L’hebdomadaire Le Jeudi a organisé le 15 mai 2014 un débat autour du thème "L’UE échappe-t-elle à ses citoyens ?" avec les candidats tête de liste des quatre partis représentés au Parlement européen : Mady Delvaux pour le LSAP, Viviane Reding pour le CSV, Charles Goerens pour le DP et Claude Turmes pour les Verts.
La question du candidat désigné par les familles politiques européennes à la Présidence de la Commission européenne a été commentée de diverses manières. Viviane Reding du CSV a estimé que le premier enjeu des élections européennes était pour un parti de les gagner, et le deuxième d’arriver ensuite à trouver une majorité. Elle a par ailleurs déclaré que comme la plupart des lois nationales ont aujourd’hui leur origine dans l’UE, il était nécessaire "d’envoyer les meilleurs au Parlement européen". La désignation d’un candidat à la présidence de la Commission européenne est pour elle "un pas dans la bonne direction" et ce devrait être celui dont le parti a remporté le plus de sièges qui devrait être désigné par le Conseil européen comme président de la Commission. Ce serait encore mieux, a-t-elle dit, qu’il puisse être élu directement, "comme le président des USA".
La socialiste Mady Delvaux a quant à elle plaidé pour un changement de majorité au Parlement européen en faveur des sociaux-démocrates, pour lequel "il est temps", et c’est le candidat Martin Schulz qui "incarne ce changement".
Claude Turmes a, lui, porté un jugement plus distancié sur cette question, son parti, les Verts, ne pouvant s’attendre qu’à être le quatrième ou cinquième groupe issu du scrutin. Pour lui, il n’y aura pas de majorité pour le S&D social-démocrate sans le PPE ou l’inverse, et ce à cause de l’importance que l’extrême droite risque de prendre au Parlement européen. La Gauche unie européenne, donc la gauche de la gauche, et les Verts ne pourront pas selon lui suffire pour assurer une majorité de centre-gauche à Martin Schulz. Néanmoins, ce centre-gauche va compter, car comme il y a selon lui aussi 50 à 60 progressistes au PPE, il pourra arriver à prendre certaines décisions.
Pour le libéral Charles Goerens, les engagements pris en amont sur les candidats tête de liste devront être respectés. Comme Viviane Reding, il estime que le président de la Commission désigné par le Conseil européen doit être celui dont le parti est sorti comme le plus fort des élections. Et si ce sera Jean-Claude Juncker, il le soutiendra. Un autre scénario pourrait encore être imaginé, estime néanmoins le libéral : que l’on prenne un autre des candidats têtes de liste, s’il arrive à proposer une majorité. Mais "le Conseil ne pourra pas écarter de son choix les candidats têtes de liste".
Et Viviane Reding d’enchaîner que l’"on aurait de grands problèmes institutionnels si le Conseil européen ne devait pas prendre au sérieux la volonté des électeurs". Selon elle, cette Commission ne serait alors pas en poste avant la fin de l’année 2014, mais bien plus tard.
Mady Delvaux pense quant à elle que "le Conseil européen sera bien obligé de prendre un des deux", c’est-à-dire Jean-Claude Juncker ou Martin Schulz, "car une parole a été donnée". Et de conclure par une note radicale : "Sinon les gens ne croiront plus en rien."
La question des pouvoirs réels du Parlement européen et de ce qu’un député peut personnellement arriver à y faire, a appelé le commentaire de Claude Turmes, qui a été le rapporteur de plusieurs grands projets législatifs sur les énergies renouvelables, la séparation des réseaux et des producteurs d’énergie ainsi que sur l’efficacité énergétique. Pour lui, il faut "travailler au cœur de la machine" et "faire avancer l’UE par les législations", lui-même se disant "motivé à bloc" depuis qu’il fait cet exercice, donc depuis 1999.
Une autre approche est celle de Mady Delvaux, qui pense que "les gens qui travaillent s’imposent toujours" et qu’il faut "des compétences sociales pour nouer des alliances".
