreux sujets

Christine DahmIntervenant en première, interrogée sur les sujets européens qui mobilisent Cercle de coopération, fédération d’ONG actives dans l’aide au développement, sa directrice, Christiane Dahm, a souligné que le champ d’activité politique s’est élargi depuis que fut inscrit, dans le traité de Lisbonne entrée en vigueur en 2009, une disposition sur la cohérence des politiques pour le développement.

Ce concept de cohérence invite à regarder quelles sont les conséquences politiques sur le développement de décisions prises dans d’autres domaines que le développement. Il s’agit de "ne pas reprendre d’une main ce qu’on a donné de l’autre", en scrutant particulièrement les décisions de politique commerciale et agricole notamment, ainsi qu’elle le résume.

Prenant l’exemple de la négociation des accords de partenariat économique (APE) entre l’UE, d’une part, et les pays composant le groupe "Afrique, Caraïbe, Pacifique" (ACP), elle explique que la tâche du Cercle fut de donner la parole aux représentants de la société civile africaine qui en dénonce "conséquences désastreuses".

Nico Clement, responsable de la Grande Région pour le syndicat indépendant OGBL, rappelle que l’OGBL, avec le syndicat chrétien LCGB, ont fondé un secrétariat européen commun, pour s’entendre sur leurs positions communes qui sont transmises ensuite à la Confédération européenne des syndicats, qui a un dialogue institutionnalisé avec la Commission européenne et les représentants patronaux.

Parmi différents sujets abordés durant les dernières années, Nico Clement énumère la modification de la directive du temps de travail, les directives sur le congé parental, sur la sécurité et la santé, ou encore les actions de résistance à la directive Bolkestein. C’est souvent de manière défensive que le syndicat a agi, en raison d’une Commission européenne qui aurait emprunté ces dernières années, une "direction ultra néo-libérale", caractérisée par "un très faible nombre d’initiatives prises pour l’amélioration du droit des travailleurs en Europe".

L’OGBL entretient par ailleurs des contacts auprès des eurodéputés de la Grande Région, via le Conseil interrégional des syndicats.

Bob SchmitzConseiller de l’Union luxembourgeoise des consommateurs depuis 1992, actif à Bruxelles depuis 1976, Bob Schmitz développe une vision plus positive de l’œuvre de l’UE dans le champ d’action qui est le sien. Au Luxembourg, qui fut pourtant jadis pionnier  en la matière, "la protection des consommateurs vient pour l’instant seulement de Bruxelles", souligne-t-il. Les trois pays voisins, France, Allemagne et Belgique, ont encore des Parlements capables de légiférer en la matière, comme la récente loi française sur la durabilité des produits le prouve.  

Le travail de sensibilisation semble toutefois aisé dans le domaine de la protection des consommateurs. Alors que le Luxembourg, est "le laboratoire par excellence pour les achats transfrontaliers", les "faits pragmatiques" et l’expérience quotidienne partagées par l’ULC, (commerce électronique, refus de vente, droit applicable...), sont précieux. En raison de la présence au Luxembourg du siège d’entreprises telles Amazon et Apple, l’ULC a une certaine responsabilité à veiller à ce que les entreprises n’y profitent pas de règles plus laxistes pour ensuite accéder au marché unique.

Ancien président de l’Association de soutien aux travailleurs immigrés (ASTI) et actuel président de l'Association Européenne pour la Défense des droits de l'Homme (AEDH), Serge Kollwelter a une expérience au niveau national mais aussi de coordination à l’échelle européenne. Il souligne qu’il n’est pas simple de faire partager aux ONG nationales l’importance de suivre ce qui se passe dans les réunions européennes. "Demeure plutôt le réflexe de se bouger quand la directive va être transposée dans le droit national." Mais alors, la marge de manœuvre est bien plus réduite qu’au début du processus. "Le TGV est déjà parti", dit-il.

Le manque de transparence

elec-forum-kollwelterSerge Kollwelter  s’est longuement étendu sur le problème que pose l’absence de transparence sur les décisions prises au Conseil des ministres, qu’il qualifie de « black box », au contraire de ce qu’il se passe au Parlement européen, où on peut accéder aux réunions des commissions parlementaires sans entrave.

Il estime que la Chambre des députés a aussi une coresponsabilité dans ce manque de transparence. "Nous avons 66 députés européens", estime-t-il, en ajoutant aux six eurodéputés, les 60 députés nationaux, chargés de contrôler le travail des ministres, qui siègent au Conseil européen. Seuls le Danemark et les Pays-Bas se mettent d’accord sur un mandat avec leurs ministres en amont du Conseil.

Par ailleurs, le président de l’AEDH déplore aussi que la Commission européenne se taille des interlocuteurs sur mesure, comme elle l’aurait fait en instituant un réseau européen contre le racisme. La tenue de deux réunions par an est qualifiée de "dialogue structuré". C’est "se moquer des gens", selon lui.

Christiane Dahm souligne que ce manque de transparence sur la scène européenne mais aussi au niveau national dans la manière de préparer la position du pays, expliquent que le processus européen semble lointain aux citoyens.