Viviane Reding a mis en avant le fait que le Luxembourg est largement surreprésenté au Parlement européen par rapport à sa population, qui forme 0,5 % de la population de l’UE, alors que le Luxembourg dispose de presqu’un pourcent des députés. L’avantage est que ce nombre permet de faire entendre une voix luxembourgeoise.
La relance économique était un autre sujet abordé par les quatre candidats tête de liste. Charles Goerens a estimé qu’il fallait exploiter toutes les possibilités que recèlent les traités européens pour mettre en commun toutes les dettes publiques des Etats membres qui dépassent les 60 % de leur PIB. Ceci dit, les traités européens ne prévoyaient pas de mécanismes de sauvetage des banques, a dû admettre le député libéral, et ils les ont même interdits. C’est pourquoi le Conseil a dû agir à partir de 2008. L’UE devrait par ailleurs se donner un objectif vraiment contraignant d’investir jusqu’à 3 % de son PIB en 2020 dans la Recherche et l’Innovation (R&I).
Pour Viviane Reding, l’UE a manqué d’un ministre des Finances tel que Pierre Werner l’avait prévu dans son plan pour une union économique et monétaire en 1970. Si ce poste n’a pas été créé, cela est dû au Royaume-Uni. De cette sorte, il a fallu inventer d’autres instruments au cours de la crise, des instruments que la vice-présidente de la Commission juge "imparfaits" et qu’il faudra remplacer par un "système solide de prévention des crises".Viviane Reding est "plutôt pour" une mutualisation des dettes publiques, mais cela risque de devenir "un système compliqué".
Mady Delvaux a marqué sa compréhension pour les citoyens qui sont "fatigués par la crise et l’austérité", pour les 125 millions de pauvres dans l’UE et ses 26 millions de chômeurs. Elle, qui est particulièrement attirée par le secteur des Télécom, veut aussi miser sur la R&I, mais "à condition que cette R&I ne mène pas à la suppression d’emplois".
Pour Claude Turmes, les grands chantiers de l’UE sont les énergies et les ressources, la lutte contre l’évasion fiscale, la relance de la demande intérieure et l’approfondissement de l’UE. Il a mis en avant la montée fulgurante des importations de ressources énergétiques et la facture que cela représente : plus de 500 milliards. "L’UE ne peut pas continuer à ne pas être efficace !", a-t-il lancé, pour que l’UE évite à moyen terme une facture de plus de 800 milliards. D’autre part, l’évasion fiscale représente un manque à gagner de 1000 milliards d’euros par ans, l’équivalent de 7 ans de budget de l’UE. "L’UE est riche, mais les Etats sont pauvres !", estime Claude Turmes, qui met en garde contre la montée des prix de l’énergie avec la pénurie croissante de gaz et de pétrole, et ce dans un contexte où la croissance moyenne de l’UE tournera autour de 2 %. Cela implique que l’UE ne devra pas seulement miser sur les exportations, à l’instar de l’Allemagne, mais aussi sur la demande intérieure. Le fait qu’il n’y aura pas après mai 2014 d’élections en France et en Allemagne d’ici 3 ans est par ailleurs pour lui une chance pour que l’UE s’approfondisse.
La discussion sur l’élargissement de l’UE suscite souvent "la nostalgie de la petite Europe quand nous étions entre nous", estime Mady Delvaux, qui ne veut pas céder à cette nostalgie, mais veut que les relations avec les pays candidats à l’adhésion soient plus poussées et que l’on convainque les citoyens de la nécessité des aides aux pays de l’UE qui sont moins avancés. Elle-même a l’impression que les attitudes changent à l’égard des pays d’Europe centrale et orientale. De l’autre côté, "il faut être ferme sur l’acquis communautaire", car elle estime que l’on a été "trop indulgent avec certains Etats membres".
Reste que l’UE est un "instrument de stabilité", estime Claude Turmes, qui s’est demandé comment les relations entre la Hongrie, la Roumanie et la Slovaquie auraient évolué sans leur appartenance commune à l’UE. Il est par ailleurs d’avis que "les Balkans occidentaux sont au bord de l’explosion" et qu’il "faut agir vite".