S’appuyant sur le cas récent de l’Accord commercial avec la Colombie, Christiane Dahm constate que certains sujets n’intéressent pas les députés nationaux à la différence de leurs homologues de l’étranger. Au Luxembourg, l’accord de libre-échange a été adopté sans discussion à aucun niveau, alors qu’il fut bloqué en Belgique. "Penser que nous n’avons rien à dire, que notre poids est négligeable par rapport aux autres, c’est parfois plutôt une excuse, car chaque Etat membre a le droit de vote."

Nico Clement est plutôt d’avis qu’il est difficile pour la Chambre des députés luxembourgeoise d’influencer "le flux de directives en aval". On le voit pendant les présidences de l’UE, des Etats membres ont beaucoup plus de moyens à disposition pour faire avancer les négociations. "Ça ne veut pas dire qu’on ne peut rien faire, mais c’est bien plus compliqué d’être chef de file", admet-il.

Bob Schmitz regrette, dans ce contexte, qu’il n’existe pas, à la Chambre des députés, de commission parlementaire spécialement dédiée aux affaires européennes, et ce afin de prolonger davantage le processus européen au niveau national, comme c’est le cas au Royaume-Uni par exemple.

Différences avec les lobbys et moyens limités

Rappelant que le 13 mars 2013, dans le cadre de la réforme de la PAC, l’eurodéputée CSV, Astrid Lulling, avait dénoncé les agissements du "lobby écologiste", Laurent Schmit, a ensuite interrogé les participants à la table ronde sur le fait que les ONG sont parfois assimilées à des lobbys.

Christiane Dahm a rétorqué en distinguant entre le lobbying, entendu comme le travail mené par des représentants des intérêts particuliers d’entreprises, et le plaidoyer, propre aux ONG qui défendent ainsi l’intérêt d’autres, de populations qui n’ont pas les capacités de se défendre elles-mêmes. "C’est le rôle de la société civile de s’employer à donner une voix à des personnes qui ne sont pas organisées, qui sont vulnérables." C’est un élément qui fait partie entière d’un système démocratique, a-t-elle notamment dit.

Il existe des campagnes pour lesquelles le Cercle de coopération s’adresse directement aux eurodéputés. "Il y en a des plus disponibles, plus intéressés, plus ouverts à cet échange et d’autres qu’on ne voit jamais", se contente-t-elle de dire au sujet de ces rapports. Parfois, le Cercle, reconnu pour ses compétences, est aussi consulté sur certaines questions, par des eurodéputés. Au niveau national, le Cercle entretient de bonnes relations avec les autorités, qu’il s’agisse du ministère  ou des membres de la commission parlementaire compétente.

Tous les intervenants ont souligné la difficulté de suivre l’ensemble des thèmes européens à côté des thèmes nationaux, dans un petit pays, aux moyens limités. "Pour nous, ce qui est important est de faire ce travail en réseau, car au Luxembourg nous sommes trop petits pour suivre tous ces thèmes européens", a ainsi déclaré Christine Dahm. Il faut ainsi sensibiliser les ONG à l’importance du travail politique sur les scènes européenne et nationale, en plus du travail de terrain.

Bob Schmitz souligne aussi le réseau comme un élément très important pour les ONG luxembourgeoises, eu égard à la modicité de leurs moyens. Il explique qu’il prend également contact avec des eurodéputés étrangers, et pas seulement luxembourgeois. Ce n’est pas toujours une question de nationalité, mais aussi de compétences linguistiques et de connaissance du dossier, dit-il.

Face aux "grands moyens" employés par les lobbys, les ONG sont renvoyées à la seule "force de l’argument". Mais cette dernière "joue encore", estime Bob Schmitz. "Celui qui peut argumenter juridiquement et économiquement a la possibilité d’être entendu aussi bien au Parlement, qu’auprès de la Commission européenne. Ce qui en ressort est une autre chose", dit-il. Certes, au final, il peut au mieux en sortir un amendement à un texte, mais cela constitue "une petite contribution à la grande machinerie".

Nico ClementReconnaissant que "les intérêts des consommateurs se sont déjà imposés par rapport aux intérêts de l’industrie", Nico Clement fait savoir qu’il n’en est pas de même pour les intérêts qui sont au cœur du combat syndical. On est "très rapidement dans le rapport des forces" plutôt que dans les échanges d’arguments. "Les uns ont dans ce cas un rapport de force qui leur est plus favorable, et ont donc plus de possibilités que les autres", dit-il. Le syndicaliste critique aussi la Commission européenne qui ne fait pas de différence entre un lobby d’entreprises et une ONG. Les syndicats sont ainsi souvent vus comme des lobbys des salariés.

Par ailleurs, Nico Clement fait remarquer que la taille modeste des ONG est telle que parfois, la qualité du suivi dépend de personnes, fait remarquer Nico Clement. Et "quand elles ne sont plus là, il ne se passe plus rien".

Par ailleurs, le syndicaliste a aussi confié qu’il n’est pas toujours simple de mobiliser sur des sujets européens quand ils n’ont pas de conséquences concrètes et directes au niveau national. Ainsi, au sujet de la directive sur le temps de travail, faire comprendre qu’il n’est pas bon à terme de fragiliser le système, même s’il ne se passe rien à court terme au Luxembourg, est compliqué.