Charles Goerens est de son côté en termes d’élargissement "pour une pause de réflexion". Pour lui, il y a des évolutions en cours qui "portent atteinte à la construction de l’UE". Dans le couple franco-allemand, la France n’a selon lui "plus rien à dire".
Pour Viviane Reding, l’élargissement a été un succès, mais maintenant il faut "une pause", car les différences entre les vues institutionnelles et le développement économique des Etats membres sont devenues trop importantes. "La démocratie ne s’apprend pas en 20 ans !", a-t-elle lancé, en faisant allusion aux agissements controversés des gouvernements hongrois et roumain. Une pause dans l’élargissement ne veut cependant pas dire qu’il faut cesser de négocier, a précisé Viviane Reding, pour qui il y a aussi du pain sur la planche dans l’UE : la conséquence de la mise en œuvre de l’Union bancaire devra entraîner un renforcement de la zone euro.
Quant à savoir comment l’on pourra travailler dans le nouveau Parlement européen s’il y a le renforcement annoncé des partis europhobes, Viviane Reding a répondu en renvoyant dos à dos les extrémistes de gauche et de droite. Pour elle, "il y a aura beaucoup de bruit autour de ceux qui travaillent vraiment et au centre", qui sont la majorité des partis élus au Parlement et qui veulent construire et faire avancer l’UE.
Charles Goerens ne voudrait cependant pas que l’on confonde les eurosceptiques et les extrémistes. Pour les grandes réformes de l’UE, il faut arriver à rallier les deux tiers du Parlement européen, et "rester une communauté de valeurs qui ne sont pas à brader".
Claude Turmes a estimé qu’il faut agir sur les causes de l’extrémisme de droite qui a un impact sur les politiques nationales de grands Etats membres et aussi le PPE. Mais pour lui, l’extrême gauche n’est pas à mettre à la même enseigne : "90 % des députés de la Gauche unie européenne travaillent, votent avec les Verts et sont des progressistes", a-t-il expliqué. La majorité dans l’UE qui a ses préférences est composée par les Verts, la Gauche Unie européenne, les sociaux-démocrates et les progressistes du PPE, parmi lesquels il compte Jean-Claude Juncker.
Mady Delvaux a exprimé son désaccord avec cette approche de l’UE par le centre, parce qu’elle "risque de polariser encore plus", surtout que les perdants de la globalisation en rendent coupable l’UE.
Qui est conservateur, qui est progressiste dans l’UE, est la question qui a ensuite émergé. Pour Viviane Reding, les conservateurs ne sont pas au PPE, mais dans le groupe ECR formé par les conservateurs britanniques. Les conservateurs britanniques de David Cameron et polonais du parti Droit et Justice de Jarosław Kaczyński et "d’autres le la même trempe" ont, selon elle, bien fait de quitter le PPE. "Je suis démocrate-chrétienne !", a-t-elle martelé, pour ensuite accuser certains partis sociaux-démocrates d’avoir conclu des alliances avec l’extrême-droite, comme en Bulgarie et en Slovaquie. Mais ce qui lui importe, c’est la lutte contre certaines déviations grandissantes dans l’UE par l’affirmation des valeurs contenues dans les traités et la Charte des droits fondamentaux.
Quant aux futurs bâtisseurs d’une majorité dans l’UE, Viviane Reding a estimé que tant Jean-Claude Juncker que Martin Schulz devraient être capables de réunir une coalition autour d’eux. Mais Mady Delvaux a vu une différence entre les deux, même si les débats des deux hommes ont laissé percer de grandes ressemblances : "Jean-Claude Juncker est un démocrate-chrétien progressiste, mais ce qu’il dit ne se trouve pas toujours dans le programme du PPE. Martin Schulz est un social-démocrate et ce qu’il dit se trouve dans le programme des sociaux-démocrates. La différence entre les deux est que Martin Schulz a ses troupes derrière lui."